L’affaire fait la « une » de nombreux médias, dans les kiosques ou en ligne : plusieurs structures et personnalités dont Laurent Fabius, ont été écoutées par le renseignement extérieur allemand. Une information qui surgit alors que la France s’est armée de pouvoir d’intrusion similaire...
Selon la Berlin-Brandebourg (rbb), une radio publique allemande, le Bundesnachrichtendienst (BND) a écouté Laurent Fabius, mais également – égraine BFM – la Cour internationale de justice de la Haye, l'Unicef, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le FBI, Lockheed aux États-Unis outre de nombreuses entreprises… « Quand on apprend ça c'est très désagréable » a réagi le ministre des Affaires étrangères hier.
Aujourd’hui, François Hollande a montré lui aussi un certain agacement : « On ne peut pas comprendre qu'il puisse y avoir ce type de pratique entre alliés », celui-ci demandant « que toutes les informations nous soient communiquées » (propos rapportés par l’AFP). La réaction est très similaire à celle d’Angela Merkel qui, apprenant fin 2013 avoir été écoutée par la NSA, avait dit : « L'espionnage entre amis, cela ne va pas du tout ». La situation est d’autant plus cocasse que le Spiegel Online avait révélé en avril 2014 que les services secrets allemands avaient espionné plusieurs entreprises européennes... pour le compte des États-Unis.
Relire la PPL Surveillance
Bref, tout le monde est allié, mais tout le monde s'écoute. Difficile cependant de ne pas évoquer une certaine théâtralisation de l'indignation. Il suffit, pour s'en convaincre, de (re)lire la toute récente proposition de loi sur la surveillance des communications publiques internationales adoptée en France.
Dans ce texte d’origine parlementaire, mais corédigé avec le gouvernement, les services du renseignement auront eux aussi la possibilité d’intercepter des échanges électroniques internationaux. Qu'elles soient nouées sur telle zone géographique ou entre des personnes déterminées, peu importe, ces communications pourront être auscultées intimement. Cela ne change pas grand-chose aux pratiques antérieures, sauf que maintenant, c’est écrit maintenant noir sur blanc :
Extrait de la proposition de loi sur la surveillance internationale
Comptant sur l’ignorance, les partisans de cette proposition de loi ont plusieurs fois brandi l’épouvantail de la lutte contre le terrorisme international. Seulement, l’argument classique (réécouter Hollande en 2009) ne tient pas longtemps la route. Les motifs juridiques justifiant ces grandes oreilles dépassent amplement ce cadre très émotionnel. Ils permettent en effet au Premier ministre d'autoriser ces intrusions dès lors qu’il s’agit de défendre ou promouvoir :
- Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l'exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d'ingérence étrangère ;
- Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;
- La prévention du terrorisme ;
- La prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous, des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;
- La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;
- La prévention de la prolifération des armes de destruction massive
Donc, si une personnalité politique alliée est soupçonnée de malmener les intérêts économiques majeurs de la France, elle pourra être écoutée. Si une entreprise allemande, américaine ou peu importe, risque de menacer les grands intérêts scientifiques du pays, elle pourra être écoutée. Si une structure internationale chatouille d’un peu trop les intérêts majeurs de notre politique étrangère, elle pourra être écoutée, etc.
La loi n'exclut plus aucun numéro
Il est vrai que dans une version préalable de la PPL Surveillance, il était expressément dit que l’autorisation d’intrusion signée par le Premier ministre puisse « prévoir l'exclusion de certains numéros d'abonnement ou identifiants techniques de toute surveillance ou, pour certains numéros ou identifiants, des conditions particulières d'accès aux communications. »
Comme soutenu au Sénat, l’enjeu était ainsi « d'écarter l'écoute de personnalités bénéficiant d'immunité », histoire de respecter les conventions internationales. Seulement, Philippe Bas, président de la Commission des lois avait jugé le passage surabondant : « Cette mention, inutile, m'apparaît motivée par la volonté d'afficher que jamais la France n'écoutera le Premier ministre d'un pays voisin ». Mais le sénateur s’était armé d’une gomme au motif qu’« on n'a pas besoin d'insérer une disposition floue dans le texte pour affirmer ce principe ».
Cette sécurité a donc sauté. La PPL a été adoptée par les parlementaires sous les applaudissements de l’exécutif. Et tout va pour le mieux. C’est si vrai qu'il place une incertitude sur la saisine de la PPL par le Conseil constitutionnel, le président du Sénat ayant décidé de vaquer à d’autres occupations. (Maj 18h40 : Nous avons appris en fin de journée que 60 sénateurs avaient finalement décidé de saisir les neuf sages.)