Un nouvel acteur pourra afficher des publicités aux utilisateurs d'Adblock Plus : Criteo. Le français spécialiste de la publicité ciblée devrait donc voir son audience monétisée croître, au risque de voir les utilisateurs se tourner vers d'autres solutions de blocage.
S'il existe de nombreux acteurs dans le domaine des bloqueurs de publicité, il en est un qui se démarque de manière assez particulière : Eyeo. Cette société allemande est en effet celle qui édite le fameux AdBlock Plus, n°1 du secteur avec plus de 20 millions d'utilisateurs dans le monde, rien que sous Firefox. Il est bien entendu présent sur d'autres plateformes comme Chrome, Internet Explorer et depuis peu sur le mobile.
Quand Adblock Plus se fait payer pour laisser passer des publicités
Son autre particularité, c'est qu'il a mis en place il y a quelques années une fonctionnalité controversée : la liste des publicités acceptables. Activée par défaut (mais désactivable), elle permet à des régies et des sites de laisser passer certaines de leurs publicités, pour peu qu'elles respectent certaines règles.
Jugées drastiques par certains, elles ne permettent que des formats qui sont habituellement assez peu rémunérateurs. Mais la présence dans cette liste permet de récupérer « sans effort » une audience monétisée qui était perdue, ce qui explique que plusieurs acteurs s'y essaient. Mais cela ne se fait pas toujours sans contrepartie.
En effet, Eyeo a basé son modèle économique sur cette liste et, si elle affirme ne pas faire payer les petits acteurs qui demandent leur intégration, elle est rémunérée par d'autres. C'est principalement cette pratique qui est critiquée par le secteur. Car la société joue à la fois le rôle de celui qui fournit l'outil permettant de bloquer la publicité, privant les éditeurs de leurs revenus, et de celui qui apporte la solution en demandant une contribution. Un peu comme un médecin qui viendrait vous proposer de vous soigner après vous avoir rendu malade.
Les éditeurs critiquent Eyeo, mais sont responsables de la force des bloqueurs de publicité
Pour autant, et comme nous l'avons déjà maintes fois expliqué, tout n'est pas si simple. Car des outils comme AdBlock Plus existent aussi du fait des pratiques abusives des sites et de leurs régies. Et ils rencontrent du succès auprès des internautes principalement pour cette raison.
Mais plutôt que de permettre un tri naturel par les utilisateurs qui auraient sans doute abandonné les sites qui abusent, les bloqueurs ont surtout à la fois caché et amplifié le phénomène. En effet, certains utilisateurs bloquant la publicité, les éditeurs ont augmenté leur nombre pour les autres internautes. Le début d'un cercle vicieux encore accentué par la baisse des tarifs du secteur.
L'équipe d'Eyeo est néanmoins consciente que sa position de juge et partie pose problème. Elle a donc dû mettre de l'eau dans son vin et a notamment annoncé la mise en place d'un comité indépendant pour la gestion de la liste des publicités acceptables l'année prochaine, sur lequel on sait assez peu de choses. Une tentative nécessaire, surtout que sa position est attaquée de toutes parts.
Chacun cherche son modèle en attendant des jours meilleurs
Tout d'abord par les éditeurs, qui refusent principalement de rentrer dans son jeu pour le moment. Si certains ferment ou se font racheter, faute de revenus publicitaires suffisants, d'autres cherchent de nouveaux modèles afin de survivre.
On a aussi vu deux tendances émerger : les sites qui affichent la publicité en contournant le blocage, et ceux refusant désormais l'accès aux internautes qui n'acceptent pas le contrat « gratuité contre publicité ». Dans les deux cas, il est néanmoins encore rare que cela s'accompagne d'une réelle réflexion sur le volume et les pratiques publicitaires. Dommage.
Criteo et ses publicités ciblées acceptés par Adblock Plus
D'autres décident de payer. Google est sans doute le plus emblématique, mais loin d'être le seul. On apprenait ainsi dernièrement que le moteur de recommandation Outbrain était aussi concerné. Mais nos confrères de Journal du Net rapportent qu'un acteur étonnant vient de faire son entrée dans ce petit cercle : le français Criteo. Géant de la publicité ciblée, il semble pourtant assez peu en phase avec l'image que cherche à donner Eyeo de ses critères de publicités « acceptables ».
Comme le notent nos confrères, après des acteurs de la recommandation - plus connus pour la mise en avant d'articles « clickbait » aux visuels racoleurs que pour la finesse de leurs algorithmes - on se retrouve ici avec un acteur dont le métier est principalement d'assurer un tracking de l'utilisateur afin de lui afficher des publicités.
Bien entendu, il est toujours possible de désactiver le ciblage de Criteo via son service d'opt-out, ou même de désactiver la liste blanche, mais cela pourrait continuer à entacher l'image d'Eyeo et d'Adblock Plus auprès des utilisateurs. Car depuis la mise en place de cette liste blanche, certains ont décidé de se détourner de l'outil et de proposer des alternatives qui ne transigent pas de la sorte.
Bloqueurs de publicité : les alternatives à Adblock Plus se renforcent
C'était au départ le principe d'Adblock Edge, puis désormais d'uBlock Origin. Ce dernier est actuellement en pleine croissance, misant aussi sur une plus faible consommation des ressources. Il compte actuellement un peu plus d'un demi-million d'utilisateurs sous Firefox.
Il reste donc bien moins populaire que son concurrent et les deux continuent d'ailleurs de croitre pour le moment, mais il sera intéressant de voir si le succès du petit nouveau ne commencera pas à faire de l'ombre au géant du secteur. Ce qui pourrait alors devenir un problème, car Eyeo et son modèle économique ne fonctionnent que parce que la société dispose d'un nombre important d'utilisateurs de sa liste blanche. Sans eux, la magie n'opère plus.
Si cela venait à arriver, Adblock Plus serait vaincu non pas par les éditeurs, leurs procès ou leurs tentatives de contournement, mais bien par la communauté des utilisateurs qui aurait une fois de plus fait passer un message. Resterait alors au secteur à se chercher d'autres médecins pour guérir son mal. Ou à comprendre enfin qu'il en est lui-même responsable et qu'il lui faut adapter de nouvelles pratiques, un peu comme l'IAB tente de le faire avec son initiative L.E.A.N.