Le CSPLA rejette le domaine commun informationnel voulu par Axelle Lemaire

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Droit 6 min
Le CSPLA rejette le domaine commun informationnel voulu par Axelle Lemaire
Crédits : Marc Rees (CC BY 2.0)

Faut-il une définition positive du domaine commun informationnel ? L'avant-projet de loi Lemaire pense que oui, mais pas les ayants droit, qui ont repoussé massivement un tel scénario entre les murs du ministère de la Culture. Le point sera tranché demain à Matignon.

Le 12 octobre dernier, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) a lancé une mission sur le domaine commun informationnel. Cette mission s’inscrit en réaction à un article de l’avant-projet de loi pour une République numérique, qui fut ouvert à consultation publique fin septembre par Axelle Lemaire.

L’objectif de cet article ? « Protéger les ressources communes à tous appartenant au domaine public contre les pratiques d’appropriation qui conduisent à en interdire l’accès », écrit le gouvernement dans son exposé des motifs. L'exécutif regrette qu’ « aujourd’hui, des pratiques abusives consistent à revendiquer des droits sur des choses qui appartiennent au domaine public ».

L’idée serait ainsi de permettre à des associations agréées « d’intenter une action en justice pour défendre le périmètre de ce domaine commun et faire cesser tout tentative de réappropriation exclusive ». Par exemple, elles « pourront agir contre certains sites qui interdisent la reproduction numérique d’œuvres appartenant au domaine public et faire supprimer les clauses des conditions générales d’utilisation illicites ».

Au ministère de la Culture, l’article a ému, comme en témoigne la lettre de mission signée de la vice-présidente du CSPLA, Anne-Elisabeth Crédeville. Celle-ci a en effet confié à l’avocat Jean Martin le soin de rédiger rapidement un rapport eu égard à « l’importance des enjeux que soulève une telle innovation juridique au regard de l’impératif de protection des droits des auteurs et des titulaires de droits voisins ».

CSPLA mission biens communs

Gorgée d’ayant droits, cette instance aurait pu, comme tout le monde, intervenir directement sur la plateforme ouverte à consultation, à l’instar du Conseil national du numérique. Mais non, elle a préféré opérer dans son coin, afin « d’éclairer les travaux du gouvernement (...) en esquissant les principaux enjeux juridiques de cet article ». La méthode n'a pas plu à la Quadrature du net qui vient d'épingler « une tentative de dernière minute de court-circuiter le débat public, [laquelle] démontre une fois de plus le mépris des lobbies culturels pour les processus démocratiques ».

La SACD et d’autres craignent une remise en cause de l’équilibre économique

Mais que disent les conclusions de cette mission ? Dans le document que nous nous sommes procuré, « plusieurs acteurs de la propriété littéraire et artistique » font état de leurs « inquiétudes ». Par exemple, des organisations (SACD, SEPM, SNEP, FNPS, SNE...) ont demandé en chœur le retrait de cet article 8, craignant « une remise en cause du fragile équilibre économique de leur secteur ».

Spécialement, les critiques se focalisent sur la définition même du domaine public apportée par la future loi Lemaire. Il y a la crainte qu’avec une telle définition positive, « ce nouveau texte n’inverse la règle et l’exception et ne facilite les attaques judiciaires contre le droit d’auteur : aujourd’hui, le domaine public n’existe que par exception, lorsque cessent le droit d’auteur et les droits voisins – à l’exception du droit moral. Cette crainte est en partie confirmée par les partisans du domaine commun informationnel, pour qui la reconnaissance positive de ce concept permettrait un recours au juge plus aisé afin de faire cesser les appropriations abusives au nom d’un droit d’auteur en réalité inexistant » synthétise le rapport.

Des problèmes d’interférence avec le droit positif ou à venir

Le document, également sorti par Contexte.com, épingle aussi le fond même de l’article 8, qui égrainerait des éléments qui seraient par nature insusceptibles d’appropriation, et donc inutiles. Ses adversaires considèrent encore qu’une telle réforme serait doublement prématurée : purement franco-française, elle risque de s’entrechoquer avec la possible réforme de la directive de 2001 sur le droit d'auteur.

De même, cet article pourrait par exemple imposer « une nécessaire gratuité de l’accès et de l’utilisation du domaine commun informationnel » puisqu’il interdit les restrictions d’accès. Or, l’actuel projet de loi relatif à la gratuité des informations du secteur public autorisera les musées, bibliothèques et archives à percevoir une redevance pour numérisation de leur fonds, soit une seconde interférence avec l’article 8.

Cette prohibition des restrictions pourrait aussi frapper l’accès physique aux œuvres élevées dans le domaine public : « Le propriétaire privé d’un tableau du XVIIe siècle se rendrait-il coupable d’une restriction à l’usage commun en n’autorisant pas les amateurs qui le souhaitent à accéder à l’oeuvre chez lui, ou tout du moins en n’en fournissant pas, à la demande, une photographie numérique ? La Bibliothèque nationale de France, qui restreint la consultation des manuscrits précieux à un nombre limité de chercheurs, ou le Musée du Louvre, qui n’ouvre pas l’accès aux oeuvres conservées dans ses réserves, enfreindraient-ils la loi ainsi rédigée ? »

Il faut dire encore qu'une telle interdiction des restrictions viendraient pourrir les voeux des sociétés de gestion collectives qui rêvent d'imposer une redevance sur le domaine public pour la numérisation des oeuvres audiovisuelles. Auditionné devant la mission Lescure en 2012, Pascal Rogard nous avait à l'époque précisé sa pensée : « Une œuvre audiovisuelle dans le domaine public n’est pas comme un livre ou une pièce de théâtre. Si on veut la conserver pour les générations futures quelqu’un doit intervenir pour conserver, protéger et même restaurer. Et quand un éditeur veut diffuser ces œuvres, il devrait payer une redevance pour financer tous ces travaux. »

Enfin, le texte d’Axelle Lemaire ouvre un droit au recours pour les associations agréées « ayant pour objet la diffusion des savoirs ou la défense des choses communes ». Elles pourraient ainsi contester en justice les atteintes au domaine commun informationnel. Jean Martin suggère de mettre en place un mécanisme précontentieux pour espérer une conciliation avant l’examen en justice.

Malgré ses effets limités, l’article 8 a été trucidé au CSPLA

Dans ses conclusions, Jean Martin considère toutefois que l’article 8 n’est susceptible d’avoir que des effets limités. Alors certes, il y a des problèmes d’ajustements liés à des questions d’interprétation, mais une certitude : cette définition positive du domaine commun informationnel préserve selon lui « les principes fondamentaux du droit d’auteur ».

Hier, au CSPLA, l’analyse n’a pas convaincu les farouches adversaires d'une telle définition positive. Lors d’un vote, 22 membres ont demandé le retrait du fameux article 8, écrasant les trois voix prononcées pour son maintien (dont celles des bibliothèques et de l’UFC-Que Choisir). Les partisans du retrait craignant que des amendements aillent plus loin encore ou que le dispositif profite aux géants américains. Demain, comme l'a pointé également Electron Libre, une réunion sera organisée spécialement à Matignon pour trancher le sort de cette disposition. On verra d’ici là quel sera le pouvoir d’influence des uns et des autres.

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