Travail au noir : des entreprises bientôt épinglées sur Internet, mais loin des moteurs de recherche

Couvrez cette condamnation que je ne saurais voir
Droit 5 min
Travail au noir : des entreprises bientôt épinglées sur Internet, mais loin des moteurs de recherche
Crédits : tucko019/iStock Editorial/Thinkstock

Afin de jeter l’opprobre sur les entreprises épinglées pour des faits de travail illégal, les députés socialistes ont voulu que la justice puisse ordonner une mise à l’index des condamnés sur un site Internet dédié. Grâce à un décret paru ce matin au Journal officiel, cette « liste noire » va pouvoir voir le jour. Elle restera cependant secrète aux yeux de Google ou DuckDuckGo par exemple.

Voilà plus d’un an que l’article 8 de la loi visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale attendait la publication de ce décret. Dès demain, les juges amenés à condamner des faits de travail illégal (prêt illicite de main d’œuvre, travail dissimulé, marchandage, emploi d’étrangers sans titre de travail, fraudes aux revenus complémentaires) pourront ainsi prononcer une nouvelle peine complémentaire : la diffusion de leur décision sur un site Internet officiel, pour une durée maximale de deux ans.

Cette nouvelle sanction ne sera absolument pas systématique. Elle pourra être choisie par les magistrats selon les cas, à partir du moment où ils décident d’infliger (a minima) une amende au coupable – quel que soit son montant.

Nom, adresse, SIREN diffusés sur le site du ministère du Travail

Dès qu’une personne physique ou morale aura été condamnée, le greffe de la juridiction devra transmettre la décision au ministère du Travail, à partir du moment où celle-ci aura « acquis un caractère définitif ». Cette communication se fera « dans des conditions garantissant l'intégrité et la confidentialité des données transmises », précise le décret. Dans la pratique, il est prévu que les services judiciaires continuent d’utiliser leurs faxs pendant environ un an, avant de passer à l’application Cassiopée. Le condamné sera averti par le greffe de toute transmission.

Le ministère du Travail aura ensuite pour mission de procéder à la mise en ligne de nombreuses informations : identité (nom, prénom(s), sexe, date et lieu de naissance) du représentant légal d’une entreprise ou du condamné, SIREN ou SIRET, adresse, activité principale exercée, nature de l’infraction, date et dispositif de la décision, date de mise en ligne, durée de la diffusion et date de fin de la diffusion, etc. Aux termes du décret, cette diffusion se fera « sur une partie du site Internet de ce ministère, dédiée à la diffusion des décisions pénales prononcées (...) en matière d'infractions de travail illégal ». Cette rubrique sera « consultable librement et gratuitement par toute personne ».

Justice Marteau Clavier
Crédits : serggn/iStock/Thinkstock

Des informations qui n’apparaîtront pas sur Google ou DuckDuckGo

Problème : la mise à l’index voulue par le législateur ne sera pas aussi poussée qu’on aurait pu l’imaginer. Aiguillé par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le gouvernement a en effet précisé dans son décret que le ministère du Travail prendra « les mesures nécessaires pour assurer (...) la protection des données identifiantes en vue d'empêcher leur indexation par les sites de moteur de recherche ». L’administration a ainsi prévu de recourir à un fichier « robots.txt » pour éviter que les moteurs de recherche renvoient vers ces informations.

En clair, pour savoir que telle entreprise a été condamnée pour travail au noir, il faudra se rendre sur le site du ministère du Travail. Une recherche dans Google, Bing ou DuckDuckGo ne renverra pas vers les détails d'une procédure judiciaire. Rappelons néanmoins que les moteurs n'ont aucune obligation de suivre les indications fournies par les fichiers « robots.txt », même si les principaux acteurs de la recherche en ligne le font.

Pour empêcher d’éventuels internautes tentés de se lancer dans une opération de copier/coller, les condamnations devraient d’autre part être diffusées au format image. Les visiteurs du site auront d’ailleurs l'obligation d'accepter (en cochant une case) des conditions stipulant que l’extraction, la détention et la reproduction des condamnations diffusées sur ce nouveau site dédié est interdite.

Une mise à jour « sans délai » en cas d’appel ou de pourvoi en Cassation

La CNIL a spécialement tiqué sur un aspect de ce texte. La gardienne des données personnelles relève que « la diffusion de décisions judiciaires non définitives, par conséquent susceptibles d'être infirmées par une cour d'appel ou cassées par la Cour de cassation, est de nature à entrainer des conséquences préjudiciables et souvent irréparables pour des personnes relaxées par la suite ». Le décret prévoit à ce sujet qu’en cas de décision modifiée ou confirmée par une juridiction supérieure, suite à une exécution provisoire, les services du ministère chargé du travail doivent procéder « sans délai » à une mise à jour.

La CNIL met en garde contre une fuite en avant

Tout en utilisant – comme à son habitude – des mots très policés, la CNIL s’est montrée dans l’ensemble extrêmement prudente vis-à-vis de ce nouveau dispositif. La commission souligne en effet « qu'un juste équilibre entre le caractère public d'une décision de justice et sa libre accessibilité sur Internet doit être recherché pour éviter une atteinte excessive aux droits des personnes, au nombre desquels figurent en particulier le respect de la vie privée et la préservation des chances de réinsertion ».

À la lecture de ce qui n’était qu’un projet de décret, l’autorité administrative a estimé que ce texte « concerne des infractions qui, bien que présentant une gravité certaine, sont moins sévèrement sanctionnées par la loi que d'autres comportements, tels que par exemple les crimes et les délits contre les personnes, la corruption ou encore le détournement de fonds, et pour lesquels une publication sur internet n'est pas prévue. Dès lors, un risque existe de voir les dispositions concernées constituer un précédent qui serait ensuite, de proche en proche, généralisé, au détriment des protections assurées par les textes existants. »

L’institution met ainsi en garde contre une « systématisation de la diffusion sur Internet des condamnations, par la portée infamante qu'elle comporte », qui serait selon elle « de nature à porter une atteinte excessive aux droits et libertés fondamentaux ».

Restera maintenant à voir comment ce nouveau dispositif s’appliquera, et s'il séduira les juges. Lors des débats parlementaires, le gouvernement avait indiqué qu’une centaine d’entreprises avaient été condamnées pour travail illégal en 2011.

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