L’Assemblée nationale a rejeté hier un amendement gouvernemental qui aurait autorisé les pouvoirs publics à ne plus envoyer les traditionnelles professions de foi aux citoyens par La Poste lors de la présidentielle de 2017. Le gouvernement semble toutefois déterminé et prévoit de lancer le mois prochain un groupe de travail sur le sujet.
Devenue au fil du temps un véritable serpent de mer, la question de la dématérialisation de la propagande électorale s’est à nouveau invitée au Palais Bourbon mercredi 16 décembre. À l’occasion de l’examen des propositions de loi de « modernisation des règles applicables à l'élection présidentielle », le gouvernement souhaitait être expressément habilité à fixer par décret « les conditions dans lesquelles les déclarations des candidats sont publiées sur un site Internet et, le cas échéant, tenues à la disposition des électeurs sous forme imprimée ».
L’idée ? Arrêter d’adresser par voie postale les traditionnels programmes aux électeurs, pour renvoyer ces derniers vers un site Internet dédié (à l’image de celui expérimenté il y a quelques semaines pour les élections régionales). Ces documents resteraient malgré tout disponibles au format papier dans les mairies, les préfectures, etc. Quant aux bulletins de vote, ils continueraient d'être proposés comme d’habitude dans les bureaux de vote.
Des économies qui se chiffrent en dizaines de millions d’euros
Selon le ministre de l’Intérieur, une telle réforme vise à tenir compte à la fois « des nouveaux modes d’information des électeurs, qui font de plus en plus appel à Internet, ainsi que des contraintes environnementales et budgétaires de l’État ». On devine toutefois que c’est ce dernier point qui intéresse surtout l’exécutif, un récent rapport de l’Inspection générale de l’administration estimant à 93 millions d’euros les économies à attendre d’une dématérialisation de la propagande électorale pour la prochaine présidentielle.
Plusieurs députés ont toutefois rappelé leur vive opposition à cette réforme. Pour Philippe Gosselin (Les Républicains), les plis électoraux répondent à « une forme de rituel, de rite de citoyenneté. Recevoir dans sa boîte aux lettres un document à son nom, que l’on peut lire tranquillement, regarder, soupeser, ce n’est pas du tout la même chose que d’aller sur un site Internet ».
La question de la fracture numérique fut également remise sur la table. « Des millions de nos concitoyens n’ont pas d’imprimante, n’ont pas accès à l’internet, ne savent pas même comment ça marche. Or, sciemment, sous prétexte de réaliser une économie – elle est incontestable mais la démocratie a un coût –, vous allez saboter ce lien très important » s’est ainsi exclamé Nicolas Dupont-Aignan. L’ancien candidat à la présidentielle a par ailleurs ajouté : « Au moment où notre démocratie est rongée par le cancer de l’abstention, au moment où tant de nos concitoyens sont écœurés par la vie politique, vous entendez supprimer l’un des liens fondamentaux unissant les électeurs à leurs représentants. »
Ce à quoi Bernard Cazeneuve a répondu : « Vous pourrez distribuer toutes les propagandes électorales que vous voudrez dans les boîtes aux lettres des électeurs français, si le débat politique continue de s’abaisser comme il le fait aujourd’hui, vous aurez de plus en plus d’abstention. D’ailleurs, alors que la propagande électorale est aujourd’hui distribuée dans toutes les boîtes aux lettres, l’abstention augmente. Elle n’est donc pas liée à la distribution de la propagande électorale. »
Une expérimentation limitée à la seule élection présidentielle
Le ministre de l’Intérieur a par ailleurs souligné que cet amendement ne concernait que l’élection présidentielle, qui est habituellement la plus médiatisée. Un rapport présenté cet automne au Sénat par le centriste Hervé Marseille en arrivait d’ailleurs à la conclusion qu’il pourrait être intéressant d’expérimenter la dématérialisation des plis électoraux uniquement pour ce scrutin. « Compte tenu de la visibilité de l’élection présidentielle et de l’appétence des Français pour cette élection, il me semble que c’est l’échéance qui convient pour tester un dispositif innovant et en tirer, à l’issue du prochain scrutin, les conclusions utiles » a déclaré le député Romain Colas (PS), en soutien de Bernard Cazeneuve.

L’amendement du gouvernement a néanmoins été rejeté par l’Assemblée nationale, alors qu’il avait obtenu un avis favorable du rapporteur socialiste Jean-Jacques Urvoas. Mais comme l’a relevé l’écologiste Danielle Auroi durant les débats, la présidentielle est la « seule élection pour laquelle la propagande papier n’est pas prévue par la loi mais par un simple décret ». Autrement dit, l’exécutif pourrait potentiellement se passer de l’aval du Parlement pour se lancer sur le terrain de la dématérialisation. À moins que l’opposition des élus n’oblige le gouvernement à opter pour une autre solution. Le député Sergio Coronado avait par exemple proposé de ne plus envoyer de propagande aux internautes s’étant portés volontaires (voir notre article).
Ce sujet devrait continuer d’animer les débats, puisque Bernard Cazeneuve a annoncé hier qu’afin de « rechercher des autres leviers de transmission de l’information en direction des électeurs, le gouvernement propos[ait] de mettre en place un groupe de travail au 1er janvier, qui permettra de réunir les parlementaires désireux de moderniser l’accès au suffrage ».