En dépit de l'opposition du gouvernement, les sénateurs écologistes ont réussi à faire adopter hier leur proposition de loi interdisant les publicités lors des émissions pour enfants diffusées par les chaînes du groupe France Télévisions (France 2, France 3...) à partir de 2018. Le texte est encore loin d’être définitivement voté, puisqu’il doit désormais être examiné par l’Assemblée nationale.
Mis à part les socialistes et les communistes, l’ensemble des groupes politiques du Sénat se sont ralliés au texte déposé cet été par André Gattolin (EELV). Il faut dire que la rapporteure écologiste Corinne Bouchoux avait pris grand soin à arrondir les angles lors des débats en commission.
D’une part, l’élue a circonscrit la portée de cette proposition de loi. Interdisant initialement la diffusion de publicités lors des émissions destinées à la jeunesse – donc au moins de 18 ans – celle-ci vise désormais les seuls programmes s’adressant « prioritairement aux enfants de moins de douze ans ». Cette restriction s’appliquera quinze minutes avant et après ces émissions. Par contre, les « messages génériques pour des biens ou services relatifs à la santé et au développement des enfants » (lait, fruits...) resteront autorisés, de même que les « campagnes d’intérêt général ». Bien entendu, le site de replay Pluzz.fr devra lui aussi respecter ces dispositions.
D’autre part, Corinne Bouchoux a accepté de retarder l’entrée en vigueur de ce texte. Celui-ci prévoit désormais une application à compter du 1er janvier 2018, ce qui devrait laisser le temps à France Télévisions de s’y préparer. Ce délai est surtout censé permettre aux pouvoirs publics de trouver un moyen de financement pour le groupe public, à l’appui des récentes propositions sénatoriales concernant la redevance – qui pourrait être prélevée sur davantage de foyers, notamment chez ceux n’ayant pas de télévision (voir notre article).
Ajout d’un principe d’autorégulation des chaînes sous l’égide du CSA
Pour que les chaînes privées (TF1, M6, Canal+...), non concernées par ce texte, se saisissent également du sujet, la sénatrice écologiste a introduit, toujours en commission, des dispositions visant à promouvoir davantage l’autorégulation du secteur, sous l’égide du CSA. Le gendarme de l’audiovisuel devra en effet adresser chaque année au Parlement un rapport « évaluant les actions menées par les services de communication audiovisuelle en vue du respect, par les émissions publicitaires qui accompagnent les programmes destinés à la jeunesse, des objectifs de santé publique et de lutte contre les comportements à risque, et formulant des recommandations pour améliorer l’autorégulation du secteur de la publicité ».
Risque d’obésité, société de consommation...
Armés d'un texte volontairement allégé, les écologistes ont pu constater que leur copie faisait l’objet d’un certain consensus, puisque aucun amendement n’avait été déposé en vue des débats dans l’hémicycle, qui ont eu lieu hier soir. André Gattolin en a quoi qu’il en soit profité pour rappeler que la surexposition des enfants à la publicité créait d’après lui « un désir de consommation compulsif qui sape l'autorité parentale et la paix des familles ». Corinne Bouchoux a embrayé en affirmant qu’une corrélation existait « entre le temps passé devant les écrans et l'obésité ».
Les deux élus se sont toutefois heurtés à l’opposition du gouvernement. « Je partage votre préoccupation, consistant à limiter les effets des messages publicitaires sur les enfants, mais je ne suis pas convaincue que cette proposition de loi soit le bon moyen d'y répondre » a ainsi fait valoir Fleur Pellerin. Selon la ministre de la Culture, « le lien entre messages publicitaires et obésité est pour le moins ténu » : « L'obésité infantile n'a pas reculé là où la publicité destinée aux enfants a été interdite. Puis, votre proposition de loi cible les programmes jeunesse, alors que les jeunes regardent aussi beaucoup la télé-réalité, par exemple ! »
Un manque à gagner estimé à 10 millions d’euros par an pour France Télévisions
Autre point de blocage : le coût de cette réforme. Alors que Corinne Bouchoux estimait à 10 millions d’euros le manque à gagner pour France Télévisions, Fleur Pellerin a affirmé que la stabilité économique du groupe public serait « compromis[e] » si le législateur abaissait à nouveau ses recettes publicitaires. « Aussi, mon avis sur cette proposition de loi est-il défavorable » a conclu la ministre de la Culture.
« Que valent 10 millions d'euros par rapport aux dégâts de la publicité sur les enfants ? » s’est faussement interrogée la centriste Catherine Morin-Desailly à ce sujet. Certains n’ont par ailleurs pas manqué de rappeler que l’exécutif avait encore augmenté cette semaine la « taxe Copé » affectée à l’audiovisuel public...
Si les arguments du gouvernement n’ont pas convaincu les groupes UDI, Les Républicains et RDSE, celui des socialistes s’est en revanche rallié à l’exécutif. « Cette proposition de loi n'entend assurer la protection des enfants qu'à travers la publicité, alors qu'il faudrait les éduquer à la manière de regarder la télévision, mais aussi l'internet et ses centaines de millions de vidéos vues sur YouTube ! » a objecté le sénateur David Assouline. L’élu PS estime d’ailleurs qu’il faudrait « s'intéresser non pas seulement à la publicité, mais aux programmes dans leur ensemble. Ce n'est pas la publicité en tant que telle qui rend obèse, c'est le fait de rester immobile pendant des heures devant la télévision à manger des sucreries... »
Finalement adoptée peu après 23 heures, cette proposition de loi part désormais à l’Assemblée nationale, où les élus écologistes devront l’inscrire à l’ordre du jour pour qu’elle puisse être débattue. Cette seconde étape pourrait toutefois être plus délicate, puisque les députés socialistes sont majoritaires au Palais Bourbon, contrairement au Sénat, où la droite et le centre sont aux manettes depuis l’année dernière.