Concurrencer Amazon, Google, Netflix et YouTube : telle est à nouveau l'ambition d'un acteur français, France Télévisions. Sa nouvelle présidente vient en effet de livrer sa vision d'une plateforme dédiée à la création française. Une idée louable, mais qui va devoir convaincre.
La nouvelle présidente de France Télévisons semble bien décidée à faire passer le service public à l'heure du numérique et s'adapter aux pratiques des internautes. Ainsi, alors que le service de replay Pluzz n'a pas vraiment évolué avec le temps, et que le service de VOD maison manque clairement de vigueur (voir notre précédente analyse), Delphine Ernotte est bien décidée à proposer une solution ayant pour vocation de favoriser la distribution et l'accès à la création française.
Une plateforme pour concurrencer les géants du Net (encore...)
Dans une interview accordée au Figaro, on apprend ainsi qu'elle « souhaite créer très rapidement une plateforme numérique dédiée aux œuvres françaises » basée sur un modèle mêlant gratuit et payant. Elle référencerait à la fois des documentaires, des programmes d'animation ou des fictions, « une sorte de Google de la création française, doté d'un moteur de recherche apte à thématiser et recommander les contenus [...] Ce sera un véritable concurrent des Netflix, YouTube ou Amazon ».
Si ce genre d'envolées et d'équivalences prêtent toujours à sourire, derrière les mots, il semble tout de même y avoir une vision intéressante, et l'on voit bien l'intérêt de croiser les contenus disponibles en replay et ceux proposés en vidéo à la demande, par abonnement ou à l'achat. On se demande d'ailleurs si une telle ambition ne signera pas la fin de la distribution des contenus du groupe au sein de plateformes comme Netflix, qui propose actuellement des séries et documentaires déjà diffusés sur France 2 notamment.
Fédérer la création française pour arrêter de décevoir
Delphine Ernotte semble lucide sur la problématique actuelle et la domination quasi totale des plateformes américaines dans le domaine de l'accès à la création, et ce, que ce soit pour une offre gratuite, à l'achat ou par abonnement :
« La mise en place d'une telle plateforme est nécessaire car on ne peut pas laisser les acteurs américains contrôler ce marché sous peine de mettre à mal l'exception culturelle. Enfin, tous les acteurs français ont intérêt à faire grossir le marché audiovisuel pour, ensuite, se répartir les fruits de cette croissance entre producteurs et diffuseurs qui auraient ainsi un droit à recette sur la deuxième vie des œuvres. Aujourd'hui, le marché de la vidéo à la demande français est estimé à 250 millions d'euros et il devrait progresser très rapidement. France Télévisions peut prétendre y conquérir une part de marché à la hauteur de son poids dans l'audiovisuel. »
En cause, le manque d'ambition et de capacité au regroupement des acteurs français qui préfèrent se réfugier dans des offres de VOD multiples et le plus souvent décevante (à quelques rares exceptions près), lorsqu'elles ne font pas fuir les clients potentiels devant des tarifs abusifs (comme c'est le cas avec les séries).
Le cadre de la SVOD est lui aussi compliqué, et les discussions autour d'un équivalent à Netflix impliquant plusieurs acteurs n'ont finalement pas abouti, laissant CanalPlay quasiment seul sur le terrain. De quoi limiter les capacités à séduire au niveau français, et donc aussi au niveau européen, où aucun acteur de poids n'émerge vraiment avec une solution convaincante.
Il faut donc partir avec des atouts et profiter des avantages de France Télévisions pour avoir une chance de convaincre, puis d'aller plus loin ensuite si les résultats sont là. Delphine Ernotte rappelle ainsi que son groupe « France Télévisions qui finance 50 % de la création audiovisuelle, soit 400 millions d'euros », elle pourrait aussi retrouver un autre acteur très présent dans la chaîne de financement de la création française, qu'elle connaît bien : Orange.
Le but n'est pour autant pas de se limiter à ce que produit le service public puisqu'elle évoque le cas de l'INA qui propose déjà une offre de SVOD et précise qu'une telle plateforme « sera ouverte à tous les autres diffuseurs privés ».
Réinventer la télévision et ses revenus : une idée dans le vent
Pour Delphine Ernotte, c'est surtout le modèle économique de la télévision qui va évoluer, et il faut anticiper dès maintenant les mutations à venir afin de préparer les revenus non pas de l'année prochaine, mais ceux qui auront une place importante « à dix ou quinze ans ». Reste maintenant à voir en quoi cette plateforme consiste exactement.
Une ambition et un discours qui semble de plus en plus faire son chemin, face à l'audience TV en baisse chez les jeunes et à l'émergence de nouveaux modèles, de YouTube Red à Vice (qui veut créer ses propres chaînes). Ce n'est d'ailleurs pas sans rappeler ce qui est au cœur du projet Molotov.tv (voir notre analyse), porté par Jean-David Blanc, fondateur d’AlloCiné, Pierre Lescure, fondateur de Canal+, Jean-Marc Denoual (ex-TF1), et Kevin Kuipers (AlloCiné, SensCritique, GameKult).
Ce service veut lui aussi fédérer les contenus télévisuels (mais pas seulement la création française) au sein d'une même interface avec un modèle en partie basé sur un abonnement, et qui pourrait ne pas voir d'un très bon œil l'initiative du service public. Espérons que, cette fois encore, on ne va pas multiplier des acteurs qui vont s'affaiblir les uns les autres, alors que les GAFA et autres Netflix remportent une bonne partie du gâteau, avec une bonne pincée d'optimisation fiscale en cadeau.