Alors que le bilan humain, effroyable, ne cesse de s’alourdir, les attentats perpétrés vendredi soir à Paris ont déjà suscité plusieurs pistes d’évolution législatives.
Ainsi, Laurent Wauquiez (LR) a demandé « que toutes les personnes fichées soient placées dans des centres d’internement antiterroristes spécifiquement dédiés ». Rien de moins. Si le nombre de personnes faisant l’objet d’une fiche S varie suivant les sources (4 000, 5 000, ou 11 000 plus certainement), il faut d’abord rappeler que ce sous-fichier du fichier des personnes recherchées (FPR), soit plus de 400 000 personnes recensées en 2010, vise « les personnes faisant l'objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l'État, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard. »
On comprend ainsi rapidement la fragilité de sa proposition si, dans un État de droit, les autorités pouvaient se permettre d’interner des personnes sur lesquelles ne pèsent que des « indices », quand bien même seraient-ils « réels » (voir en ce sens les critiques de la CNIL, datant de 1988).
L’idée retenue par Nicolas Sarkozy, à savoir équiper les personnes fichées « S » d’un bracelet électronique, souffre évidemment du même reproche.
Autre chose : l’inscription même dans ce fichier n’est pas publique. Interner des gens ou placer un tel équipement à leurs pieds ruinerait donc sur le champ ce caractère secret, socle de son efficacité. Il n’y aurait finalement pas meilleure solution pour que les apprentis terroristes décuplent d’ingéniosités pour gagner encore et toujours en discrétion.
L’état d’urgence étendu à 3 mois
François Hollande va réunir aujourd’hui le congrès (députés et sénateurs) à Versailles. C’est une faculté ouverte par l’article 18 de la Constitution dès lors que le chef de l’État veut prendre solennellement la parole en des périodes exceptionnelles.
Peu après le drame de vendredi soir, le gouvernement a aussi déclaré l’état d’urgence. Conformément à la loi de 1955, le pouvoir exécutif peut prendre une série de mesures exceptionnelles, qui exigent normalement l’intervention d’un juge. Interdiction de circulations, instauration de zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé, interdiction de séjour d’une personne dans un département, assignation à résidence, fermeture provisoire des lieux de réunion de toute nature, remise des armes de première, quatrième et cinquième catégories, outre les perquisitions domiciliaires de jour et de nuit (150 organisées la nuit dernière), etc.
Trois décrets ont été pris pour préciser l’étendue des pouvoirs administratifs suite au carnage de vendredi (le premier, le deuxième, le dernier). Ces textes administratifs ont été suivis par des circulaires ministérielles mais aussi des arrêtés préfectoraux comme cette interdiction des drones dans la région Île-de-France.
Toutes ces mesures administratives sont possibles pendant une durée de 12 jours. Au-delà, leur prolongation nécessite le passage par une loi. Selon l’AFP, François Hollande voudrait justement étendre l’état d’urgence de 12 jours à trois mois. Seulement, si elle est bien confirmée, cette modification exigera inévitablement une loi. La situation est donc un peu curieuse : le chef de l’État va solliciter une loi pour éviter d’avoir à passer par une loi, une fois ces 12 jours consommés.
Certes, avec les déclarations d’état d’urgence, l’exécutif va gagner en confort, en latitude. On répondra cependant que l’une des dernières lois de prorogation de l’état d’urgence a été bouclée en un rien de temps : décidé après les violences urbaines d’octobre 2005, il a été prorogé après une petite séance à l’Assemblée nationale et autre au Sénat. Cette extension à trois mois sera-t-elle acceptée par le Conseil constitutionnel ? S'il est amené à l'examiner, il pourra relire sa décision de 1985 (état d’urgence en Nouvelle Calédonie) où il avait rappelé qu’en vertu de la Constitution, « il appartient au législateur d'opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public sans lequel l'exercice des libertés ne saurait être assuré »…
Vers le dépoussiérage de la loi de 1955 ?
C’est une simple hypothèse de notre part, mais ce passage par ce véhicule législatif, sans doute examiné d’urgence, pourrait aussi et surtout être l’occasion de dépoussiérer les dispositions de 1955.
La loi n’envisageait évidemment pas la question des nouvelles technologies. Certes, son article 11 2°) habilite les autorités administratives « à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales », mais cette définition vieillotte ne vise pas tout l’univers d’Internet (même si une partie des données diffusées peut être qualifiée de « publication de toute nature »).
Et la loi sur le renseignement ?
Ce matin sur France Inter, le député Jean-Jacques Urvoas, père de la loi sur le renseignement, a refusé en substance qu’on tire une quelconque conclusion sur l’efficience de ce texte puisqu’il est trop tôt. « Nous avons construit un état de droit en renforçant le renseignement parce qu’il y avait des moyens dont ils ne disposaient pas. »
L’approche tranche avec les discours tenus lors des débats. Ministres, députés et sénateurs partisans n’ont eu de cesse de nous dire que ce projet de loi légaliserait des pratiques déjà en vigueur… Il y a en tout cas une certitude : même si le risque zéro n’existe pas, et sans vouloir polémiquer, il faudra jauger tôt ou tard la solidité de ces pratiques de surveillance antérieures à la loi.
Autre certitude : de nombreux articles de la loi sur le renseignement – dont les fameuses boites noires destinées à détecter une menace terroriste – sont déjà en vigueur depuis le début octobre. Cette date correspond en effet à la désignation des membres de la commission nationale de contrôle des techniques du renseignement, désignation qui conditionnait l’application d’autres dispositions. Depuis le vote, de nombreux décrets d’application ont été publiés, mais pas tous puisque le calendrier s’étend jusqu’en décembre (notre actualité).
À la journaliste de France Inter qui l’interrogeait sur le point de savoir s’il ne fallait pas aller plus vite, celui qui est aussi président de la commission des lois a rétorqué que « la précipitation est mauvaise conseillère. Vous ne votez pas la loi dans l’urgence. La loi elle se murit, elle se réfléchit, elle s’adapte. Si elle n’est pas encore appliquée, c’est parce que des décrets n’ont pas encore été écrit à bon droit (…) pour ne pas tomber dans des failles de procédures. »
Seul souci, la loi en question a bien été adoptée selon une procédure accélérée, d’urgence donc, tout comme la proposition de loi sur la surveillance des communications, à chaque fois sur décision gouvernementale.