Me Sefen Guez Guez revient avec nous sur la loi sur l’état d’urgence. Cet avocat du barreau de Nice nous apporte son retour d’expérience au regard des premiers dossiers. Tous ont subi une perquisition informatique, une nouvelle possibilité ouverte par la loi votée la semaine dernière.
Combien avez-vous hérité de dossiers depuis la déclaration d’état d’urgence ?
Pour l’instant, je suis saisi de deux ou trois dossiers, mais j’ai eu dans le même temps beaucoup de signalements que je ne peux déontologiquement évoquer plus en détail.
La loi autorise désormais les perquisitions informatiques. Est-ce fréquent dans les cas rencontrés ? Comment cela se passe-t-il concrètement ?
Dans les cas qui m’ont été remontés, cela a été systématique. La police copie toutes les données présentes sur des supports informatiques, que ce soit des PC fixes, portables, serveurs NAS, etc.. Tout est dupliqué, sans exception. Les téléphones portables sont pareillement analysés via des appareils branchés dessus et leur numéro de série est relevé.
Y a-t-il des cas qui vous ont choqué sur le terrain des libertés publiques ?
Effectivement, il y a des cas symptomatiques de l’hystérie des services. J’ai eu un cas en région PACA où il y a eu deux perquisitions menées deux nuits de suite. Une première par la police, une seconde par les forces du RAID. C’est assez illustrant de l’état de coordination des services.
Le plus choquant est que l’on procède à nombre de perquisitions alors qu’à l’issue - ce sont des chiffres du gouvernement qui nous le disent - la police ressort souvent les mains vides, si ce n’est en ayant collecté l’ensemble de la vie privée d’une personne. Aujourd’hui nombreux sont ceux à être équipés et connectés. Leur historique Internet, leurs documents textes, leurs photos, leur comptabilité, sans compter les mots de passe… Tout est glané. C’est attentatoire aux droits et libertés surtout lorsqu’il n’y a rien qui est reproché à l’encontre du perquisitionné !
Quelle est votre stratégie d’avocat dans ces cas ?
On assiste souvent à la violation des règles les plus élémentaires. Normalement, il doit être remis à la personne perquisitionnée la décision du préfet autorisant la perquisition, or cela n’est pas toujours fait. C’est pourtant le support juridique de la fouille de l’appartement. Si on ne permet pas à l’intéressé de connaître les motifs de cette décision, comment peut-il se défendre à propos de celle-ci ?
Dans une telle hypothèse, il faut partir dans un cadre plus long en demandant d’abord à la préfecture les motifs de la perquisition, attendre deux mois la décision implicite de rejet, puis à ce terme, saisir le tribunal administratif pour réclamer une injonction de communiquer cette information essentielle. Ceci fait, on peut alors entrer dans un débat de fond pour contester les raisons invoquées. Selon moi, on viole la loi en faisant le pari qu’il n’y aura pas de contestation compte tenu du découragement des gens.
Allez-vous déposer une question prioritaire de constitutionnalité ?
On peut l’envisager notamment en ce que la Constitution prévoit qu’un juge doit être saisi dès lors qu’on procède à une mesure attentatoire aux libertés fondamentales. Mais on s’inscrit ici dans un temps encore plus long : il faut une décision du tribunal administratif, puis du Conseil d’État qui joue le rôle de filtre pour attendre alors la décision du Conseil constitutionnel. Et le tout est conditionné par l’obtention des motifs de la perquisition, première étape qui permet ensuite de s’intéresser à sa légalité.