Après trois semaines de débats, la consultation publique relative à l’avant-projet de loi numérique s’est achevée dimanche 18 octobre. Les internautes se sont plutôt bien prêtés au jeu, puisqu’ils ont soumis plusieurs centaines de propositions (plus ou moins pertinentes...) au gouvernement – qui aura bien entendu le dernier mot. Next INpact vous propose un petit passage en revue.
Invités à donner leur avis sur la « version bêta » du texte élaboré par la secrétaire d’État au Numérique, Axelle Lemaire, les plus de 21 000 participants à cette opération de « co-construction » de la loi ont proposé près de 1 400 amendements. Nombreux ont ainsi été les internautes à vouloir modifier les articles relatifs à la neutralité du Net, aux missions de la CNIL, à l’Open Data, au domaine public informationnel, à la portabilité des données... Sur ce vaste sujet qu’est le numérique, ils ont également demandé l’introduction de 696 nouveaux articles, dont certains se rejoignent beaucoup.
L’ensemble de ces contributions a été soumis à l’avis des participants, qui pouvaient dire s’ils étaient « D’accord » ou « Pas d’accord ». Ce sont quasiment 150 000 votes qui ont ainsi été enregistrés sur la plateforme « République-Numérique ». Avec une conséquence : le gouvernement a promis de « répondre précisément aux propositions ayant reçu le plus de votes en expliquant pourquoi il les a retenues ou non ». Rien ne dit que les idées les plus populaires seront suivies par l’exécutif, mais celui-ci aura au moins le devoir de se positionner...
Nous nous sommes de ce fait penchés sur les propositions ayant recueilli le plus de soutien de la part des internautes. Avec parfois quelques surprises !
Les propositions d’articles les plus populaires
Reconnaissance du « e-sport ». De manière assez surprenante, la proposition ayant obtenu le plus de votes favorables (plus de 4 000) vise à sécuriser juridiquement l’organisation de compétitions de jeux vidéo. Portées par un syndicat d’éditeurs de logiciels de loisirs, ces dispositions figuraient dans une des versions fuitées de l’avant-projet de loi numérique.
Imposer la priorité aux logiciels libres et aux formats ouverts au sein de l’administration. Les internautes ont massivement soutenu l’une des propositions de l’April, en vertu de laquelle tous les services de l'État, les entreprises du secteur public, les collectivités territoriales... seraient tenus de donner « la priorité aux logiciels libres et aux formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation d'un système informatique ».
Des actions de groupe pour les litiges « numériques ». Alors que le gouvernement a manifestement renoncé à introduire une action collective permettant de saisir les tribunaux en cas de problème relatif aux données personnelles, La Quadrature du Net voudrait que les actions de groupe prévues par la loi Hamon de 2014 ne se limitent plus à la réparation de préjudices résultant des seuls « dommages matériels » subis par les consommateurs. Plus de 2 000 participants sont ainsi favorables à ce que ce dispositif soit activable pour des atteintes au droit sur les données personnelles ou à la neutralité du Net par exemple.
Liberté de panorama. L’association Wikimédia France, qui s’occupe notamment de l’encyclopédie libre Wikipédia, souhaiterait que chaque citoyen soit libre de diffuser des photos de bâtiments et d’œuvres d'art qui ne sont pas encore tombés dans le domaine public, mais que l'on peut observer depuis la voie publique. L’idée avait un temps été soutenue par Axelle Lemaire, avant d’être écartée suite aux arbitrages de Matignon. Si cette proposition a recueilli plus de 1 800 soutiens, elle a aussi obtenu 1 400 votes défavorables suite à une forte mobilisation de la part d’ayants droit.
Ouverture du code source des logiciels développés par l’État. Comme le prévoyait l’une des versions fuitées de l’avant-projet de loi numérique, l’April demande à ce que les « codes source de logiciels » soient des documents administratifs communicables par principe au citoyen, au titre de la loi CADA de 1978.
Droit au chiffrement des communications. Près de 2 000 internautes ont approuvé la proposition de La Quadrature du Net visant à faire du chiffrement « un droit nécessaire à l'exercice de la vie privée ». L’utilisation de procédés visant à garantir le secret des correspondances ne pourrait ainsi plus « être reconnue comme une circonstance aggravante lors de la commission d'un crime ou d'un délit ».
Interdiction des ventes liées ordinateur/système d'exploitation. Un internaute se présentant comme « Obi Wan Kenobi » demande à ce que la loi numérique oblige les fabricants de PC à vendre leurs machines sans système d’exploitation pré-installé (Windows, OSX...), à moins que le consommateur ne le souhaite. Cette vieille revendication, assez mal formulée sur un plan juridique, a quoi qu’il en soit obtenu près de 1 700 soutiens.
Maintien des cabines téléphoniques. Alors que la loi Macron a ouvert la voie au démantèlement des publiphones, comme on les appelle dans le jargon, l’association « Perdons pas le fil » voudrait qu’au moins un point d'accès (utilisant la technologie filaire) soit disponible « sur chaque commune, hameau, bourg, quartier, arrondissement, service des urgences d'hôpital – ou structure de soins équivalente, gare, aéroport, parking et aire d'autoroute et de quatre voies ». L’idée est notamment de pouvoir faire face à une coupure électrique d’envergure, privant de réseau mobile.
Ouverture des données ayant servi à la rédaction d’un rapport public. Un participant, soutenu par un millier d’internautes, espère que les pouvoirs publics soient tenus de publier les données brutes (statistiques, sondages...) ayant servi à la préparation d’un rapport.
Quelques propositions un peu moins populaires...
Suppression de la copie privée. Un particulier, suivi par quasiment 400 participants, demande à ce que la redevance pour copie privée (prélevée pour l’achat de supports vierges de type CD ou disque dur), passe purement et simplement à la trappe.
Davantage de traduction en langue des signes dans les JT. La Fédération nationale des sourds de France, appuyée par plus de 300 internautes, demande à ce qu’au moins un journal télévisé diffusé aux heures de grande écoute soit « accessible par transcription écrite et en Langue des Signes Française », sous-entendu avec un traducteur – mais uniquement pour les chaînes publiques : France 2, France 3, etc.
Création d’un registre gouvernemental relatif au lobbying. Alors que le gouvernement a très timidement avancé sur ce dossier, plusieurs dizaines d’internautes réclament la mise en ligne, chaque semaine, d’une « liste des rencontres » faites par les ministres et membres de cabinets : personnalités diverses, associations, syndicats, groupes de pression, etc.
Des licences libres pour les œuvres créées grâce aux deniers publics. Un internaute, soutenu par plus de 300 participants, plaide pour que les œuvres numériques « dont la création a été permise en partie ou en totalité par un financement public (subvention, fond propre/budget, réduction d'impôt, déduction fiscale, etc.) » soient systématiquement diffusées sous licence libre, de type Creative Commons.
Renforcer le pouvoir de sanction de la CNIL. Manifestement inspirés par ce qui avait préalablement été imaginé par Bercy, certains participants proposent que la gardienne des données personnelles puisse infliger une amende pouvant atteindre « 3 millions d’euros ou, pour les entreprises, 5 % de leur chiffre d’affaires annuel mondial ». Ce plafond ne vaudrait cependant que pour les personnes épinglées à plusieurs reprises. Pour un premier manquement, l’amende ne pourrait en effet dépasser les 300 000 euros, contre 150 000 aujourd’hui.
Supprimer la Hadopi. Un internaute, soutenu par 150 personnes, a demandé la suppression pure et simple de l’institution en charge de la riposte graduée, présentée comme un « gouffre financier » inefficace. Rappelons toutefois qu’Axelle Lemaire nous avait indiqué en juin 2013 qu’elle ne voulait pas que son projet de loi « soit l'occasion d'ouvrir un débat sur Hadopi ».
Renforcement de la CADA. Plusieurs organisations, à l’image du Conseil national du numérique et de l’association Regards Citoyens, demandent à ce que les missions de la Commission d’accès aux documents administratifs soient revues. La première propose par exemple que l’institution puisse « assortir ses décisions d’astreinte ou de sanctions ». La seconde voudrait de son côté que la CADA puisse s’auto-saisir.
On notera aussi des propositions pour :
- Une consultation systématique des citoyens, sur le modèle de cette opération, pour chaque projet ou proposition de loi.
- Limiter la publicité sur Internet à une certaine proportion de la page.
- Autoriser les opérateurs de jeux en ligne à proposer la belote, le tarot et le bridge avec mise.
- Faire en sorte que les vidéos diffusées sur Pluzz.fr, le site de replay de France Télévisions, soient téléchargeables gratuitement.
- Instaurer une formation obligatoire au numérique de tous les élus, notamment locaux.
- Favoriser le télétravail, en prévoyant un abattement fiscal au profit des entreprises qui jouent le jeu.
La « V2 » du texte attendue pour novembre
« Cette participation, exceptionnelle pour ce type d’exercice, engage le gouvernement » a solennellement affirmé Matignon dans un communiqué diffusé hier. Une nouvelle version du projet de loi numérique, « tenant compte des principaux apports du débat en ligne », devrait ainsi être élaborée par le gouvernement, avant que le texte final ne soit soumis pour avis à la CNIL, à l’ARCEP, au Conseil d’État, etc. L’objectif d’Axelle Lemaire était pour mémoire de pouvoir présenter son texte en Conseil des ministres durant le mois de novembre, pour des débats devant le Parlement à compter de janvier 2016. L’on verra à ce moment là quels auront été les pistes ayant retenu l’attention de l’exécutif...