Exclusif Next INpact : Licencié de la Hadopi depuis le 1er août dernier, Éric Walter avait contesté cette décision. Surprise ! Vendredi, le tribunal administratif de Paris a ordonné sa réintégration. Il va du coup redevenir secrétaire général de l’autorité publique indépendante.
C’est sans doute le pire scénario qui pouvait s’ouvrir pour les instances dirigeantes de la Hadopi. Saisi en référé par l’ancien secrétaire général, M. Duboz, juge des référés, a estimé qu’il y avait une « erreur d’appréciation » de l'autorité, quant à « l’insuffisance professionnelle » supposée d’Éric Walter.
Dans son ordonnance, que nous diffusons ci-dessous, il décide de « suspendre la décision du 30 juillet 2015 de la présidente de l’Hadopi prononçant le licenciement de M.Walter ». En clair, en attendant le jugement au fond, Marie-Françoise Marais et Mireille Imbert-Quaretta retrouvent le secrétaire général dont elles ne voulaient plus.
Pour comprendre ce dénouement-surprise, il faut revenir à l’audience préparatoire du 9 octobre où Maître Gérard Falala a accablé le « changement d’humeur » de la direction qui, « après avoir dit beaucoup de bien d’Éric Walter ces derniers mois, a finalement procédé à son licenciement ».
Beaucoup de bien ? L’avocat d’Éric Walter rappellera ce discours d’octobre 2014 où Marie-Françoise Marais félicitait « un modèle de haut fonctionnaire public comme on en rencontre peu dans une carrière ». Pour l'avocat, « le bilan consacré par la Hadopi a été élogieux ! ».
Le contexte était alors tendu : face aux ayants droit de l’audiovisuel, qui jugeaient insupportable l'étude du secrétaire général de la Hadopi sur la rémunération proportionnelle du partage, la présidente du collège avait pris bec et ongles sa défense, sans l’ombre d’une hésitation : « Nous avons besoin de sa connaissance pointue d’Internet pour irriguer nos travaux. Nous avons besoin de sa gestion rigoureuse pour nous adapter à une contrainte budgétaire toujours plus forte. Nous avons besoin de son sens de l’intérêt général et de son travail acharné au service de la création. »
« Comment est-on passé d’un tel portrait à celui d’un licenciement pour insuffisance professionnelle six ou sept mois après ? » se demande Me Falala, qui s’est risqué à l’explication : « l’élément déterminant » serait la différence de perception entre son client et Mireille Imbert-Quaretta, la présidente de la commission de protection des droits. La période est en effet celle des vaches maigres : baisse du budget annuel, « la seconde d’affilée », et voilà une Hadopi qui, « pour financer son indépendance, dépend de la subvention de l’État. Une indépendance serrée ». Avec une subvention ramenée à 6 millions pour 2015, l’entité voit dès lors son fonds de roulement fondre au soleil, pouvant « à peine assurer le paiement des salaires ».
Le pré carré de la CPD
« La pression est alors très forte » poursuit l’avocat. Histoire de déterminer les potentiels postes à supprimer, Éric Walter initie un diagnostic de l’ensemble des services. C’est alors le pas de trop, car « la commission de protection des droits, présidée par Mireille Imbert-Quaretta, revendique son domaine comme un pré carré. On n’y touche pas sans que les décisions ne viennent d’elle-même. »
« Il a fait cette évaluation sans alerter la Commission de protection des droits » oppose Me Bailliencourt, avocat de la Hadopi, qui fait état d’une intrusion. Après des échanges de mails entre les services, celle qui préside le mécanisme de la riposte graduée obtient finalement gain de cause : « Le seul service sans suppression d’emploi, alors qu’il y a le plus grand nombre d’agents, c’est le service de la direction des droits » remarque cette fois l’avocat d’Éric Walter.
Une indélicatesse ? Devant le président du tribunal administratif, le même rappelle que son client et Marie-Françoise Marais sont les deux seuls ordonnateurs de l’établissement, pas Mireille Imbert-Quaretta. Ce sont donc eux les responsables des éventuelles fautes de gestion. « La présidente de la CPD, qui n’a aucune responsabilité financière par rapport à la présidente du collège ou du secrétaire général, s’est arrogée chef de service. De là est née cette tension » avance-t-il encore.
Me Bailliencourt a une autre grille de lecture de l'audit d’Éric Walter du 12 novembre 2014, qui conclut qu’ « il est difficile de réduire les effectifs [de la CPD, ndlr], sachant que les objectifs chiffrés de recommandations demandés aux agents sont déterminés par la Commission de protection des droits ». Pour lui, pas de doute : il était impossible de tailler dans les rangs de la CPD, non parce qu’il s’agit du pré carré de Mireille Imbert-Quaretta, mais parce que le rapport d’Éric Walter caractérise l’importance de ses missions et l’utilité du personnel. « C’est la reconnaissance même qu’on ne pouvait pas licencier les agents. »
Quoi qu’il en soit, cette étude a été l’occasion de relations extrêmement tendues entre la présidente de la CPD et le secrétaire général. Me Bailliencourt met aussi en avant d’autres échanges électriques notamment avec Damien Combredet, le chargé des relations institutionnelles de la Hadopi devenu en outre coordinateur au sein de l’institution : « M. Walter a eu un comportement inadapté à l’encontre de M. Combredet ». Pour Me Falala, au contraire, celui-ci a « revendiqué sans arrêt de nouveaux pouvoirs, des augmentations » et en face, Éric Walter a simplement fait barrage.
En mai 2015, le secrétaire général purge ses jours de congé. Un mois plus tard, à son retour, le climat s’envenime. Le chargé des relations institutionnelles « a pris une influence très forte vis-à-vis de la présidente, qui ne parle plus directement à Éric Walter, le renvoie auprès du coordinateur ou de la secrétaire générale adjointe » poursuit l’avocat du secrétaire général. « Éric Walter s’en offusque. »
« On l’a licencié à l’américaine ! »
En juillet, le divorce : entretien préalable à un éventuel licenciement. Trois jours plus tard, c’est la porte. « Le but était de licencier tout de suite. Pour des raisons glauques, on l’a licencié à l’américaine. Vous prenez vos cartons et vous partez ! » s'énerve l'avocat.
« La rupture a été consommée entre Marie-Françoise Marais et M. Éric Walter. Il y a eu une situation conflictuelle très nette notamment avec Mireille Imbert-Quaretta qui rendait impossible la relation entre ces présidentes et M. Walter » oppose cette fois Me Bailliencourt. « Comment pouvait-on faire un audit objectif sans associer les membres de la CPD ? C’est de là que vient l’origine conflictuelle ! » insiste-t-il.
Les échanges du 9 octobre ont été marqués de plusieurs épisodes épiques. Pour justifier de l’urgence, caractéristique des procédures de référés, l’avocat d’Éric Walter a fait état d’une très forte baisse prochaine des revenus, effective à la fin du mois d’octobre. Il estime son allocation de retour à l’emploi à 6 000 euros par mois, loin des 14 969 euros bruts que le secrétaire général percevait jusqu’alors. Impossible du coup de faire face aux charges mensuelles dont ses 4 000 euros d’impôts, outre des emprunts et 1 500 euros de loyer, etc. « Il va être dans la situation d’une personne qui ne sera plus en capacité de faire face à ses charges fixes ». L’avocat de la Hadopi conteste : l’urgence ferait défaut dans cette procédure, déjà parce que la mensualisation fiscale prend fin mi-octobre. « Ne chipotons pas. On n’a pas vraiment les éléments ! », s'agace le président qui rappelle qu'à partir de janvier, la machine fiscale reprendra son funeste cours...
Quand Hadopi rime avec schizophrénie
Me Bailliencourt fait état aussi d’un mail d’Éric Walter à Marie-François Marais adressé le 27 juin 2015. Les propos y sont fleuris. « Ce ne sont pas ceux d’un secrétaire général à une présidente d’une autorité administrative indépendante ! » L’argument ne prend pas davantage : le magistrat souligne que les deux personnages se connaissent depuis de nombreuses années, ce qui laisse la porte ouverte aux familiarités.
Plus généralement, le juge des référés a eu un mal fou à comprendre la situation schizophrénique de cette Hadopi, qui d’une main fait l’éloge d’Éric Walter, tout en organisant de l’autre son licenciement. Il a donc décidé de suspendre cette procédure. Mieux, il a décidé d’ordonner la réintégration d’Éric Walter au poste de secrétaire général dans un mois, en attendant la décision au fond qui doit intervenir dans une dizaine de mois.