Toutes les données publiques des parlementaires, compilées et vérifiées, c’est l’ambition du projet Arcadie. Un service lancé pour les élections régionales par une ancienne assistante parlementaire, Tris Acatrinei, malgré la réticence de certains élus.
Chercher les informations sur un parlementaire n’est pas chose aisée. Éparpillées et peu vérifiées, ces données publiques demandent un travail particulier pour être utilisables. C’est ce problème qu’a voulu régler Tris Acatrinei, assistante parlementaire à l’Assemblée nationale entre octobre 2013 et 2014, après un passage remarqué à la Hadopi. À l’occasion des élections régionales, elle a lancé le projet Arcadie, un service payant compilant l’ensemble des données des parlementaires français, recoupées par ses soins.
« Je me suis rendue compte que les parlementaires se connaissaient peu entre eux et que je ne disposais pas d'un outil unique où trouver toutes leurs infos. J'étais obligée de regarder le site de l'Assemblée, celui du Sénat, sur l'organigramme des partis, sur leur fiche Wikipédia... Dont certaines ne sont pas vraiment en accord avec la réalité, surtout quand le parlementaire est peu connu. J'avais besoin d'un outil pour répondre à mes propres besoins » nous explique Tris Acatrinei.
Chaque fiche présente tous types d’informations : le mandat, le rattachement financier, les résultats d’élection, la profession ou encore les moyens de contact.
Un outil pour citoyens, journalistes, lobbyistes et politiques
« Pour certains parlementaires, trouver les informations peut prendre quelques minutes. Pour d'autres, c'est plutôt deux heures ! Là, en deux clics, c'est fait » explique-t-elle. Pour arriver à ce résultat, l’ancienne collaboratrice parlementaire a travaillé un an à plein temps sur son service, avec de l’aide bénévole sur la communication et le développement commercial. Seul un graphiste a été engagé pour le logo.
Dans sa version actuelle, le service propose une fiche par parlementaire, des moteurs de recherche aux nombreux critères et la possibilité de mettre un parlementaire en « favori ». Des outils qui doivent pouvoir servir à tous, même si les clients les plus évidents sont les journalistes, les lobbyistes et les politiques eux-mêmes.
« Le projet Arcadie est un outil de travail pour mieux connaitre ses parlementaires, pour mieux les cibler. Ce n'est pas le Facebook parlementaire » affirme Tris Acatrinei. L’outil permet par exemple de chercher tous les parlementaires d’un parti qui sont avocats et cumulent avec un mandat de maire, en quelques clics. « C’est génial pour le fact-checking » ou pour un politique qui veut cibler une campagne, plaide sa créatrice. Derrière ces fonctions se cache donc un gros travail sur les données, qui n’a pas toujours été simple.
Compiler les données, contacter les parlementaires et tout vérifier
En tout, cinq mois ont été nécessaires pour compiler les données, tout en gérant les relations institutionnelles. « Le premier travail a été de déterminer les sources de données. Puis il y a eu la constitution du fichier, avec le tri. Récupérer tous les comptes Facebook, tous les profils Twitter, LinkedIn était assez pénible, surtout avec les comptes parodiques » résume Acatrinei. De même pour certaines professions et le cumul avec certains mandats, comme maires ou membres du conseil municipal de petites villes, qui demandent du temps pour être vérifié.
La création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) fin 2013 l’a d’ailleurs aidée. « Mes sources de données sont l'Assemblée nationale, le Sénat, le ministère de l'Intérieur, la HAPVT et les différents partis et, dans certains cas, le parlementaire lui-même, même si certains ont fait des petits arrangements avec la réalité dans leurs déclarations » liste-t-elle.
Une liste a été compilée spécifiquement pour ce projet : celle des collaborateurs, que partagent parfois certains parlementaires. « Certains conjoint et élus régionaux sont collaborateurs. Un collaborateur peut travailler pour deux ou trois parlementaires, ce qui veut souvent dire qu'il y a une certaine connivence d'idées entre eux » nous explique-t-elle encore. Un travail facilité du côté du Sénat, qui a publié lui-même cette liste.
Ces informations sont enfin vérifiées auprès des parlementaires eux-mêmes, qui ont tous reçu leur fiche, et leur parti un courrier. La mise à jour des données, elle, est un travail constant. Les parlementaires doivent signaler certains changements à la HATVP (changements professionnels, collaborateurs et autres mandats), quand d’autres sont de la responsabilité directe du projet Arcadie. « Derrière, des machines surveillent un certain nombre de choses et m'alertent quand elles repèrent une modification. C'est par exemple le cas des commissions, qui sont un vrai jeu de chaises musicales » déclare sa créatrice.
Le traitement des données, de la CNIL aux menaces de procès
La première autorité qu’a contactée Tris Acatrinei est la CNIL, « pour étudier la faisabilité juridique du projet ». « Sur le droit d'auteur, je n'ai pas eu besoin d'aide. Je m'y connais un petit peu ! Par contre, j'avais des interrogations sur l'open data et besoin l'avis de la CNIL avant de faire quoi que ce soit » poursuit Acatrinei, qui s’est entourée d’avocats pour valider chacune de ses actions.
L’idée principale du projet est l’égalité de traitement entre tous les parlementaires. « Le projet Arcadie, que ce soit le site web ou le compte Twitter, est neutre » défend sa conceptrice, qui a évité d’ajouter certaines informations pour éviter de donner un avantage à certains. C’est par exemple le cas de la photo, dont les versions sur les sites parlementaires sont soumises au droit d’auteur et qui sont plus ou moins réussies selon la personne.
Si certains parlementaires ont accueilli l’initiative à bras ouverts, d’autres ont été plus... sceptiques. « Certains ont réagi de façon assez virulente, m'ont demandé de censurer des informations, ce que je n'ai pas fait » défend-t-elle. D’autres ont demandé à ajouter des informations plus promotionnelles, comme la présidence d’associations, ce qui a aussi été refusé.
D’autres, enfin, ont menacé le projet de poursuites, notamment pour l’exploitation commerciale de leurs données. « À ceux qui étaient virulents, j'ai expliqué que je ne changeais pas les licences des données utilisées. Rien n'empêche les gens de continuer à consulter des tableurs avec des millions de lignes ! » explique-t-elle.
« Pour ceux qui vont effectivement mettre leurs menaces à exécution, grand bien leur fasse, même si je ne vois pas le fondement. Il est évident que je vais sortir les dents » prévient-elle enfin, se demandant si ces personnes ont quelque chose à cacher. Les refus et menaces de parlementaires ont été transférées à un avocat, au cas où.
Un modèle payant accessible aux petites entreprises
Dans les faits, le projet Arcadie est disponible pour un tarif de base de 75 euros par mois. Ce système a été préféré à la publicité, entre autres pour des raisons de lisibilité et de vie privée. Il est destiné aux petites entreprises et rédactions, qui devraient pouvoir se permettre de payer ce prix pour un tel service. C’est aussi parce que le service est payant que l’accord de la CNIL a été important, estime sa créatrice.
Surtout, le projet a été financé à 100 % sur fonds personnels : pas de subventions publiques, ni d’investisseur privé. Encore une fois, le but est de garantir l’indépendance du service.
Côté gratuit, certaines fiches de parlementaires sont rendues accessibles, en fonction de l’actualité. Un moyen, aussi, de faire découvrir ceux d’entre eux qui sont peu connus. Un tableau dédié aux candidats aux élections régionales a été mis en ligne, qui sera sûrement suivi d’un autre pour les primaires de l’élection présidentielle.
De premiers clients potentiels se sont manifestés, des pistes qu’il reste à concrétiser. « Le problème est que, même si le dirigeant est intéressé, la comptabilité doit valider et se pose la question des modalités de règlement » apprend-on. La communication autour de la société devrait prendre de l’ampleur dans les prochaines semaines.
De nouvelles fonctions et une extension européenne
Après une année de travail et un mois d’activité, les pistes d’amélioration sont nombreuses pour le site. Sa conceptrice compte lancer un blog pour expliquer les rouages du parlement, là où les blogueurs en exercice comme Authueil sont concentrés sur son actualité. « Il manque un point de référence pour expliquer l'Assemblée, que les blogueurs actuels semblent aussi vouloir voir arriver. Je compte le lancer quand j'aurai plusieurs articles dans chaque catégorie, donc ça va prendre du temps » explique sa conceptrice.
Côté fonctions, chaque fiche de parlementaire doit être enrichie. D’abord avec des posts-it où noter des informations et actions sur chacun. Ensuite, une bibliographie avec les ouvrages écrits par un parlementaire donné, ou dans lesquels ils apparaissent. Enfin, un nouvel un onglet devrait apparaitre, avec l’activité parlementaire de la personne : ses projets de loi, ses rapports de commission, ses amendements, voire le détail de sa réserve parlementaire (même si la liste peut très vite s’allonger).
Surtout, le service sera étendu à de nouvelles contrées lointaines, comme le Conseil économique, social et environnemental (CESE), « la troisième assemblée de France » dont on sait finalement peu. Le Parlement européen doit également suivre, étant l’une des principales demandes des utilisateurs potentiels. Des discussions sont déjà en cours avec les institutions européennes à ce sujet.
Enfin, le service devrait être étendu à la Roumanie. L’arrivée du nouveau président, Klaus Iohannis, l’année dernière, serait un renouveau politique pour le pays, notamment dans la lutte contre la corruption. Tris Acatrinei s’y est rendue le mois dernier, pour préparer une version du site dédiée au pays. « Il y a une révolution de velours en cours et je suis très optimiste sur ce qui se passe chez nous » résume-t-elle.
En attendant, le premier but est de développer le projet Arcadie, pour qu’il remplisse sa fonction en France, notamment citoyenne. Le but, au fond, est de garantir l’intégrité du service, qui passe par celle de la société. « Si je me plante, je me plante toute seule. Je veux garder mon indépendance » résume Tris Acatrinei, qui compte lancer des embauches quand elle le pourra.