Orange vient d'écoper d'une amende plutôt salée, émise par l'Autorité de la concurrence. Elle lui reproche d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché des télécoms pour entreprise, une faute qui va lui coûter 350 millions d'euros.
L'autorité de la concurrence est des plus actives en cette fin d'année. Après s'être attaquée à une entente formée entre une vingtaine d'entreprises dans le domaine des transports express, elle s'est penchée sur le cas d'Orange sur le marché des télécoms pour entreprise, suite à une plainte déposée par Bouygues et SFR. Le premier a retiré sa plainte en 2014 suite à un accord conclu avec l'agrume, lui donnant droit à un versement de 300 millions d'euros.
Orange gardait jalousement les informations sur la boucle locale
Quatre griefs ont été retenus contre Orange par l'Autorité de la concurrence. Le premier concerne « la discrimination dans l'accès aux informations relatives à la gestion de la boucle locale ». L'opérateur donnait accès à ses filiales, notamment Orange Business Services à des informations plus complètes sur la boucle locale (ouverture de lignes, conditions d'éligibilité...) que celles fournies à la concurrence et ce dans des délais plus brefs.
Problème, Orange étant le détenteur de « plus de 99,99 % des paires de cuivre en France », il est le seul opérateur à détenir ces informations et il se doit donc de les mettre à disposition de la concurrence de la façon la plus neutre possible. Aux yeux de l'autorité, cette rétention d'informations a « affecté la relation commerciale des opérateurs tiers avec leurs clients, les faisant apparaitre moins réactifs et moins informés que l'opérateur historique, ce qui a vraisemblablement conduit à une régression de l'intensité concurrentielle dans le secteur ». Une pratique encore en vigueur à ce jour selon l'autorité de la concurrence.
Changez de mobile, pas d'opérateur
Orange s'est également fait épingler pour son programme « changer de mobile » ou PCM. Celui-ci permettait aux clients professionnels d'Orange de cumuler des points en fonction de leur ancienneté et de leur consommation, qui pouvaient être utilisés pour renouveler son mobile à tarif préférentiel. Seulement, jusqu'en 2010, ces points ne pouvaient être utilisés que dans le cas d'un réengagement de 12 ou 24 mois avec l'opérateur, freinant ainsi les volontés d'aller voir chez la concurrence.
Jusqu'ici, rien d'anormal, mais l'autorité estime que « ce programme de fidélisation a parfois pu être également utilisé par Orange de manière plus ciblée et intensifiée en fonction du contexte concurrentiel ». Cela s'est notamment produit en 2007 au moment où l'ARCEP faisait entrer en rigueur de nouvelles règles pour la portabilité des numéros mobiles.
Dans des documents que s'est procurée l'autorité, Orange explique qu'il prévoit « d'accentuer l’attractivité des offres de fidélisation, en proactif et en rétention avec un prix de vente en PCM inférieur au prix d'acquisition pour certains clients à forte valeur avec bonus ciblés ». Pour faire simple, cela s'appelle de la vente à perte et cette pratique strictement encadrée par la loi.
Cette infraction est d'ailleurs d'autant plus grave que l'opérateur s'était déjà fait épingler en 2009 pour les mêmes raisons dans la zone Antilles-Guyane et avait été condamné à 52,5 millions d'euros d'amende. À l'époque, l'amende avait déjà été majorée à cause de « la réitération, en raison d'infractions au droit de la concurrence similaires déjà commises par France Télécom ». Orange assure que cette pratique a été abandonnée courant 2010.
Les remises engageantes ne sont pas du goût des autorités
Troisième grief : « le renchérissement des coûts de sortie au travers de la mise en œuvre de remises fidélisantes ». L'autorité de la concurrence reproche à Orange d'avoir mis en place « un système particulièrement complexe de remises de fidélité » dont l'objectif était de réengager les clients.
Orange proposait ainsi des « remises privilège » qui étendaient de 12 à 36 mois la durée d'engagement initial de la clientèle, avec un renouvellement par tacite reconduction. Pour résilier dans ce cadre, le client doit le faire dans un délai d'un mois avant la dernière échéance de l'abonnement de chacune des lignes concernées. Dans le cas contraire, les pénalités équivalentes à la totalité des abonnements restants dus sont appliquées, de quoi refroidir toute envie d'aller voir ailleurs.
L'opérateur a également fait en sorte à l'aide de remises dites « de parc » que les entreprises signent un maximum de lignes chez lui. Au-delà de 100 lignes, Orange consentait des rabais importants qui incitaient les clients à ne pas diviser leur flotte de forfaits mobiles chez plusieurs fournisseurs.
Aux yeux de l'autorité, « l'ensemble de ces remises ont des effets cumulés qui se renforcent et se complètent. En particulier, l'Autorité a considéré que la remise privilège, seule ou couplée avec d'autres remises, entraînait un effet de « foisonnement » d'engagements, le client ignorant la date de fin d'engagement, différente pour chacune de ses lignes, qui induit un risque de verrouillage indéfini du client ». Et ces pratiques ont encore lieu aujourd'hui ajoute l'autorité.
Il est interdit d'interdire
Dernier point, l'autorité de la concurrence s'est émue de la mise en place de remises sur les services VPN. Là encore, il est question de rabais en fonction de l'engagement du client sur la durée et ou la quantité, mais aussi à condition « qu'ils ne confient aucun raccordement de leurs sites aux opérateurs tiers ». Des clauses en vigueur jusqu'en juillet 2015 sur ses offres Equant IP VPN et Business VPN note l'autorité.
Les services de l'état ont vu rouge et affirment que « cette pratique consistant à mettre en place un mécanisme de rabais d'exclusivité est considérée comme restrictive de concurrence, tant au vu de sa capacité à lier les clients qu'au vu de sa capacité à évincer les concurrents ».
Des « pratiques graves » qui justifient une amende record
Dans ses conclusions, l'Autorité de la concurrence estime que « Les quatre pratiques incriminées ont constitué des obstacles significatifs et cumulatifs au changement d'opérateur et ont contribué à rigidifier un marché qui présentait déjà une fluidité réduite en raison de la réticence des entreprises à changer d'opérateur compte tenu de la complexité des processus de migration ».
Si les pratiques concernées par cette enquête sont qualifiées de « graves » par l'autorité, cette dernière souligne que « le fait qu'Orange ait mis en œuvre ces pratiques de manière simultanée pendant près de 10 ans constitue un facteur aggravant, et ce d'autant plus qu'elle avait pleinement conscience de la portée de ses agissements », avant de préciser que sur les 15 dernières années, l'opérateur a déjà été sanctionné à sept reprises pour des faits similaires.
Malgré la coopération de l'entreprise lors de cette enquête, ainsi que la reconnaissance des faits qui lui sont reprochés, qui valent à Orange d'avoir une amende plus basse que prévu, les pouvoirs publics ont décidé de frapper fort. L'agrume est ainsi condamné à payer une amende de 350 millions d'euros, ce qui à ce jour est le montant le plus important jamais infligé par l'autorité de la concurrence à une entreprise individuelle.
C'est au tour d'Orange de s'engager
En plus du paiement de l'amende, Orange fait l'objet de plusieurs injonctions. Il lui est ainsi imposé sous un délai de 18 mois de mettre en place un dispositif permettant aux opérateurs tiers de disposer des mêmes informations qu'Orange et dans les mêmes délais sur la boucle locale. L'ARCEP est chargée de vérifier que cela sera bien le cas.
L'agrume doit également revoir le mode de calcul de ses frais de résiliation liés à sa « remise privilège » au-delà de la durée d'engagement initiale, mettre fin aux remises d'exclusivité et faire cesser l'ensemble des pratiques fidélisantes qui lui ont été reprochées.