Le FTTH Council, une organisation d'industriels des télécoms, célèbre aujourd'hui la Journée de la fibre en Europe. Pour la première fois, elle dispose d'une édition française, alors que le pays est au bas du classement en matière de très haut débit et voit son plan de déploiement bloqué par l'Union européenne.
La Journée de la fibre (« Gimme Fibre Day ») débarque cette année en France. Elle est organisée tous les 4 novembre par le FTTH Council Europe, une organisation d'industriels des télécoms dont le but affiché est d'accélérer le déploiement de la fibre optique jusqu'à l'abonné (FTTH). Concrètement, il s'agit de quelques évènements en ligne et hors-ligne, comme un concours de selfies sur leur page Facebook ou des promotions chez des partenaires.
En France, l'organisation s'est associée à Orange, qui propose pour l'occasion une promotion sur ses abonnements Open Fibre (PDF) et un jeu concours. Si l'opérateur historique est effectivement le premier déployeur de fibre optique jusqu'à l'abonné (FTTH) en France, il semble bien solitaire sur la page d'accueil de l'opération. Le FTTH Council Europe met également en avant le forum « Paris ville 100 % Fibre » d'Orange, dont le nom est dérivé d'une campagne publicitaire destinée à vanter les avantages de sa fibre optique jusqu'à l'abonné face aux solutions alternatives, comme le câble.
Joyeuse journée de la Fibre ! Découvrez toutes les activités prévues ! https://t.co/VgV7nPWjqM #jeveuxlafibre pic.twitter.com/tCoRIdEzuh
— FTTH Council Europe (@FTTHCouncilEU) 4 Novembre 2015
La France, derrière ses voisins sur la disponibilité de la fibre
Malgré l'enthousiasme des industriels, cette première édition française n'arrive peut-être pas au meilleur moment. Fin octobre, une étude publiée par le cabinet d'étude IHS sur l'année 2014 dressait un tableau accablant pour la France. Dans la majorité des départements français, moins d'un tiers des logements sont éligibles aux « réseaux de nouvelle génération » (NGA) (100 Mb/s minimum en téléchargement), ce qui semble être une situation bien rare en Europe. « Au total, 24 pays proposaient une disponibilité du NGA supérieure à la moyenne (68 %), et seuls trois pays affichaient une disponibilité du NGA inférieure à 50 % (France, Grèce et Italie) » sur 31 pays, détaille le communiqué d'IHS. Une douche froide.

L'explication historique couramment avancée est la qualité correcte du réseau ADSL français vis-à-vis des voisins européens. Selon IHS, la couverture française en haut débit (ADSL et plus) restait supérieure à la moyenne européenne, « que ce soit au niveau national ou rural ». « La couverture en NGA, par contre, restait sous la moyenne européenne alors que c'est la catégorie qui a le plus progressé entre 2013 et 2014 » note tout de même l'étude.
« Nos offres haut débit [ADSL] traditionnelles sont encore fonctionnelles. C’est une caractéristique de la France et du triple play » nous expliquait en février l'IDATE, à l'occasion de la FTTH Conference organisée par le FTTH Council Europe. En 2014, la France était pourtant l'un des trois seuls pays européens à disposer de plus d'un million d'abonnés à la fibre optique en Europe. Selon les derniers observatoires de l'ARCEP, le nombre d'abonnés ADSL baisse continuellement, au profit du très haut débit (VDSl, câble et fibre jusqu'à l'abonné), en majorité jusqu'à la barre des 100 Mb/s.
Si le FTTH est en bonne position, cela ne doit pas cacher le fait que de nombreux foyers n'ont pas encore accès au très haut débit. Néanmoins, l'avantage de la fibre optique de bout en bout est d'assurer une certaine pérennité dans la qualité des connexions puisqu'il sera par la suite facilement possible d'augmenter encore les débits (téléchargement et upload). Le déploiement du FTTH est donc un pari sur l'avenir, contrairement à une montée en débit (VDSL2), privilégiée par d'autres pays, et qui montre déjà ses limites.
Le financement du très haut débit par l'État bloqué par l'Europe
En février, l'IDATE notait surtout que le plan France Très Haut Débit (France THD), censé couvrir l'ensemble du pays en 2022, dont 80 % en FTTH, était assez unique en Europe. « Des pays qui ont un vrai plan THD, il n’y en a pas tant que ça. Ils ont un plan ‘broadband’ (haut débit), pas forcément centré sur le FTTH » nous expliquait l'institut. Tous s'en tiennent au minimum à l'objectif européen de 100 % de foyers couverts à 30 Mb/s en 2020 (dont la moitié à 100 Mb/s), quitte à privilégier d'autres technologies que la fibre.
Pour son plan, la France a décidé de laisser les opérateurs privés couvrir les zones urbaines, pour laisser les zones rurales majoritairement à la charge des collectivités locales, via des réseaux d'initiative publique que l'État co-finance à hauteur de trois milliards d'euros. Cette ambition française autour de la fibre optique jusqu'à l'abonné n'est pourtant pas la garantie d'un accord de l'Union européenne. Celle-ci bloque ainsi les trois milliards d'euros prévus par le plan, qui pose problème à Bruxelles.
Comme nous l'avons révélé en septembre, la Commission européenne bloque le plan français, qui donnerait une trop grande part à la montée en débit sur le réseau cuivre d'Orange. Si officiellement elle concerne moins d'un million de lignes, elle provoque le gel de l'ensemble du plan. Selon une lettre envoyée par l'Europe à la France, que nous nous sommes procurés, l'Europe estime qu'une partie des subventions de la montée en débit d'Orange est illégale et que le plan français favorise anormalement l'opérateur historique. Au cœur du dossier européen, se trouve la plainte d'un opérateur français qui s'estime lésé par un projet de montée en débit en Normandie (voir notre analyse).
Le gouvernement botte en touche sur la situation européenne
Si le gouvernement se veut rassurant sur l'issue du dossier, la Commission européenne devant rendre son avis le mois prochain, cela reste un ralentissement important. Le sénateur Patrick Chaize, président de l'AVICCA, une association de collectivités spécialisée dans les technologies, s'en étant ému fin octobre, sans obtenir de réponse satisfaisante du gouvernement. Interrogée en commission au Sénat, Axelle Lemaire avait également botté en touche quelques jours plus tard.
En attendant, une source proche de Bercy nous confirmait que les trois milliards d'euros promis dormiraient dans les caisses de l'État tant que le plan ne sera pas validé par l'Europe. Selon un avis de la Commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale (PDF), 42 projets de réseaux d'initiative publique, couvrant 51 départements, avaient reçu un accord de financement de la part de l'État. « Ces projets prévoient le déploiement de 3,1 millions de prises FTTH (fibre optique jusqu’à l’abonné) et 2,1 millions de prises [de montée en débit] » sur réseau cuivre ou câble, précise l'avis. D'ici la fin de l'année, 10 projets supplémentaires, pour 13 départements et 1,1 million de prises supplémentaires, devraient être validés par l'État.
Les opérateurs privés et les collectivités n'ont tout de même pas attendu les fonds de l'État pour déployer leurs réseaux fibre. Reste que tout n'est pas tout rose à ce niveau non plus. Le rachat de SFR par Numericable aurait ainsi provoqué un ralentissement de son déploiement du FTTH dans les zones moyennement denses. Une situation qui a mené à une plainte de Bouygues Telecom, une enquête de l'Autorité de la concurrence et des mises en garde de la part de deux ministres de Bercy.
Du côté des collectivités, si le blocage européen venait à perdurer, la situation pourrait devenir difficile. À la fin de l'année, 80 % de l'enveloppe de trois milliards d'euros doit ainsi être attribués à des projets de réseaux d'initiative publique, qui comptent en bonne partie sur leur décaissement pour déployer le très haut débit.