Les conclusions du régulateur sont tombées. Désavoués par les collectivités, les professionnels et Bercy, les tarifs de référence proposés pour les réseaux publics en fibre ont été revus à la baisse. De quoi rassurer nombre d'acteurs, pour qui les conditions suggérées par l'ARCEP mettaient en danger le plan France Très Haut Débit.
L'ARCEP vient de publier ses lignes directrices pour les tarifs des réseaux d'initiative publique (RIP) en fibre. Pour rappel, ceux-ci doivent amener le très haut débit à près de la moitié de la population, que les opérateurs nationaux ne fibreront pas eux-mêmes parce que pas immédiatement rentable. Le document du jour veut donc harmoniser les tarifs de gros pratiqués par ces dizaines de réseaux, pour éviter à la fois des incohérences dans l'offre et entre départements ou régions.
L'enjeu principal est d'amener les grands fournisseurs d'accès Internet (FAI) nationaux sur ces réseaux publics, dont la majorité devrait sortir de terre dans les prochaines années. Certains réseaux publics en fibre sont pourtant en activité depuis quelques années, et constatent un problème important. Les habitants n'acceptent souvent d'y basculer que si les principaux fournisseurs d'accès y proposent leur box... Ce qui est très peu le cas aujourd'hui, ces entreprises se concentrant surtout sur les zones denses avec leur propre réseau. Les incohérences entre réseaux publics sont aussi une réalité, notamment dans leurs grilles tarifaires. S'y attaquer est donc un combat noble, qui n'a pourtant pas fait que des heureux jusqu'ici.
Des tarifs de gros plus chers que les tarifs de détail des FAI privés
Début octobre, l'ARCEP mettait en consultation publique une première version de ses lignes directrices (voir notre analyse). Un de ses objectifs était de faire correspondre les tarifs des réseaux publics avec ceux des réseaux privés en fibre des zones denses. Un point a particulièrement chiffonné le secteur : les tarifs de gros proposés étaient à la fois loin de ceux pratiqués par les opérateurs nationaux sur leurs propres réseaux et étaient même bien plus chers que ceux pratiqués par une partie des RIP en fibre déjà en activité.
Plusieurs acteurs s'en sont insurgés publiquement, dont l'association des collectivités sur le numérique (AVICCA) et la Fédération des industriels des RIP (FIRIP), qui ont publié un communiqué commun. L'exemple le plus frappant est le tarif d'un accès activé (où l'opérateur n'a qu'à brancher sa box) : 26 euros HT par mois par ligne (soit plus de 31 euros TTC), là où des opérateurs privés proposent des offres à 19,99 euros par mois pour le client final, en intégrant tous leurs frais.
« Il est impossible de bâtir des offres de détail attractives » ont ainsi dénoncé les deux organismes. Même Bercy avait indiqué sa désapprobation. « Ces tarifs ne permettent pas des réseaux d'initiative publique viables » renchérissait Antoine Darodes, le patron de l'Agence du numérique, lors du colloque de l'AVICCA fin novembre.
Une nouvelle proposition « plus ambitieuse », toujours évolutive
Le message a été largement entendu par l'ARCEP, qui a promis à plusieurs reprises de revoir ses lignes directrices, « sans aller aux tarifs les plus bas » proposés par certaines réponses à la consultation. En clair, d'une proposition « conservatrice », l'ARCEP est passée à une « plus ambitieuse ».
Dans les faits, les tarifs ont effectivement subi un sérieux lifting. Le tarif de référence pour une ligne activée, hors raccordement final, passe ainsi de 24 euros HT par mois à 16 euros HT, nous confirme l'ARCEP. Soit une baisse appréciable de 8 euros. Reste à voir si cette version finale conviendra à l'ensemble des acteurs. Si besoin, ces tarifs pourront être révisés tous les 18 mois.
Sur le fond, la principale nouveauté de ces lignes directrices reste. Au fil de leur développement, les réseaux publics pourront ainsi appliquer plusieurs tarifications, comme nous l'avions détaillé début octobre. Trois phases sont dégagées : le lancement (jusqu'à atteindre un remplissage de 20 % du réseau ou maximum deux ans), la montée en charge (jusqu'à sept ans après le lancement) et le moment où l'équilibre économique est atteint, où toutes les éventuelles remises ne pourront plus s'appliquer.

Le but est de permettre aux réseaux de se remplir jusqu'à pouvoir pratiquer les tarifs des zones couvertes par les opérateurs privés. Globalement, cette proposition est soutenue par les porteurs et concepteurs de réseaux publics, quand elle convient moins à certains opérateurs nationaux, qui estiment que ce serait un avantage indu... À moins de pouvoir prouver que les réseaux publics ont des difficultés particulières que n'ont pas les réseaux privés en zones denses. « La remise visant à inciter les acteurs à venir dès le démarrage n’apparaît ni nécessaire, ni efficace » estime ainsi Free.
Ces débats seront donc tranchés dans la pratique. Il faudra ainsi s'assurer que l'ensemble des réseaux publics suivent bien ces recommandations de l'ARCEP, ce qui semble aujourd'hui dans leur intérêt, surtout quand le gouvernement les encourage à se regrouper. Dans l'absolu, les réseaux publics devront communiquer au régulateur leurs changements de conditions tarifaires deux mois avant leur application, pour les retravailler si besoin, voire publier ses recommandations s'il l'estime nécessaire. En clair, l'ARCEP ne jouera pas sur un pouvoir de sanction, mais sur l'incitation. À voir si cette mesure sera bien efficace pour harmoniser les RIP et y amener les FAI nationaux.