Contenus sponsorisés en ligne : une loi claire, que personne ne fait respecter

Du coup, on s'fait un FIFA ?
Internet 10 min
Contenus sponsorisés en ligne : une loi claire, que personne ne fait respecter
Crédits : RichVintage/iStock

De dérives en dérives, le débat sur les contenus sponsorisés diffusés en ligne continue de faire rage. Pourtant, la loi est claire et devrait être simple à faire appliquer. Mais ceux dont c'est la charge semblent pour le moment être aux abonnés absents.

Cela fait maintenant plusieurs années que le contenu sponsorisé existe en ligne et que cette pratique fait débat pour ses dérives potentielles (ou avérées). Mais aujourd'hui, on la retrouve un peu partout. Elle est ainsi au cœur du financement de certains blogs mais aussi de sites de presse en ligne, ou même de vidéos diffusées sur des plateformes telles que YouTube. 

Contenu sponsorisé : quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup

Derrière ce terme, coexistent d'ailleurs des pratiques parfois assez différentes. Pour les médias écrits, il peut être aussi bien question d'un article rédigé par une marque ou une agence et diffusé par un site partenaire, que d'un contenu rédigé par un membre du site mais à laquelle la marque s'est associée.

Pour les vidéos, il en est de même : parfois il s'agit simplement de placement produit plus ou moins discret, dans d'autres cas, la vidéo est pleinement publicitaire et financée presque exclusivement par un annonceur.


Clip de fans ou dispositif publicitaire financé par Ubisoft ?

Mais voilà, comment savoir pourquoi un article est publié, qui le sponsorise, qui est intervenu dans sa création, qui a décidé de son contenu, et si les personnes qui apparaissent dans une vidéo sont là pour nous informer en donnant leur avis, ou s'il s'agit d'acteurs à la solde d'une démarche commerciale ?

Pour l'internaute moyen, cela s'avère d'autant plus complexe que les pratiques en ligne sont parfois complexes et peu claires. Faire la différence entre un site de presse travaillant avec des journalistes et un média géré par une société spécialisée dans le marketing ou le développement web n'est pas simple. Et tout le monde ne pense pas à regarder si un numéro de CPPAP est indiqué.

De petites ambiguïtés en grosses tromperies

D'autant plus que les mentions légales ne sont pas toujours présentes et détaillées, alors que la loi est assez claire sur cette question. De plus, on appelle vite journaliste ou pigiste un rédacteur web payé comme un auto-entrepreneur ou en droits d'auteur (loupé),  afin de donner un gage de sérieux (sans en respecter la convention collective). Une personne à la tête d'une équipe qui gère des campagnes complètes pour des annonceurs au sein d'une société de production passe ainsi assez vite pour un rédacteur en chef.

Les contenus eux, ne sont pas toujours très bien identifiés. Nous avons déjà relevé de nombreux cas (voir ici, ou encore ) où le mélange des genres a été rapidement fait. Mais ces pratiques continuent. Encore récemment, nos confrères d'Arrêt sur images évoquaient le cas des Inrockuptibles, qui publiaient un test sponsorisé de Fallout 4 ou du dernier Tomb Raider, rédigé par un membre de la rédaction.

Si certains pointent la « jeunesse » de certains  intervenants concernés, notamment les YouTubeurs, c'est oublier assez vite que ce sont derrière de véritables structures qui entrent en jeu, avec parfois une puissance commerciale assez importante comme le prouve le rachat récent de Mixicom par Webedia. Mais là encore, rien ne permet facilement de savoir quelle société se cache derrière une chaîne YouTube qui se contente d'arborer des visages sympas et souriants.

Preuve que cela ne touche pas que les médias sur le web, il était aussi question le mois dernier d'un reportage plutôt douteux au sein du Figaro Magazine à travers les péripéties de son rédacteur en chef. Preuve qu'une organisation en charge de veiller sur la déontologie des journalistes ne serait sans doute pas de trop. Évoquée dans un rapport de Marie Sirinelli l'année dernière, elle a été oubliée depuis.

Et cette tendance s'accélère à mesure que le marché publicitaire classique continue de décliner. D'autant plus que les marques y trouvent leur compte. Il s'agit ici d'une bonne manière de s'associer à l'image d'un site ou d'un média plus ou moins conciliant, tout en jouant de manière parfois assez subtile du mélange des genres, sans que l'internaute ne sache vraiment de quoi il en retourne... « Full disclosure » ? Connaît pas.

La loi est claire

Mais comment expliquer de telles dérives et de telles confusions ? Par un manque au niveau de la loi ? Pas vraiment. En effet, comme nous avons déjà eu l'occasion de l'évoquer à plusieurs reprises, différents textes abordent déjà ces pratiques et vont tous dans le même sens.

Ainsi, l’article 20 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique dispose que : « Toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée. L'alinéa précédent s'applique sans préjudice des dispositions réprimant la publicité trompeuse prévues à l'article L. 121-1 du code de la consommation. »

Le contenu de ce dernier est tout aussi clair : « Sont réputées trompeuses au sens de l'article L. 121-1 les pratiques commerciales qui ont pour objet [...] d'utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d'un produit ou d'un service alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l'indiquer clairement dans le contenu ou à l'aide d'images ou de sons clairement identifiables par le consommateur. »

L'ARPP confirme le besoin de clarté

Du côté des publicitaires, un organisme est en charge de vérifier que tout se passe dans les règles : l'Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP). Cet organisme d'auto-régulation établit ainsi des règles pour le secteur, qui ont été mises à jour encore récemment afin de prendre en compte quatre nouvelles pratiques : la publicité dans et des applications, la gamification (reprendre des mécaniques et signaux propres à l’univers des jeux), la publicité native et les objets connectés.

Mais il est question du contenu sponsorisé depuis quelques années déjà et là aussi les règles sont assez simples et claires. La publicité de manière générale doit ainsi « pouvoir être clairement identifiée comme telle, et ce quelle que soit la forme sous laquelle elle se présente. Cette identification peut se faire par tout moyen nettement perceptible permettant de rendre d’emblée non équivoque pour le public la nature publicitaire du message ».

L'annonceur doit pouvoir lui aussi être clairement identifié : « Tout annonceur, émetteur d’une campagne de communication publicitaire digitale doit être aisément identifiable. Cette identification doit être clairement perceptible et facile d’accès pour le public. L’identification peut se faire par la/les marque(s) de l’annonceur, ou tout autre signe distinctif rattaché sans ambiguïté à l’annonceur. En tout état de cause, un message publicitaire ne saurait induire le public en erreur sur l’identité de son émetteur et sa qualité ». 

Concernant les contenus sponsorisés plus spécialement, il est précisé que « Les blogs publicitaires et billets sponsorisés doivent pouvoir être identifiés comme tels, sans ambiguïté, de manière claire et immédiate, au besoin par une indication explicite. Une attention toute particulière sera portée sur la véracité et la loyauté du contenu de ces messages publicitaires, compte tenu de leur apparence éditoriale. »

On retrouve donc plusieurs éléments qui doivent clairement être mis en œuvre dans le cadre d'une telle campagne publicitaire : 

  • Une publicité doit être clairement identifiée comme telle
  • L'annonceur d'une publicité doit être clairement identifié
  • Le message doit être honnête et ne pas chercher à induire le consommateur en erreur

La loi sur la presse indique des mentions spécifiques à utiliser

Dans le cadre de la presse, on retrouve une obligation supplémentaire souvent méconnue, issue de la loi n° 86-897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, qui dispose dans son article 10 qu'« il est interdit à toute entreprise éditrice ou à l'un de ses collaborateurs de recevoir ou de se faire promettre une somme d'argent, ou tout autre avantage, aux fins de travestir en information de la publicité financière. Tout article de publicité à présentation rédactionnelle doit être précédé de la mention "publicité" ou "communiqué". »

Ainsi, une société de presse n'a pas le loisir d'utiliser les termes qu'elle souhaite pour distinguer une opération commerciale qui est mise en avant dans ses colonnes. On ne peut ainsi pas parler de « partenariat » par exemple pour évoquer le fait qu'un annonceur a payé pour qu'un contenu soit mis en ligne selon des dispositions particulières.

Les plateformes comme YouTube occultent le problème

Si le déficit ne vient pas de la loi, comment expliquer la situation actuelle ? Tout d'abord par le peu de cas que font les plateformes de ces dispositions. L'année dernière, nous avions ainsi interrogé YouTube sur le sujet afin de savoir si le service de vidéo comptait faire un peu le ménage de son côté. Il nous avait alors été répondu que les partenaires sont ceux qui ont à assurer la distinction de leurs contenus sponsorisés, et qu'en cas de manquement des sanctions pourraient être prises. 

Un an plus tard, force est de constater qu'aucune sanction ne semble au rendez-vous et que le contenu sponsorisé non indiqué comme tel a largement sa place sur YouTube. Il serait pourtant assez simple de proposer aux chaînes de préciser quelles vidéos contiennent du placement produit ou sont financées par une marque, puis de répercuter cette information. Cela ne semble pour le moment pas au programme.

C'est d'autant plus dommage que le contenu sponsorisé et le placement de produit n'est pas un mal en soit. On a encore vu récemment qu'il permettait de financer des longs métrages à petit budget en accès gratuit comme « Les dissociés » de Golden Moustache et ses presque 2 millions de vues. Mais cela devrait se faire dans une transparence complète, avec un peu plus qu'une mention « Cette vidéo comporte du placement du produit » à la 85e ligne de la description de la vidéo. Surtout que le public de ces médias sont en général assez jeunes.


Comment savoir que cette vidéo contient du placement de produit quand elle est intégrée ?

Personne ne fait respecter la loi (et c'est bien ça le problème)

Mais le plus gros déficit vient sans doute des pouvoirs publics. En effet, la loi existe, n'est pas respectée et pourtant rien ne se passe. Si l'on imagine que les associations de consommateurs pourraient monter au créneau, ce n'est pas encore le cas. L'ARPP de son côté semble bien conciliante sur le sujet et n'a semble-t-il pas eu à faire intervenir son jury de la déontologie publicitaire sur le sujet récemment.

Mais c'est avant tout le rôle de la DGCCRF que de prendre ce genre de questions en mains puisque des acteurs comme le CSA n'ont pas la main sur le contenu diffusé en ligne. Outre-Atlantique et outre-Manche, c'est par de tels organismes que le ménage a été fait (voir notre analyse). Les règles existent, il ne suffit que de les faire appliquer. Et quoi de plus simple que de trouver des cas de manquement en la matière et d'opérer des contrôles ? Pourtant, rien ne bouge.

Nous avions tenté de contacter la DGCCRF sur le sujet par le passé, mais le silence radio était de mise, comme pour d'autres confrères. Dans un article qui vient d'être publié par Le Monde, on pouvait néanmoins avoir une lueur d'espoir : « La répression des fraudes s’intéresse à la publicité déguisée chez les youtubeurs ».

Malheureusement, là encore, on semble en rester aux déclarations d'intention. Le cabinet de Martine Pinville, secrétaire d’Etat chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire a ainsi précisé à nos confrères que « ces réflexions sont en cours à la DGCCRF qui les intègre dans les enquêtes sur ces sujets » évoquant une problématique nouvelle, alors que l'on retrouve aisément des cas qui ont déjà quelques années. Est aussi pointé la difficulté dans certains cas de caractériser l'infraction. 

Pour rappel, l'organisme évoquait déjà dans son enquête sur les faux avis de consommateurs en juillet 2014, le cas des billets sponsorisés non identifiés comme tels. Mais rien de bien concret n'avait été évoqué à l'époque sur les actions menées. Là non plus. Depuis rien ne semble avoir vraiment bougé, et cela pourrait donc être le cas pour encore quelques années. À moins qu'une réelle volonté de mettre un terme à ces pratiques n'émerge.

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