Au total, ce sont un peu plus de 200 réponses que le gouvernement a fini par apporter aux participants de la consultation relative au projet de loi numérique d’Axelle Lemaire. Décryptage.
C’est avec trois semaines de retard sur ce qu’avait annoncé Axelle Lemaire, la secrétaire d’État au Numérique, qu’ont finalement été dévoilées ces réponses. Mais sur ce dossier, c’est malheureusement un classique du genre (voir notre rétrospective). Après avoir invité les citoyens, associations et autres lobbys à faire valoir leur avis pendant trois semaines sur les articles de l’avant-projet de loi « pour une République numérique », l’exécutif a malgré tout tenu sa promesse de « répondre précisément aux propositions ayant reçu le plus de votes en expliquant pourquoi il les a retenues ou non ».
Bercy s’est plutôt bien prêté au jeu, en faisant environ 220 retours, plus ou moins détaillés, sur près de 700 propositions de nouveaux articles et 1 400 amendements. Ceux-ci concernent aussi bien les suggestions ayant finalement été intégrées dans la « V2 » du projet de loi numérique, que celles écartées. C’est d’ailleurs surtout pour ces dernières que les explications du gouvernement étaient attendues.
Bercy met en avant de nombreux obstacles juridiques, européens...
Comment l’exécutif s’est-il justifié ? Bien souvent, il a fait valoir que les discussions menées sur certains sujets au niveau européen l’empêchaient de légiférer au niveau national dès à présent. C’est par exemple ce qui a été rétorqué à Wikimédia France, qui plaidait pour l’introduction d’une « liberté de panorama » pour les photos d’œuvres situées dans des lieux publics. L’adoption, toujours en cours, du règlement européen sur les données personnelles a également été opposée à ceux qui réclamaient une augmentation du pouvoir d’amende de la CNIL ou une action collective en matière de litiges « numériques ».
Dans d’autres cas, il a été expliqué que la législation européenne ne permettait pas de répondre à certaines demandes, comme en matière de vente liée ordinateur/système d’exploitation.

Le gouvernement a aussi assumé des positions inverses à celles des internautes. Alors qu’un contributeur souhaitait que la CNIL puisse s’auto-saisir sur tout texte de loi d’origine parlementaire, Bercy a répondu : « Conférer un pouvoir d’auto-saisine [à] une autorité administrative – fût – elle indépendante – sur une proposition de loi est une proposition louable mais qui ne peut être retenue, dans la mesure où elle tendrait à remettre en cause les prérogatives souveraines du pouvoir législatif. » L’association Regards Citoyens, qui demandait à ce que le projet de loi numérique parle de « formats ouverts » et non de « standards ouverts », s’est elle aussi vu opposer une belle fin de non-recevoir.
Alors que certains taquins avaient demandé la suppression pure et simple de la redevance pour copie privée et même de la Hadopi, le gouvernement a ressorti son argumentaire habituel pour écarter ces deux propositions.
Quelques précisions sur les futurs décrets d'application
Dans beaucoup de cas, l’exécutif a temporisé en affirmant que certaines pistes ne relevaient tout simplement pas du domaine de la loi. C’est ce qui a été indiqué aux personnes qui voulaient que la DGCCRF soit explicitement désignée comme l’autorité administrative en charge de faire respecter la loyauté des plateformes, à ceux qui souhaitaient plus de précision sur le périmètre des futures « données de référence » que l’administration devra mettre prioritairement en Open Data, ou bien encore à l’association qui s’inquiétait du manque de clarté dans la définition du service de traduction que de nouveaux acteurs devront proposer aux personnes sourdes et malentendantes. Pour le gouvernement, tous ces points doivent être abordés par décret, non par la loi.
Tout cela a toutefois eu le mérite de conduire Bercy à préciser ses intentions quant à certains articles. Le décret d’application de l’article relatif aux avis d’internautes devrait par exemple préciser « que les règles de classement par défaut doivent être communiquées aux utilisateurs du site ». On apprend d’autre part que le futur « service public de la donnée » devrait voir le jour dans un délai inférieur à deux ans, ou bien encore qu’un « chantier interministériel est actuellement en cours pour faire progresser la mise en œuvre des dispositions amorcées par la circulaire [Ayrault de 2012] afin de recourir prioritairement au logiciel libre dans tous les cas qui le justifient, notamment au regard du type de fonctionnalités recherchées, de l’existence d’une communauté et des coûts de maintenance associés ». Il apparaît également que la licence ODbL « a évidemment vocation » à figurer parmi la future liste restrictive de licences à utiliser par les administrations ouvrant des données publiques.
Des réponses pas toujours très convaincantes
Parfois, le gouvernement a un peu manqué d’arguments, à propos par exemple du démantèlement progressif des cabines téléphoniques (prévu par la loi Macron). Bercy a simplement expliqué que la « décroissance vertigineuse » des publiphones et l'amélioration du réseau 2G justifiaient cette décision, alors que l’association Perdons pas le fil avançait avant tout que le réseau téléphonique filaire « reste actif, performant et disponible, en cas de coupure électrique, contrairement au réseau mobile ».
Pour rappel, la version définitive du projet de loi numérique est attendue pour le mercredi 9 décembre en Conseil des ministres.