Mathieu Gasquy, responsable des ventes EMEAI (Europe, Middle East, Africa, India) de Western Digital occupe désormais un siège en Commission Copie privée parmi les industriels. Il a bien voulu répondre à nos questions, touchant notamment au marché du disque dur externe en France
Vous siégez désormais au sein de la commission copie privée reformée. Est-ce la première fois ?
Western Digital était membre du Syndicat National des Supports de l'Image et d'Information (SNSII), qui fut représenté en Commission Copie privée par Marc Heraud avant la démission des industriels en 2012. Avec la reformation de la CPP, notre nouveau syndicat, l'AFNUM, a reçu deux sièges. J’ai été choisi dans ses rangs pour être l’un des deux membres permanents, avec Roberto Mauro (Samsung). C’est une bonne opportunité pour moi d’être impliqué plus directement dans ce dossier.
Quelles sont les attentes des industriels ?
D’un point de vue général, ce retour fait suite aux travaux de Christine Maugüé, qui fut désignée par la ministre de la Culture pour élaborer une feuille de route destinée à la reprise de ces réunions. À la lecture de son rapport, nous avons considéré qu’il était temps de revenir avec une attitude positive et un esprit plus serein. On veut tous essayer de coller au cap défini par ce document, qui constitue selon nous une bonne base de travail.
La première réunion organisée lundi a-t-elle déjà confirmé ce cap ?
J’ai un devoir de réserve, mais cette première réunion correspond à l'état d’esprit voulu à la fois par Christine Maugüé et Jean Musitelli, le nouveau président de la Commission qui s’en est fait le garant. Je vois donc qu’il y a une chance pour que cela puisse fonctionner à nouveau. Nous sommes certes encore au début, il n’y a pas de barème, pas même de négociation, mais ayons confiance dans notre capacité à trouver des solutions.
On est aujourd’hui bientôt en 2016 et les dernières études d’usages (qui permettent de déterminer les barèmes, NDLR) remontent je crois à 2011. Il est important pour nous d’avoir un nouvel état des lieux du marché, de savoir comment aujourd’hui les gens consomment, quelle est l’importance du streaming, des autres offres légales dont Apple Music, bref toutes ces pratiques et acteurs qui n’étaient pas nécessairement présents en 2011. Le but est qu’à partir de ces études d’usage, on puisse revenir à l’essence même de nos travaux : établir un préjudice juste visant à déterminer la redevance pour copie privée.
Que pensez-vous de ce concept d’ailleurs ?
Nous le validons, on ne refuse pas la copie privée, on y adhère. Nous souhaitons juste une mise à jour des études d’usages afin d’avoir à la fin une structure de barèmes conforme à la réalité. Avec ce qui a été proposé par Christine Maugüé, le rapport Rogemont et la présidence de Jean Musitelli, nous avons toutes les chances pour que cela se fasse de manière constructive. On a bien vu que lorsque ce n’était pas le cas, on arrivait à une situation de blocage comme il y a trois ans.
Comment se porte aujourd’hui le marché du disque dur externe ?
D’après les dernières estimations de GFK, le poids du marché gris est estimé en France à 29 %. En 2014, il était de 27 %. En 2013, 25 %. Si on entre dans le détail, plus on augmente en capacité, plus la redevance est élevée. Sur certains points de capacité, on est largement au-dessus des 50 % car ces produits ne sont plus commercialement viables au travers des canaux légitimes, ceux qui respectent la redevance copie privée.
4 To c’est 60 euros de redevance, hors TVA. En Italie, c’est 20 euros, en Allemagne, c’est 9 euros. En Espagne et en Angleterre, c’est 0. À 60 euros HT, le produit n’est pas viable en France. On ne peut même pas le mettre dans un canal de distribution, dans les rayons de la FNAC, de Boulanger. On ne peut juste « pas les vendre » si ce n’est sur les marketplaces depuis l’étranger. La situation ressemble à ce qu’ont connu le CD et le DVD vierge.
Et pour les capacités moindres ?
La situation est identique pour le 3 To (45 euros HT de RCP, ndlr) ou le 2 To (30 euros HT). Ce sont des produits qui marchent en France, mais où le poids du marché gris va là encore bien au-delà de 29 %. Dans un canal légitime, cette situation génère un décalage énorme et cela constitue un obstacle à notre business.
Dans une vision cynique, on pourrait imaginer que le fabricant soit toujours gagnant : un disque dur vendu en France depuis la Pologne, c’est un disque vendu. Mais c’est justement l’inverse. Je vais vous expliquer pourquoi nous nous retrouvons dans le rôle d’une défense de la RCP et d’une application stricte de la loi : le risque est que cette catégorie de disque dur perde tout son intérêt pour nos enseignes partenaires, avec qui nous voulons travailler de manière sereine. Nos partenaires, ce n’est pas le gars qui va vendre depuis la Pologne, celui qui fait du marché gris, mais la FNAC, Darty, Boulanger, les acteurs du e-commerce.
Or, plus le marché gris augmente, plus il y a une perte d’intérêt potentiel de la part des grands noms qui se retrouvent face à une catégorie de produits difficile à travailler. Le risque est que l’espace qui va nous être consacré en magasins finira par se réduire, pour se focaliser sur des disques durs de 500 Go, où la redevance est de 11 euros. Mais voilà, le marché n’est pas là, il est sur le 2, le 3 et le 4 To. Ces disques continueront à être vendus en France, non dans les enseignes qui investissent avec nous, mais sur les marketplaces, par des gens avec qui nous n’avons aucune relation, profitant de la faiblesse du système. Le marché gris est un marché à côté, qui existe, grossit, mais qui constitue une pollution au travail des enseignes de distribution et de nos équipes.
Quel est l’intérêt de travailler avec les enseignes habituelles ?
Notre problématique est d’avoir un marché propre, car plus on vend avec des enseignes partenaires, plus on peut investir dans des campagnes publicitaires en France, travailler sur la montée en gamme. Aujourd’hui, si on fait la promotion d’un 4 To, on donne du budget marketing à des gens qui font des ventes grises. C'est de l'argent gaspillé. Cela n’aidera pas la FNAC, Boulanger, Darty. Il n’y a aucune chance de voir ces produits prospérer dans les rayons français, alors qu’en deux clics, on peut les acheter 80 euros moins cher.
Le terme est un peu exagéré, mais il y a une tiers-mondialisation du marché officiel français : les produits disponibles dans les plus grandes enseignes se concentrent sur des petites capacités sans rapport avec le marché allemand ou des autres pays. C’est extrêmement frustrant.
Si on poussait une vision cynique, on fermerait tout en France et on vendrait tout en Pologne. Nous ne sommes clairement pas dans une telle logique. Ceci représente en outre un manque à gagner dans la collecte de la redevance copie privée. On dit souvent que trop d’impôt tue l’impôt. Sur notre marché, trop de RCP tue la RCP. Il y a une évasion de montants non perçus tout comme un manque à gagner pour la collecte de la TVA du côté de Bercy.
Il y a vraiment tout un travail à faire pour renverser la courbe du marché gris pour permettre aux points de capacité de 3 et 6 To d’être vendus en France, ce qui n’est pas aujourd’hui le cas. Et lorsqu’on annonce des nouveaux produits comme au prochain MedPI, on se dit déjà qu’ils ne seront pas accessibles. Plus le marché se déplace vers ces nouvelles capacités, plus on se retrouvera dos au mur et les enseignes prendront la décision de réduire l’espace alloué.
Aujourd’hui, nous sommes dans un cercle vicieux, nous aimerions un cercle vertueux pour ramener les points de capacité sur un côté « clean ». Voilà pourquoi on défend la pérennité du système contrairement à ce qu’on pourrait croire : le barème actuel engendre de l’argent à court terme, mais génère la mort de plusieurs points de capacité. J’ai fait le calcul du poids de la redevance. En France, le 3 To, c’est 29 % du prix. En Allemagne, c’est 10. En Espagne c’est 0. Quand on arrive à une situation où 29 % du prix de vente, hors TVA, c’est de la redevance copie privée, ce n’est pas viable.
Merci Mathieu Gasquy