Soulagement pour Mediapart et Arrêts sur Images : les députés ont adopté ce matin un amendement qui pourrait les épargner du contentieux pesant sur leurs épaules au titre de la TVA sur la presse en ligne.
La loi du 27 février 2014 avait aligné le taux de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à la presse en ligne. Ces services sont depuis soumis à une TVA de 2,1 % au lieu des 20 % normalement exigibles.
Seulement, ce taux super-réduit ne s’appliquait qu’à compter du 1er février 2014, laissant intactes les procédures de redressement en cours. Et plusieurs résonnent de longues dates : ce sont celles de Mediapart et d’Arrêt sur Images notamment, qui avaient l'un et l'autre décidé de s’autoappliquer le taux super-réduit dès 2008, en refusant bruyamment de facturer les 19,6 % alors en vigueur. Résultat ? Mediapart s’est vu récemment réclamer du fisc une ardoise de 4,1 millions d’euros et ASI près de 550 000 euros (Indigo Publications est également concerné, pour un montant inconnu).
Mettre en cohérence droit de la presse et droit fiscal
Selon l’amendement adopté ce matin, la TVA à taux réduit au profit de la presse en ligne va finalement rétroagir à compter du 12 juin 2009. Cette date n’est pas hasardeuse : elle correspond à l’entrée en vigueur de la loi Hadopi, dont l’article 27 a justement apporté une définition de la presse en ligne, laquelle ne visait auparavant que la presse télématique.
Pour les députés socialistes Christian Paul, Patrick Bloche, Jean-Marc Ayrault ou encore Aurélie Filippetti, « il était nécessaire de mettre en cohérence le droit de la presse et le droit fiscal, dès le 12 juin 2009 ». Dans leur exposé des motifs, les auteurs de l’amendement ajoutent que « le Parlement ayant unanimement voté l’extension du taux de TVA réduit à la presse en ligne en février 2014, il est souhaitable qu’aucune somme ne soit réclamée aux éditeurs dont la démarche, effectuée en toute transparence, avait permis d’attirer l’attention sur le manque de cohérence du droit fiscal et d’aboutir à une égalité de traitement de la presse, quel que soit son support, dont a bénéficié l’ensemble du secteur, pure-players mais aussi titres issus du papier qui ont pu développer leurs offres numériques payantes à la faveur de cet alignement du taux de TVA ».
D’autres députés LR avaient un temps déposé des amendements similaires à celui des députés socialistes (le 415 et le 47). Cette rétroactivité était également épaulée par les députés écologistes (amendement 256).
La question de l'intérêt général suffisant, aux yeux du Conseil constitutionnel
Le texte PS a en tout cas été adopté contre l’avis du gouvernement et à une courte tête (11 voix contre 10). S’il perdure au fil de la procédure législative, il devra surtout passer l’éventuel cap du Conseil constitutionnel. Certes, celui-ci ne rechigne pas à voir une loi fiscale rétroagir, mais du moment seulement où il constate l’existence d’un intérêt général suffisant.
Dans le passé, il a déjà considéré que cet intérêt général suffisant ne pouvait se limiter à un simple intérêt financier pour justifier la rétroactivité (voir ce panorama sur le site Impôts.gouv.fr). Fait notable, Patrick Bloche avait lui-même tiqué sur ce fameux critère lors des débats sur la loi relative à l’harmonisation des taux de TVA applicables à la presse en ligne : « Il n’existe pas de précédent où la loi fiscale aurait été modifiée rétroactivement dans le but d’éteindre des contrôles en cours, indiquait le président de la Commission des affaires culturelles. Avouons-le, chers collègues, un intérêt général serait difficile à démontrer dès lors que la loi s’appuie jusqu’à présent sur des dispositions communautaires parfaitement explicites, sans aucune ambiguïté. »
Vers le remboursement partiel de ceux qui ont respecté la loi
SI la loi est finalement rétroactive à juin 2009, elle devrait en toute logique entrainer un droit à remboursement pour le trop versé des entreprises de presse éligibles. Seulement, du fait de la prescription, « les contribuables qui ont appliqué le taux normal en 2009, 2010, 2011 ne pourront pas obtenir le remboursement ». C’est ce qu’a indiqué ce matin le secrétaire d’État au Budget, qui craint pour sa part une atteinte au principe d’égalité devant l’impôt : « Pourquoi y a-t-il clairement rupture d’égalité ? Parce qu’à partir de 2008, des contribuables se sont appliqué un taux de TVA de 2,1 %, tandis que d’autres appliquaient le taux de 19,6 %, puis 20 %, c’est-à-dire le taux normal. »
Finalement le remboursement ne sera ouvert aux sites de presse qui avaient respecté le taux fort que sur les années 2012, 2013, 2014, non avant (précisons que Next INpact a le statut « presse en ligne » depuis mars 2014, et a donc respecté le calendrier alors en vigueur).
Le dossier gagne d'ailleurs en complexité lorsqu’on sait que la Commission européenne a maintes fois rappelé que la directive TVA excluait l’application du taux super-réduit de TVA aux services de presse en ligne. « Elle nous a donc mis en demeure de revenir sur la loi qui a été adoptée – ce n’est pas la première fois. Quoi qu’il en soit, elle a confirmé que l’application d’un taux de TVA de 2,1 % à la presse en ligne était contraire à la directive » a encore rappelé Christian Eckert. En vain.
Pour faire face à leur redressement, ASI et Mediapart avaient chacun lancé un appel aux dons. Début novembre, le compteur au profit de Mediapart affichait 182 000 euros. À ce jour, celui d’Arrêt sur Images se chiffre à 227 838 euros. Sans compter la campagne de dons lancée sur le site J'aime L'info (environ 200 000 euros pour ASI et 400 000 euros pour Mediapart).