Notre espace en ligne est de plus en plus pollué. Par la publicité, les trackers en tous genres et autres pratiques détestables. Si la gratuité d'accès des sites est intéressante pour l'internaute, elle doit répondre à un autre contrat... et chacun doit agir.
La 21e Conférence des parties (ou COP21) se tient à Paris depuis le début de la semaine, et pour encore quelques jours. Alors que tout le monde s’interroge sur la manière et les moyens de limiter le réchauffement climatique à 2°C, nous nous sommes de notre côté interrogés sur un type particulier de pollution qui commence à chauffer les internautes : la publicité.
Tout le monde l’a en effet remarqué, avec le temps, les sites sont devenus de véritables sapins de Noël. La tendance n’est pas nouvelle, mais se renforce chaque année un peu plus : de blocs de recommandation plus ou moins racoleurs aux vidéos en lecture automatique, la publicité mange chaque jour un peu plus de place sur les sites que nous visitons. Comme un air trop pollué, Internet devient de plus en plus irrespirable.
Publicité en ligne : une situation qui n'est plus tenable
Derrière cette montée en puissance, plusieurs explications. Il y a bien entendu la gourmandise sans fin de certains acteurs, qui veulent presser toujours un peu plus le citron quitte à inventer des idées de plus en plus mauvaises pour y parvenir. Il y a aussi la bêtise de ceux qui ont pensé que l’on pouvait faire gonfler le gâteau de l’audience sans fin et que cela pouvait se faire à coût de réduction des tarifs unitaires.
Mais il y a surtout la croissance du nombre d’internautes qui, exaspérés par l’amoncèlement des pratiques détestables (voir notre sondage), ont décidé de se réfugier derrière des bloqueurs de publicité. Un peu comme certains mettent des masques pour se protéger d'un air devenu malsain.
Et l’on en est là : des sites qui vous imposent des interstitiels avant d’arriver sur une page contenant plusieurs espaces publicitaires avec des visuels qui bougent, des vidéos avec deux minutes de pre-rolls, des éléments qui apparaissent dans un contenu éditorial dès que vous avez le malheur de scroller et des blocs qui vous recommandent les contenus du moment, comme cette superbe technique pour obtenir un iPhone 6 à seulement 1 euro ! Tout cela pour tenter de mieux assurer la rentabilité des pages vues par les internautes.
L'audience, Dieu unique et tout puissant de l'internet gratuit
Mais il faut aussi les multiplier ces pages, et s’assurer la meilleure part du gâteau de l’audience. Il y a certes des techniques plus ou moins avouables comme l’auto-refresh (voir notre analyse), la course au référencement, l’intégration de services de conjugaison, mais à l’heure des réseaux sociaux, le SEO ne suffit plus, il faut aussi faire le buzz.
Il faut donc parler de tout ce qui a le moindre rapport avec des chats, des derniers clashs sur Twitter, du dernier teaser de 46 secondes de Star Wars, de faits divers parfois inventés ou de la dernière rumeur du moment, tant qu’elle concerne Apple, Free ou Samsung. Et surtout faire vite, court ou faire des listes. C’est bien les listes.
Et si parfois il faut un peu s’arranger avec la vérité, ce n’est pas grave. Au pire, s’il y a un problème, on pourra publier un démenti. « Une information et un démenti, ça fait deux informations ! » comme dit l'adage.
Internet, qu'es-tu devenu ?
L’internet gratuit était plein de promesses, il est arrivé en moins de 20 ans à devenir détestable. Les internautes se protègent donc comme ils peuvent, et le petit monde des éditeurs et des publicitaires commence à s’en apercevoir, et à s’en inquiéter.
Pendant longtemps, ils ont surtout couru vers la prochaine ressource à exploiter. C’était au départ des bannières de plus en plus imposantes, puis est venu Flash, le contenu sponsorisé, les formats natifs ou la vidéo. À chaque fois, on pensait avoir trouvé la solution, celle qui allait nous permettre de stabiliser le marché pour quelques années. Mais à chaque fois on est passé de déceptions en petits arrangements.
On a presque réussi à se débarrasser de Flash, mais le natif a entre temps favorisé le contenu sponsorisé qui n’est pas toujours très bien indiqué. Pour certains, la vidéo est encore en plein essor, d’autres sont conscients que les coûts de production impliqueront des besoins de financement importants, et que le modèle gratuit ne suffira pas.
Et alors que certains commencent à faire émerger de nouveaux modèles (payants), de Patreon à Tipeee en passant par YouTube Red, d’autres cherchent à faire perdurer le tout gratuit alors que les bloqueurs de publicité continuent de gagner du terrain.
Derrière L.E.A.N., la volonté de maximiser la collecte de données
Le monde de la publicité a donc fait son mea culpa. Alléluia ! L’IAB dévoilait récemment son projet L.E.A.N. pour faire comprendre qu’elle avait compris : il faut désormais de la publicité sobre, sécurisée et respectueuse de l’internaute. Un peu comme la grande surface qui se met à découvrir qu’elle peut proposer des produits certifiés agriculture biologique pour éviter que le client parte acheter directement au petit producteur.
Mais voilà, de l’initiative L.E.A.N. on sait encore peu de choses. La semaine dernière, l’IAB France tenait son colloque annuel mais a finalement assez peu parlé concrètement de ce projet, qui semble pour le moment être surtout un étendard permettant de crier au monde « je vous ai compris ».
Dans le même temps, les acteurs présents sur place montraient leur accord sur de nombreux points : tout le monde est allé trop loin, les erreurs sont nombreuses, le retargeting mal fait énerve et n’a aucun intérêt. Si certains évoquent la possibilité de bloquer les utilisateurs de bloqueurs, tout le monde n'est pas d'accord. Et quand bien même, cela ne pourra pas se faire sans proposer autre chose que les pratiques actuelles.
Il n’y a d’ailleurs pas que les internautes qui sont énervés. Lorsqu’on lui parle de hausse des tarifs, l’UDA (Union Des Annonceurs) répond qu’il faudrait que ce qu’on lui vende soit de meilleure qualité. Car chacun est conscient que le problème du marché publicitaire actuel, c’est qu’il s’agit d’un Far West où certains jouent au poker menteur. On commence donc à parler d’audiences certifiées, de renforcement de la visibilité et donc de combattre la fraude.
Si tout n’est pas parfait, les choses semblent avancer dans le bon sens. Sauf pour un point. Alors que l’on peut espérer une baisse de la pression publicitaire et des pratiques plus intéressantes pour tout le monde à plus ou moins long terme, le marché de la publicité compte bien sûr un élément clef pour y arriver : la data.
Le potentiel de la data intéresse tout le monde, le choix de l'internaute... moins
Ce nouvel or noir est de toutes les présentations, sur toutes les langues. Certains salivent rien qu’à regarder ce qui est déjà en place mais surtout en pensant à ce qui nous attend. Les cookies n'ont plus la préférence, tout le monde applaudit l'existence des fameux Device ID permettant d'identifier un appareil en particulier.
Internautes, vous n’êtes plus que des yeux qui doivent regarder de la publicité ou des doigts qui doivent cliquer, vous êtes surtout des profils qu’il faut assembler, mettre en contexte, cibler et accumuler. De quoi alimenter la machine du programmatique qui entre dans l'ère du Header bidding.
Quand la régie du Figaro concède qu’il faut placer moins de publicité sur ses pages, c’est ainsi pour nous rappeler que cela sera possible parce que 200 millions de ses cookies sont présents sur des machines, et que 15 millions de profils appairés sont constitués (!). Tenir un tel discours au Palais Brongniart, à quelques centaines de mètres de la CNIL, il fallait oser. Ses représentants, présents dans la salle, ont d’ailleurs certainement apprécié le message.
Le Figaro : 200 millions de cookies, 15 millions de profils. "On peut baisser la pression pub" #SoSmart pic.twitter.com/EXZuSfZFBY
— David Legrand (@davlgd) 26 Novembre 2015
Ainsi, si l’IAB et ses membres commencent à comprendre une partie de ce qui gêne les internautes, il reste sans doute du travail pour ce qui touche aux problématiques liées à la data et à la vie privée. Un sujet qui n’aura d’ailleurs pas vraiment été évoqué dans cette journée, si ce n’est par un représentant d’Orange Business Service qui n'a eu l’occasion d’évoquer son point de vue que deux minutes avant la clôture de sa table ronde.
Il aurait pourtant été intéressant de savoir comment appliquer bien mieux la directive sur le tracking et les cookies, que personne ou presque ne respecte. Ce qu'il en est du passage à HTTPS de l'ensemble de la chaîne publicitaire. L’avenir qu’il faut réserver à des initiatives comme le signal Do Not Track. Ce qu’il faut mettre en place pour simplifier la vie de l’internaute qui veut profiter de l’opt-out de toutes ces campagnes de ciblage pour que l’on respecte réellement son choix sur le long terme. Comment l’on peut assurer une amélioration de ses services via de l’A/B testing ou de la mesure d’audience sans partager les données des internautes avec Google. Une « fuite » des données encore souvent sous-estimée qui n’inquiète surtout que parce qu’elle permet à certains de récupérer des informations à peu de frais sur le dos des éditeurs.
Internet n'est que la somme de nos choix : agissons !
La question de la protection des données à l’heure du Big data sera sans doute l’une des batailles de 2016. Car alors que l’on s’inquiète des surveillances de masse, on oublie parfois qu’elles ne concernent pas que l’État, mais aussi et surtout les sociétés qui sont présentes dans notre quotidien.
Et face à cette surveillance là, les sites d’information qui ont parfois déjà cédé à la publicité à outrance ou à la montée en puissance des contenus qui font le buzz ne sont pas toujours des remparts, mais parfois des complices. Il va donc falloir que les mentalités évoluent, que la CNIL monte au créneau et assume de manière plus visible son rôle sur ces questions.
Mais les internautes doivent aussi mieux comprendre de quoi il en retourne, et prendre conscience que les menaces invisibles ne sont pas pour autant inexistantes. Il faudra les en informer. Comme nous n’avons cessé de renforcer nos engagements sur ces questions ces dernières années, nous renforcerons aussi nos efforts rédactionnels pour prendre notre part au débat.
Mais dans un cas comme dans l’autre, cela ne sera pas efficace si nous sommes les seuls à mener cette bataille. Internautes, blogueurs et chers confrères, il ne nous reste plus qu’à agir pour que l’internet que nous construisons pour demain soit plus sain que celui que nous détruisons à petit feu aujourd’hui... sans attendre qu’il faille une COP42 pour limiter les dégâts alors qu'il sera déjà trop tard.