La semaine dernière, les sénateurs ont réintroduit une disposition qui avait été effacée par les députés : la possibilité pour l’autorité administrative de bloquer les sites où est organisé le proxénétisme ou la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle.
Avec le terrorisme et la pédopornographie, c’est donc un nouveau cas de blocage administratif qui est aux portes du Journal officiel. Du moins, si cette proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel franchit un dernier stade de la procédure parlementaire. Le texte, adopté la semaine dernière par les sénateurs, est désormais en commission mixte paritaire, où sept députés et autant de sénateurs devront trouver une version de compromis.
Au Sénat, le gouvernement a tenté de temporiser
Fait notable, le 14 octobre dernier, Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des Droits de la femme, a redit toute l’opposition du gouvernement à un tel blocage. Pourquoi ? Car « il nous semble souhaitable d’attendre, dans un premier temps, que l’efficacité du dispositif de blocage des sites terroristes et pédopornographiques soit évaluée, avant que celui-ci soit étendu à d’autres infractions ».
L’exécutif voudrait donc d’abord jauger les deux premiers cas de blocage qu’il a soutenus, avant d’étendre davantage cette mesure. Chantal Jouanno s’y est toutefois opposée. « Bien souvent la traite des êtres humains contribue au financement du terrorisme » a exposé la sénatrice UDI, auteure de l’amendement finalement adopté. « Boko Haram en est probablement le meilleur exemple. (...) il existe une totale convergence entre les réseaux de traite et les réseaux terroristes. En conséquence, ces mesures sont bel et bien complémentaires. »
Délicate qualification des faits
Jean-Claude Requier, sénateur RDSE, s’est montré « dubitatif » notamment quant aux éléments caractéristiques qui justifieront le blocage : « Comment distinguer la prostitution des échanges volontaires ? (…) Certaines personnes sont mariées. Il faut aussi prendre en compte les pratiques échangistes. Où commence, où s’arrête la prostitution ? »
Et celui-ci d’anticiper : « Certaines personnes passeront par l’intermédiaire des rencontres volontaires pour cacher des faits de prostitution ». En d’autres termes, si la pédopornographie est d’une illicéité évidente, n’ouvrant que rarement la porte au questionnement, la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle ou le proxénétisme n’est pas simple à qualifier et devrait, de ce fait, exiger l’intervention d’un juge.
La position du Conseil constitutionnel
C’est d’ailleurs ce que peu ou prou disait le Conseil constitutionnel lorsqu’il a eu à commenter sa décision LCEN en 2004 : « La caractérisation d’un message illicite peut se révéler délicate, même pour un juriste. » Voilà pourquoi La Quadrature du Net a dénoncé la semaine dernière un nouveau cas d’ « extrajudiciarisation du Net et un nouveau recul pour la liberté d'expression », compte tenu notamment des risques de surblocage.
À l’occasion de l’examen de la LOPPSI, le même juge suprême avait autorisé exceptionnellement le blocage administratif des sites pédopornographiques, en faisant savoir, toujours dans ses commentaires, qu’il n’ouvrirait que très difficilement la porte à d’autres hypothèses. La loi contre le terrorisme, qui a prévu le deuxième cas de blocage administratif, a malheureusement échappé à son contrôle. On ne sait pas encore si la proposition de loi sur la prostitution lui sera déférée, en cas d'adoption par le Parlement.