En croisade contre les machines à voter, le sénateur Philippe Kaltenbach (PS) tente de longue date d’obtenir leur interdiction en France. Next INpact a pu interroger l’élu, qui pourrait faire revenir ce sujet sur le devant de la scène lors de l’examen du projet de loi numérique.
Autorisées depuis 1969, les machines à voter n’ont plus vraiment la cote. Un moratoire a en effet été introduit par les pouvoirs publics en 2007, suite à différents incidents survenus en cette année d’élections présidentielle et législatives : écarts entre le nombre d’émargements et de votes, temps d’attente parfois très long pour les utiliser, etc. Depuis, aucune nouvelle autorisation n’a été délivrée. En 2012, on dénombrait ainsi une soixantaine de villes qui utilisaient toujours cette technique de vote, pour environ 1,1 million d’électeurs concernés.
Durant l’été 2014, le sénateur Philippe Kaltenbach a toutefois déposé une proposition de loi « visant à supprimer le recours aux machines à voter pour les élections générales ». L’objectif ? Obliger les quelques villes qui continuent à utiliser ces appareils à les abandonner purement et simplement...
Où en est votre proposition de loi ?
Elle n'a malheureusement pas beaucoup prospérée, puisqu'elle n'a pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat. Il y a un fort lobbying de la part de la soixantaine de villes qui continuent à utiliser ces machines à voter et qui ne veulent pas revenir au vote papier.
Avez-vous eu des échanges avec le gouvernement sur ce dossier ?
Oui, mais je crois que le gouvernement n'a pas envie d'allumer un front avec ces soixante villes qui font de la résistance. Il n'y a donc pas eu d'avancée sur ce sujet.
Ce n'est pas cohérent puisqu’il y a un moratoire depuis 2007 : il serait temps de choisir ! Soit on réouvre parce qu'on considère que le système est fiable, soit on ferme... Un moratoire n'a pas vocation à être éternel. C'est une contradiction qui est flagrante, d’autant que toutes les critiques de 2007 continuent à être là.
L’exécutif a récemment justifié sa position en affirmant qu’aucun dysfonctionnement remettant en cause la sincérité d’un scrutin n’avait jusqu’ici été relevé. Que répondez-vous à ça ?
Qu'on en sait rien ! Et c'est d’ailleurs bien le problème de ce vote électronique... Rien ne dit qu'il y a des fraudes, mais rien ne dit qu'il n'y en a pas non plus. Rien ne dit que tout est parfait, mais rien ne dit que ce n'est pas le cas non plus. C'est toute la difficulté.
S'il y a eu un moratoire en 2007, c'est bien qu'il y a des difficultés. Il y a eu des gros dysfonctionnements en Belgique, en Hollande, dans pas mal de pays européens – qui ont depuis fait machine-arrière. D’ailleurs, tout informaticien vous dira que le risque de bug existe : il n'y a pas de système informatique sans bug. Et puis qu'il y a aussi le risque de fraude...
Dans un système électoral, les citoyens doivent pouvoir facilement contrôler ce qui se passe. Or avec le vote électronique, les citoyens ne contrôlent rien du tout. C'est l'entreprise et les informaticiens qui contrôlent, mais ce ne sont pas les citoyens. Alors qu'avec un vote papier, le citoyen est vraiment au cœur du système, il peut contrôler toutes les phases électorales, ce qui donne quand même beaucoup plus de garanties. Et puis tout ce qui a été avancé en faveur du vote électronique ne tient pas la route : il n'y a pas plus de participation aux élections, il n'y a pas d’avantages écologiques (puisque d'un côté il n'y a pas de papier mais de l'autre on fabrique des machines qui coûtent cher et qui consomment...). Il y a certes un vernis de modernité, mais tout cela pose des difficultés puisqu'il y a beaucoup de citoyens qui ne sont pas d'accord et qui contestent... Il y a toujours ce risque soit de fraude, soit d'erreur. Je crois qu'il y a vraiment un manque de fiabilité.
En supprimant le rituel du vote papier, en votant un peu comme on achèterait quelque chose sur Internet, on casse aussi ce rituel démocratique qui tourne autour de l'urne, du dépouillement, etc. À terme, ce n'est pas bon pour la démocratie que les machines déshumanisent ce processus.
Pourquoi n'avez-vous pas réussi à trouver de créneau pour inscrire votre proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat ?
Il y a à la fois le lobbying des soixante communes, mais aussi celui des fabricants de machines, car c'est un gros business. Disons que c'est à la fois technique et politique.
Qu'allez-vous faire maintenant ? Pensez-vous pouvoir trouver une niche, vous rabattre sur un amendement... ?
Je continue bien entendu à défendre l'interdiction en France. On ne va pas lâcher, mais il va falloir trouver le moyen, par amendement, de revenir sur le sujet.
Dans le cadre du projet de loi numérique d'Axelle Lemaire par exemple ?
On va essayer, si c'est possible juridiquement, pour qu'on en finisse avec ce moratoire ! Quitte à mettre une date de sortie dans trois, quatre ou cinq ans...
Merci Philippe Kaltenbach