L’idée de Nicolas Poirier a déjà été évoquée dans plusieurs médias : qu'une application soit éditée pour pouvoir joindre le 17 rapidement et de manière sécurisée. Ce juriste installé au Canada revient avec nous sur ce projet.
Pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de votre projet ?
Je souhaite que le gouvernement déploie dans les plus brefs délais une application du 17 (ou 112) permettant de signaler, dans une situation d'urgence absolue, l'imminence ou la survenue d'un attentat. L’enjeu est double : que ce signalement soit pris en compte instantanément par les forces de police pouvant intervenir à proximité et qu’il puisse se faire silencieusement pour ne pas compromettre la sécurité de celui ou celle qui en est l'auteur puisque sa vie ou son intégrité physique peuvent être en jeu.
Pourquoi avoir lancé une telle initiative ?
Parce que je me suis rendu compte que personne au gouvernement ne semblait avoir tiré les leçons des précédents, notamment l'attentat de Charlie Hebdo, mais aussi et surtout, le déséquilibré au fusil qui avait déboulé chez BFM avant de disparaitre et réapparaitre en tuant un journaliste à Libération.
Déjà, au moment de ces faits, j'avais été atterré de lire des témoignages qui montraient que les systèmes d'alerte ainsi que l'équipement de la police et des forces d'intervention de leur permettaient pas d'intervenir au plus vite, quand chaque seconde compte.
S'agissant de BFM, cela a permis au déséquilibré de disparaitre dans la nature pour réapparaitre en tuant. Pour Charlie, cela a empêché un journaliste de l'agence de presse Premières lignes qui venait de voir débouler les frères Kouachi à sa rédaction, de prévenir la police de l'imminence du massacre qui se préparait à Charlie Hebdo.
Pourtant, j'ai pensé qu'avec l'élan qui a suivi les attentats de Charlie et de l'Hypercacher, et surtout, la préparation de la sécurité autour de la Cop21, qui réunit à partir de dimanche 40 000 décideurs du monde entier, que les leçons allaient être tirées, que le problème du 17 et de l'équipement policier seraient résolus. Les attentats du 13 novembre m'ont mis dans une colère noire lorsque j'ai compris que non.
C'est la raison pour laquelle j'ai, dès le 14 novembre, commencé à tirer la sonnette d'alarme par tous les moyens, en imaginant notamment à quoi pourrait ressembler une application du 17, et en informant les journalistes sur les témoignages de personnes n'ayant pas pu appeler les secours faute d'une application dans ce genre.
Quelles seraient les contraintes techniques à un tel déploiement ?
Techniquement, la première qui me vient à l'esprit est qu'une telle application devra pouvoir répondre à un très, très grand nombre de signalements simultanés, sans saturer dans ce moment où les réseaux des opérateurs seront aussi sursollicités.
Par conséquent, l'application doit être fluide, peu gourmande en transmission de données, de manière à démultiplier les chances que cet échange dans les meilleures conditions. Par ailleurs, il faut que le centre de commande des secours, qui recevra ces informations, sache interpréter correctement ces données massives qui lui parviendront simultanément, et donc que ces données soient organisées de manière claire et sans équivoque.
Enfin, il faudra équiper les patrouilles de police, de la BAC, et des forces d'intervention en général de récepteurs leur indiquant les lieux de signalement massifs pour accélérer leur arrivée sur les lieux. Ici, ce n'est pas vraiment une difficulté technique dont il s’agit, mais plutôt de moyens financiers, me semble-t-il.
Avez-vous déjà eu des offres de la part de développeurs ?
Beaucoup de développeurs m'ont contacté depuis que des articles de presse parlent de cette idée, je m'excuse d'ailleurs de ne pas leur avoir tous répondu. Le problème, majeur, est que leur aide ne m'est d'aucune utilité. Je ne suis pas moi-même développeur, mais juriste, et je n'ai pas l'intention de créer une société pour distribuer cette idée : mon seul but est d'informer sur un problème, majeur, qui a déjà eu des conséquences abominables en terme de vies humaines perdues, et que ceux qui peuvent enfin faire le nécessaire, le fassent.
Ce qu'il faut bien avoir en tête, c'est que le 17 (et le 112) fonctionne à peu de choses près aujourd'hui comme depuis sa création, en 1928. Sauf qu’à l’époque, le téléphone n'était présent que dans des lieux publics (restaurants, bars...). Ensuite, le téléphone à domicile a commencé à se développer, et le nombre d'appelants potentiel a été démultiplié. À cela, on a fait que rajouter plus d'opérateurs et de centres d'appels. Puis sont arrivés les portables, et depuis 2011, nous sommes à près de 100 % de taux d'équipement de mobiles en France, soit 64.4 millions de lignes ... et autant de personnes pouvant appeler soudainement, simultanément, et à répétition en cas d'attentats comme le 13 novembre. Soit plus qu'à l'occasion d'un Nouvel An, alors que tout le monde sait aujourd'hui à quel point le seul réseau est faible à ce moment-là ! C'est définitivement la raison pour laquelle seule une application peut résoudre ce problème.
Quels ont été les échos du ministère de l’Intérieur ou des services spécialisés ?
Je n'ai eu qu'un seul retour d'une personne travaillant au ministère, à un poste pouvant aider. Elle m'a écouté, ce qui est déjà beaucoup. Le problème est que le gouvernement n'a qu'en tête la COP21 et l’organisation de cet évènement qui pose des problèmes de sécurité. La question d’éditer une telle application n'est pas une priorité pour eux. Je le regrette, amèrement. Cela d'autant plus que de leur côté, les autorités américaines ont bien pris la mesure du sujet, en commençant à réagir officiellement.
Merci Nicolas Poirier.