L'usage par Numericable-SFR du mot fibre pour désigner son réseau en câble coaxial lui aurait valu une attaque en justice de la part de Free. Cela alors que les opérateurs et le régulateur, l'ARCEP, se dirigent vers une séparation plus nette entre les deux technologies. Dans tous les cas, la problématique n'a rien de nouveau.
La « fibre » coaxiale vaut bien des ennuis à Numericable-SFR. Free aurait décidé d'attaquer devant le tribunal de commerce son concurrent pour l'usage du mot fibre pour désigner son réseau en câble coaxial, rapportait hier L'Express. Le cœur du litige est la définition utilisée par Numericable-SFR, qui désigne à la fois la fibre optique jusqu'à l'abonné (FTTH) et celle qui atteint seulement le dernier répartiteur, pour continuer via le réseau câble dans le bâtiment (FTTLA). Une confusion qui permet au groupe d'afficher un fort taux de couverture « fibre », qui tromperait l'utilisateur final, selon ses concurrents.
Plusieurs plaintes déjà déposées
Contacté, Free n'a pas souhaité commenter cette information. Numericable-SFR, lui, préfère vanter ses déploiements. « 7,4 millions de prises à date, 1 million de nouvelles prises depuis le début de l’année, plus 1 000 communes ouvertes » défend le groupe, qui est pourtant attaqué par Bouygues Telecom et sous le coup d'une enquête de l'Autorité de la concurrence pour le ralentissement présumé de ses déploiements en FTTH. L'opérateur aurait également été rappelé à l'ordre à ce sujet par Emmanuel Macron cette semaine, après qu'Axelle Lemaire l'a publiquement mis en cause en octobre.
Si elle est confirmée, cette plainte de Free ne serait que la dernière d'une longue série. En 2008, Orange attaquait le Numericable d'alors sur son offre « jusqu'à 100 mégas ». En 2012, SFR portait plainte contre Bouygues Telecom, estimant que l'offre « Bbox fibre », fondée sur du FTTLA, ne méritait pas son nom. En début d'année, Orange et Free ont déposé une plainte conjointe devant l'Autorité de la concurrence à ce sujet, sans résultat pour le moment.
Le réseau câble préféré à la fibre jusqu'à l'abonné
Derrière la sémantique (fibre contre câble), la bataille est bien technique. S'il peut atteindre jusqu'à 800 Mb/s en téléchargement, le câble modernisé a quelques limites importantes face à la fibre. Avec cette dernière, le débit est avant tout limité par les équipements aux deux bouts, ce qui lui permet d'être pérenne. Le câble, lui, est sensible à la manière dont il a été déployé, avec un débit descendant pouvant descendre jusqu'à 30 Mb/s.
Mais son principal point faible reste la vitesse en envoi, qui peut aller de 5 Mb/s à 40 Mb/s maximum, alors que le FTTH peut par exemple proposer du 1 Gb/s symétrique. Une différence que le fournisseur d'accès à internet ne met pas vraiment en lumière dans sa fiche « comprendre la fibre optique » qui compare le FTTH à la « fibre à terminaison coaxiale ». Dans les faits, Numericable-SFR privilégie son réseau câble au FTTH quand l'utilisateur dispose des deux, tout en les appelant tous deux « fibre ».
FTTLA et FTTH : de toute façon tout passe par... un « câble » selon Patrick Drahi
« Nous sommes très vigilants quant à l'information du consommateur sur ce qu'il achète. Aujourd'hui nous sommes gênés quand des diapositives présentent comme fibre ce qui est en fait du câble » martelait Maxime Lombardini, directeur général d'Iliad (Free), lors de la deuxième conférence annuelle du plan France Très Haut Débit en juillet. Pour Bouygues Telecom, le câble est « une technologie des années 90 », quand bien même une partie de son offre est fondée dessus.
Plus généralement, l'ensemble des FAI concurrents de SFR-Numericable se veulent très vocaux sur ce mélange des technologies pratiqué par la marque au carré rouge. De son côté, Patrick Drahi expliquait à l'Assemblée nationale (avec deux « câbles » dans la main) que « ça c'est du câble coaxial et ça c'est du câble de fibre optique, dans les deux cas ça s'appelle du câble » (sic).
Une « fausse fibre » qui émeut les concurrents
Cette année, Orange a d'ailleurs lancé une campagne publicitaire centrée sur la question, autour de l'idée qu'il y a « la fibre et la Fibre 100 % Fibre ». En juillet, Free demandait la prise rapide d'un arrêté pour imposer à Numericable-SFR de distinguer FTTLA et FTTH. Selon Les Échos, le gouvernement envisageait à l'époque d'ajouter une précision dans les documents commerciaux, qui distinguerait la « fibre* » à terminaison coaxiale à la fibre de bout en bout. Cela via la modification d'un arrêté de décembre 2013.
Pour les concurrents, il s'agirait ainsi d'une « fausse fibre », ce que dément énergiquement Patrick Drahi, le patron du nouveau groupe. « Le fixe c’est la fibre, il n’y a pas la fibre 2G, 3G, 4G, 5G, 6G. Il y a la fibre, point barre » défendait-il devant l'Assemblée nationale en juin. De son côté, l'ARCEP fait bien la différence dans ses travaux, expliquait son président, Sébastien Soriano, aux Échos fin septembre. « À l’ARCEP, nous avons fait le choix de ne plus utiliser le terme de fibre coaxiale. Nous préférons l’expression câble coaxial » malgré la demande inverse de Numericable-SFR, affirmait-il. De plus, dans ses observatoires, le régulateur fait autant que possible la distinction entre les deux technologies.
Pourtant, comme nous l'expliquions en juillet, la question est bien plus large que celle de la sémantique, qui focalise les attentions. Un problème pour le consommateur est bel et bien de savoir à quels débits il aura droit, notamment en envoi, ce que les cartes actuelles ne mentionnent pas toujours. Celle proposée par la mission THD est un bon pas en avant, mais cela reste loin d'une obligation pour les fournisseurs d'accès d'indiquer clairement zone par zone les technologies et débits disponibles.