La téléphonie mobile est un vaste domaine dans lequel les opérateurs investissent plus de 7 milliards d’euros par an depuis 2010. L'ARCEP fait le point sur les nombreuses facettes de ce sujet et en profite pour rappeler qu'elle sera attentive à la suite des événements, que ce soit sur les obligations de couverture ou la mutualisation des réseaux.
En plus de son observatoire sur le fixe, l'ARCEP vient de mettre en ligne son premier rapport sur « l'effort d'investissement des opérateurs mobiles ». Un vaste sujet qui déborde largement de la simple somme (en milliards d'euros) mise sur la table pour les différents opérateurs.
Il s'agit d'un point important pour le régulateur, qui note en préambule que le mobile occupe une place importante dans tous les aspects de la vie quotidienne : « Depuis deux ans déjà, la majorité des communications téléphoniques est passée à partir d’un mobile. Cette année, plusieurs chiffres pointent un basculement du temps passé devant les écrans mobiles par rapport aux écrans fixes ».
Une responsabilité des opérateurs et des pouvoirs publics
Afin de faire face à cette hausse des données en mobilité, il faut disposer de réseaux mobiles de qualité et suffisamment dimensionnés. « Cette responsabilité incombe à la fois au secteur des télécoms et aux pouvoirs publics » précise le gendarme des télécoms, qui ajoute que « l’investissement est le carburant de la connectivité ».
Si un tel rapport est mis en ligne pour la première fois en cette fin d'année, ce n'est pas un hasard. L'autorité rappelle que la loi Macron stipule que l'ARCEP doit évaluer « les investissements réalisés par chacun des opérateurs dans le déploiement d'infrastructures nouvelles ».
Des investissements de plus de 7 milliards d'euros par an
Dans l'ensemble, les opérateurs ont ainsi investi 2,2 milliards d'euros en 2014 pour le déploiement de leurs réseaux mobiles, soit environ 20 % de leurs revenus, selon le régulateur, et même plus de 7 milliards d'euros par an depuis 2010. Notez que cette somme comprend également les coûts liés au développement et à la commercialisation des offres de téléphonie mobile.
Selon une étude de la Commission européenne reprise par l'autorité, la France serait en tête des investissements par rapport aux autres pays d'Europe. Le plus gros des dépenses a été effectué entre 2010 et 2012 avec 4,7 milliards d'euros pour l'attribution de la quatrième licence 3G à Free Mobile, des fréquences 3G résiduelles (voir cette actualité) et les fréquences 4G (800 et 2 600 MHz).
De plus, entre 2015 et 2019, ils se sont déjà engagés à dépenser près de 2,8 milliards d'euros, juste pour l'achat des blocs de fréquences dans les 700 MHz. Il faudra encore déployer cette technologie, ce qui fera évidemment grimper l'addition, d'autant que les réseaux 2G/3G/4G ne sont pas encore terminés.
Si étendre la couverture mobile est un des pans du déploiement, ce n'est pas le seul. Les opérateurs doivent également entretenir leurs réseaux, mais aussi faire face à l'explosion « exponentielle » de la quantité de données qui y transitent. De près de 5 milliards de Mo début 2010, on est passé à 20 milliards début 2012, près de 60 milliards de Mo début 2014 et pas loin de 130 milliards de Mo au second trimestre de cette année.
Couvrir c'est bien, mais il faut également pouvoir absorber la quantité de données qui transite.
Pour le régulateur, la concurrence est un des moteurs de l'investissement : plus elle est forte, « plus les opérateurs ont intérêt à investir pour se démarquer des autres compétiteurs ». Ce fut par exemple le cas avec Bouygues Telecom qui a réutilisé la bande des 1 800 MHz pour mettre rapidement en place un réseau 4G conséquent, ce qui a poussé Orange à déployer rapidement le sien. À cela, certains opérateurs ont également rétorqué que la baisse des tarifs suite à l'arrivée de Free Mobile était un frein à l'investissement. Bref, la situation est complexe suivant l'angle sous laquelle on la regarde.
Les obligations de couverture
Avec l'achat des fréquences 4G, l'ARCEP impose certaines obligations de couverture. « En effet, les fréquences 800 MHz, dites « basses », offrent de meilleures qualités de propagation que les fréquences « hautes », au-dessus de 1 GHz, telles les fréquences de la bande 2,6 GHz, et permettent ainsi une couverture étendue du territoire. Les opérateurs ayant obtenu des fréquences 800 MHz (Orange, SFR et Bouygues Telecom) ont donc des obligations particulières d’aménagement du territoire ». Pour rappel, Free Mobile n'a rien remporté dans les 800 MHz, et il n'a donc pas les mêmes obligations.
Pour faire simple, voici un résumé des obligations de couverture 4G de chacun :
Free Mobile n'est concerné que par les échéances de 2015, 2019 et 2023, les trois autres opérateurs par toutes.
L'ARCEP pointe du doigt les stratégies différentes suivant les opérateurs : « Bouygues Telecom déploie la 4G principalement sur la bande 1 800 MHz, alors qu’Orange la déploie de manière plutôt équilibrée entre la bande 800 MHz et 2 600 MHz ». On peut également signaler que SFR mise davantage sur le 800 que sur le 2 600 MHz pour l'instant. Quant à Free Mobile, il n'a pas trop le choix : c'est quasi exclusivement du 2600 MHz et, depuis peu, quelques antennes en 1 800 MHz.
Couverture 4G « en propre » : Free Mobile passe devant SFR
Le régulateur en profite pour présenter une version actualisée du taux de couverture 4G « en propre » de chaque opérateur, aussi bien en terme de population que de territoire :
Orange est en tête avec 76 % de la population, contre 72 % pour Bouygues Telecom qui est second. La surprise vient par contre des troisième et quatrième places : Free Mobile est à 52 % de la population selon le régulateur, contre 39 % seulement pour SFR. Même situation sur le nombre de sites 4G : Orange en avait 7 493 en juillet 2015, contre 6 700 pour Bouygues Telecom, 4 108 pour Free Mobile et 3 458 pour SFR.
De fait, « les quatre opérateurs atteignent ainsi leur jalon de couverture de 25% de la population fixé à octobre 2015 » note l'ARCEP. L'autorité reste néanmoins attentive à la suite des opérations : « Un grand chemin reste toutefois à parcourir pour atteindre 99,6% de la population, en particulier dans les zones les moins denses ». Prochaine échéance nationale : 60 % de la population en 2019, ce qui est d'ores et déjà fait pour Bouygues Telecom et Orange.
Pour rappel, lors du relevé de décembre 2014 il était question de 72 % pour Orange, 71 % pour Bouygues Telecom, 53 % pour SFR et 33 % pour Free Mobile. À l'époque, l'itinérance de SFR sur une partie du réseau 4G de Bouygues Telecom était par contre prise en compte, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
Quid de l'évolution de la couverture en un an ?
On peut néanmoins remonter à juillet 2014 avec un bilan qui ne prenait alors pas en compte cet accord d'itinérance. En un an, voici donc l'augmentation de chacun des quatre opérateurs. Précisons tout de même que plus la couverture 4G est importante, plus il est difficile d'aller chercher de nouveaux clients :
- Bouygues Telecom : 6 points de plus (66 à 72 %)
- Free Mobile : 28 points de plus (24 à 52 %)
- Orange : 6 points de plus (70 à 76 %)
- SFR : 15 points de plus (24 à 39 %)
Pas de changement dans le haut du tableau, mais une inversion dans le bas : SFR s'est fait doubler par Free Mobile sur la couverture en propre, mais garde tout de même l'avantage si l'on prend en compte l'itinérance dont il dispose sur le réseau de Bouygues Telecom.
Tous ces chiffres prennent en compte les différents contrats d'itinérance.
Le cas particulier des obligations liées aux fréquences de 800 MHz
Quoi qu'il en soit, Bouygues Telecom, Orange et SFR ont également des obligations particulières liées à leur licence sur la bande des 800 MHz. Ils doivent couvrir 40 % de la population en zone de déploiement prioritaire en janvier 2017, 90 % d'ici 2022 et 97,7 % en 2027. Cela devrait être fait uniquement avec la bande de 800 MHz, sans compter les autres fréquences 4G.
Le bilan de l'ARCEP n'est pas aussi enthousiaste que pour les obligations générales sur le 4G : « En juillet 2015, Bouygues Telecom et SFR ne couvraient chacun qu’environ 1% de la population de ces zones peu denses, alors qu’Orange atteignait 25% ». De fait, l'autorité précise qu'elle « sera particulièrement vigilante au respect de l’obligation qu’ont ces opérateurs de couvrir 40% de la population de ces zones peu denses d’ici janvier 2017 ».
Mais ce n'est pas tout et les trois opérateurs (Free Mobile n'a pas de fréquences 800 MHz pour rappel), ont également des obligations département par département. La première échéance n'arrivera par contre pas avant 2024, il reste donc encore plusieurs années aux opérateurs pour déployer leur réseau.
Le taux de couverture en 4G sur les 800 MHz, la couverture des opérateurs département par département.
L'ARCEP toujours attentive à la 3G
Comme cela avait déjà été annoncé, Free a pour le moment respecté ses deux premières obligations liées au déploiement de la 3G : 27 % de la population début 2012 et 75 % en janvier 2015. Prochain rendez-vous avec le régulateur en janvier 2017 et il faudra alors couvrir au moins 90 % de la population. L'ARCEP indique que Free Mobile était à 80 % en juillet 2015.
« Orange et Bouygues Telecom dépassent quant à eux leur dernière échéance de déploiement » annonce l'ARCEP. Le cas de SFR est par contre encore en suspens. L'autorité a en effet ouvert une enquête administrative à l'encontre de la marque au carré rouge en mai 2014, comme elle l'avait d'ailleurs fait au même moment pour la couverture 3G de Free Mobile. Le dossier est encore en cours d'instruction et on ne sait donc pas officiellement si SFR dépasse les 99,3 % comme cela devrait être le cas depuis le 31 décembre 2013. Sur son site, la marque au carré rouge indique simplement que « 99% de la population couverte en 2G/3G+ », sans plus de détails.
Reste le cas des centres-bourgs dans les zones blanches, un dossier qui traine déjà depuis plusieurs années (voir notre analyse). Comme nous l'avions expliqué, un nouveau plan d'action a été mis en place récemment. Sur la 3G au mois d’octobre 2015 « plus de 40% du programme était réalisé » et les quatre opérateurs ont jusqu'au 30 juin 2017 pour l'achever. Sur la 2G l'avancement n'est pas précis, mais l'ARCEP « veillera avec une grande attention » à ce que « la couverture de l’ensemble de ces centres-bourgs (anciennement ou nouvellement recensés) » soit effective.
Le régulateur pousse la mutualisation des sites mobiles
Le gendarme des télécoms recense près de 40 000 sites mobiles distincts en France (56 % sont des pylônes, 31 % des toits-terrasses et 8 % des châteaux d'eau, le reste n'étant pas précisé). Le partage d'infrastructures passives (mise en commun des sites mobiles et des servitudes (électricité, climatisation, sécurité, etc.) est encouragé par l'ARCEP, qui note « que nombreux accords de partage d’infrastructures passives entre les opérateurs ». Si tout semble plutôt bien se passer sur ce point, Free s'était tout de même plaint auprès de l'ARCEP pour un différend qui l'opposait à SFR. L'affaire est désormais close, le gendarme ayant donné raison à Free Mobile.
Sur le partage d'infrastructure active maintenant, deux contrats sont passés à la loupe : l'itinérance de Free Mobile sur le réseau d'Orange et l'accord entre Bouygues Telecom et SFR. L’ARCEP a ainsi lancé dès juillet 2015 « des travaux d’analyse approfondie des deux grands contrats de partage de réseaux mobiles qui existent en métropole », dont les conclusions ne sont pas encore connues. Pour rappel, c'est un nouveau pouvoir hérité de la loi Macron.
L'autorité prépare ainsi « des lignes directrices » pour définir un cadre d'analyse du partage des réseaux, qui seront mises en consultation publique. Leur adoption est prévue pour le premier trimestre 2016 et « il appartiendra aux acteurs d’en tirer toutes les conséquences dans les plus brefs délais ».
Et la qualité des services dans tout cela ?
Si proposer une large couverture mobile est important, avoir des cartes précises l'est tout autant ; ce qui n'est pas forcément le cas actuellement. Comme cela avait déjà été annoncé, le régulateur « travaille à la publication de nouvelles cartes, plus proches de la réalité des usages et du ressenti, et plus en phase avec les attentes des clients, mais aussi des collectivités lorsqu’elles en viennent à s’interroger sur la couverture de leurs territoires : les obligations des opérateurs mobiles pourraient être complétées en ce sens ». Rien n'a pour autant été annoncé officiellement.
Afin de mettre en avant les forces et les faiblesses de chacun des quatre opérateurs, l'ARCEP publie régulièrement un observatoire de la qualité des services mobiles. Sur l'édition 2015 (voir notre analyse), la hiérarchie est la même que sur l'enquête de 2014 : « Orange devant, Bouygues Telecom et SFR au coude à coude avec un léger avantage pour Bouygues Telecom, Free Mobile derrière ». Un indicateur important à prendre en compte et qui peut faire pencher la balance lorsque plusieurs réseaux sont disponibles.
Enfin, l'ARCEP explique dans son rapport que la connectivité mobile est l'un des principaux enjeux de la régulation dans le numérique, et qu'elle occupera donc une place importante dans sa feuille de route stratégique qui sera publiée début 2016.
Bref, les opérateurs de téléphonie mobile devraient être mis sous pression par le régulateur, qui scrutera de près tous leurs mouvements. Il faudra maintenant voir si le gendarme des télécoms aura les moyens de ses ambitions, notamment avec un budget 2016 sûrement réduit, avec des missions toujours plus nombreuses.