En retard voire indisponibles, trop chères, impossibles à lire partout... Les griefs contre les séries TV en vidéo à la demande sont nombreux, alors que le marché du DVD continue sa chute. Quels sont donc les freins et les leviers pour une VOD vraiment compétitive sur les séries ? C'est ce que nous avons voulu savoir avec VOD Factory et la Hadopi.
Le marché physique des séries va mal et la vidéo à la demande (VOD) en ligne peine à reprendre le flambeau. De janvier à septembre, les ventes physiques de séries ont baissé de 11,2 % en valeur, selon les derniers chiffres du CNC, alors que les services de VOD ne sont pas encore armés pour attirer les clients. Les initiatives ne manquent pourtant pas.
Fin octobre, la Fnac a lancé FnacPlay, un service de vidéo à la demande géré par la startup française VOD Factory. Un premier pas pour le géant de la distribution, qui compte notamment lier ses promotions physiques et numériques pour pousser le marché. La startup est composée d'une équipe de vétérans de la vidéo en ligne, et s'occupe déjà d'autres services de vidéo à la demande, principalement celui de SFR. C'est donc un interlocuteur privilégié des ayants droit, bien au fait des difficultés du secteur.
Sur les prix, l'étau des ayants droit et d'iTunes
L'un des principaux freins actuels sur les séries en VOD est le prix. Sur FnacPlay, il faut compter 2,49 euros pour acheter un épisode, hors pack par saison. La facture peut donc rapidement grimper, pour peu qu'on grignote une série. Une difficulté dont la société est bien consciente. « Mon sentiment, c'est que les pratiques actuelles sur la série ne permettent pas de développer le marché. [...] Quand je me lève le matin, je me demande comment je vais faire pour baisser les prix » nous explique Julien Vin-Ramarony, le patron de VOD Factory.
Le problème : le prix auquel la plateforme obtient les séries. « Les ayants droit américains nous imposent un prix de gros qu'on est censé reverser à chaque transaction, par-dessus lequel on applique nos coûts et notre marge » détaille la startup. Comme elle nous l'expliquait, cette marge dépend en bonne partie de ses clients, un opérateur étant par exemple bien plus gourmand qu'un service purement en ligne.
VOD Factory aurait aussi l'inconvénient de la fiscalité par rapport à d'autres services, comme iTunes siégé au Luxembourg. Selon l'entreprise, le marché français du téléchargement de séries est « trusté » par le service d'Apple, dont les prix ne sont pas toujours réplicables. « Nous proposons l'essentiel de nos séries en téléchargement, parce que ce mode laisse plus de libertés aux ayants droit sur le fenêtrage » que la location, explique Julien Vin-Ramarony.
Des promotions et packs pour faire fondre les tarifs
Dans les faits, la masse de la consommation de séries est bien légale... mais gratuite. « Ce qui porte la consommation licite de séries, c'est surtout le replay des chaines TV. En téléchargement, la consommation de séries est majoritairement illicite. On voit donc qu'il y a un problème » affirme Pauline Blassel, secrétaire générale de la Hadopi. Via son département recherche, étude et veille (DREV), l'autorité étudie depuis des années la consommation culturelle en ligne.
« Aujourd'hui, la série est extrêmement minoritaire » sur le marché de la vidéo à la demande, estime VOD Factory. La stratégie sur ce segment, à savoir privilégier le téléchargement, ne doit pas aider. Dans sa dernière étude sur la consommation, la Hadopi révélait ainsi que « 62% des répondants déclarent ne pas acheter [de contenu] à l’unité », préférant de loin le streaming. Le décalage est d'autant plus flagrant sur les séries. 83 % des personnes interrogées en consultaient gratuitement (soit en replay), alors qu'à peine 1 % disait en acheter à l'unité.
« Le problème permanent, c'est que c'est un marché dans lequel chaque prix souffre de la comparaison avec le gratuit. Il y a un marché gratuit, essentiellement illégal, et payant, c'est toujours trop cher par rapport à gratuit » analyse Pauline Blassel. De même, la valeur de l'offre numérique serait toujours sous-estimée par rapport à l'offre physique. « En numérique, les prix sont rarement considérés comme satisfaisants, sauf pour le jeu vidéo qui bénéficie d'une espèce d'aura » estime-t-elle.
De même, les conditions techniques pour la lecture ne sont pas toujours idéales. Encore aujourd'hui, télécharger un film ou passer par Popcorn Time peut être plus pratique que de passer via une offre légale, qui peut être incompatible avec un système de diffusion (type AirPlay ou Chromecast), avoir des problèmes techniques ou simplement devoir refuser la lecture d'un contenu sur une plateforme, parce que son propriétaire l'en empêche légalement. Même si les services tentent bien d'être disponibles partout, ce sont à la fois des négociations et des développements longs et coûteux. Les quelques ratés au démarrage de FnacPlay, dont de nombreux soucis de lecture, sont là pour attester du problème.
Les services doivent donc redoubler d'astuce pour combattre les prix élevés. Sur ce terrain, la société exploite deux leviers : les packs par saison, avec une forte réduction par rapport au prix par épisode, et des promotions régulières négociées avec les ayants droit. Pourtant, les prix restent élevés face à l'offre gratuite (légale ou non) et au marché historique du DVD, qui reste l'un des principaux freins au développement de la VOD.
Le DVD, l'épée de Damoclès de la VOD
« Là, il faut poser la question aux studios : pourquoi vendent-ils leurs séries moins cher en DVD qu'en numérique ? Pour ma part, je ne peux pas vendre à perte ! » déclare Julien Vin-Ramarony de VOD Factory. Car c'est là que le bât blesse : une même série sera souvent vendue moins cher en version physique (DVD et Blu-ray) qu'en vidéo à la demande. Cela sans compter les remises permanentes des principaux revendeurs, qui sabrent les prix pour l'achat d'un nombre donné de coffrets, par exemple. Le problème se pose moins directement pour les films, dont la location en VOD reste globalement moins chère qu'une place de cinéma ou un DVD.
« Mon avis personnel, c'est qu'un contenu devrait coûter moins cher en numérique, vu qu'il n'y a pas de support physique » affirme le patron de la startup, qui respecte les prix voulus par les ayants droit. Surtout, certaines pratiques classiques du marché physique ne sont pas encore réplicables sur les séries en numérique, comme les packs de plusieurs saisons. Autant de limites qui rendent l'offre physique plus intéressante aujourd'hui, surtout pour les plus patients. Mais ce n'est pas tout.
Un système plutôt récent porte aussi un sérieux coup à l'intérêt de la VOD pour les séries : UltraViolet. Avec leurs coffrets de séries, certains éditeurs fournissent une « copie digitale », consultable facilement via plusieurs services en ligne. En France, peu de services supportent ce système : l'ancêtre Flixster et Nolim, lancé en début d'année par Carrefour. Il est donc possible d'acheter les deux versions d'une série (physique et numérique) moins cher qu'en numérique simple, voire de revendre la version physique en conservant la « copie digitale ».
Une concurrence de plus qui n'inquiète pourtant pas VOD Factory. « Plein d'éditeurs ne font pas d'UltraViolet, donc c'est un cas de figure extrême » estime Julien Vin-Ramarony. L'entreprise a envisagé d'intégrer ce système, mais le peu de demande l'en aurait refroidi. « L'achat d'un objet physique avec la version numérique est encore rare » renchérit-il.
Les exclusivités télé, un bâton dans la roue du simulcast
Au-delà de la question des prix, l'offre DVD reste pour l'instant plus complète que celle en VOD payante. Sur ce sujet, la responsabilité peut être à chercher ailleurs que chez les studios ou les services en ligne. Traditionnellement, les chaines TV s'octroient l'exclusivité de la diffusion des séries qu'ils mettent à l'antenne. « C'est un peu la loi du plus fort, et en général ce sont les chaines de télévision qui s'emparent du maximum d'une exclusivité, ce qui crée un vide numérique », par exemple six mois avant et après la diffusion d'un film à l'antenne, nous affirme VOD Factory.
Pour les séries, « le cas général, c'est qu'on a le droit d'exploiter une saison en VOD le lendemain de la diffusion du dernier épisode » même si aucune règle n'est établie, explique la startup. « Les chaines de télévision sont très protectrices de leur business, sont hyper puissantes sur le marché de l'achat de droits et imposent des gels de droits de façon systématique, alors qu'au fond, les mettre en VOD en parallèle ne change rien » estime Julien Vin-Ramarony. Pour lui, la diffusion payante en VOD ne pourra pas faire de l'ombre à une diffusion gratuite en TV, contrairement au piratage et à la vidéo à la demande par abonnement (SVOD).
« Ce qui est sûr, c'est que le mécanisme d'exclusivité brouille les pistes pour l'utilisateur » abonde Pauline Blassel de la Hadopi, notamment dans le cas de la SVOD, type Canalplay ou Netflix, qui donne une fausse impression d'offres complètes. Pour se renforcer sur la disponibilité des contenus, VOD Factory compte sur la vente d'épisodes de séries étrangères un jour après leur diffusion TV, avec la possibilité de précommander des saisons complètes (en ligne ou en magasin Fnac) si les chaines françaises ne se les ont pas accaparées. « Ce sont des produits difficiles à trouver ailleurs, hyper premium. Moi j'y crois ! » lance son patron.
Le CNC et la Hadopi engagés sur la disponibilité des œuvres
Pour les acteurs publics aussi, la question de la disponibilité est épineuse. C'est pour cela que le CNC a lancé un outil de recherche d'œuvres dans l'offre légale en début d'année, affiché sur des sites spécialisés. Il intègre la majorité des plateformes et présente chacune d'elle avec le prix pratiqué. Contacté sur le sujet, le CNC n'a pas pu répondre à nos questions.
Fin 2013, c'était la Hadopi qui lançait son site offrelegale.fr, qui affiche les plateformes licites. Le site permet aussi aux internautes de remonter les oeuvres indisponibles, que l'autorité va demander auprès des ayants droit. Un an et demi plus tard, la Hadopi a tiré un premier bilan des signalements reçus et des réponses des ayants droit. 77 % des contenus demandés étaient effectivement indisponibles en ligne.

Là encore, la concurrence du DVD joue. « On constate qu'il y a effectivement une plus grosse disponibilité en DVD qu'en VOD des œuvres signalées, alors que les gens vont plutôt chercher un support numérique moins coûteux » analyse encore Pauline Blassel. Une autre difficulté est la capacité des internautes à trouver une série, sachant que 23 % des séries signalées comme indisponibles étaient effectivement présentes légalement en ligne.
Dans l'absolu, la question des droits reste une limite importante. « Tous les ayants droit n'ont pas répondu à nos demandes, loin de là. Ce n'est pas forcément de la mauvaise volonté (même si parfois il y en a), mais simplement que la gestion des droits est très complexe, qu'en général les ayants droit sont très nombreux et que, même sans mauvaise volonté, ils peuvent se renvoyer la balle longtemps » avant de pouvoir mettre une œuvre en VOD.
Sur les fonds de catalogue, le débat entre auteurs et producteurs
L'étude de la Hadopi illustre un autre problème : près des deux tiers des séries signalées datent d'avant 2000. En clair, les fonds de catalogue des éditeurs semblent encore largement indisponibles. Dans leurs discussions, l'autorité a reçu plusieurs raisons à cela : numériser ces contenus serait coûteux pour les ayants droit, pour une consommation qui n'est pas assurée, pendant que les plateformes chercheraient à être sélectives, y compris sur les séries anciennes, pour éviter des coûts inutiles.
« On doit rester humbles sur nos données. C'est difficile de savoir quelle est l'intensité de cette demande, combien de contenus elle concerne, etc. On nous les signale, mais est-ce qu'on parle de deux personnes, de dix personnes, même cent personnes ? » s'interroge la secrétaire générale de la Hadopi.
Sur ce sujet, une autre explication entre en jeu : la divergence d'intérêts entre producteurs et auteurs. « Ce qui a de la valeur pour [les éditeurs], c'est le catalogue mais aussi l'attente ou l'évènement qu'ils peuvent créer », par exemple via des rééditions, explique la Hadopi. Alors que l'intérêt de l'auteur serait plutôt l'exploitation continue de leur contenu, notamment en ligne.
« La difficulté reste de convaincre les ayants droits, surtout les majors américaines, qu'il faut être innovants sur le terrain de la tarification, du marketing... C'est très compliqué » abonde Julien Vin-Ramarony. « C'est l'une de nos grosses batailles de réussir à les faire bouger. On a toujours du mal à comprendre pourquoi ils mettent autant de difficultés à rendre leurs contenus disponibles alors qu'ils sont déjà sur Popcorn Time » regrette le patron de VOD Factory.