Exclusif. Après l'Association de la presse judiciaire, c'est au tour du Conseil de l'Ordre des avocats de Paris d'agir. Le bâtonnier Pierre-Olivier Sur a décidé d’attaquer la loi sur le renseignement devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). En cause ? Le secret professionnel des avocats, qui serait menacé par le texte sécuritaire français.
« Aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats et un droit au secret des sources des journalistes ». La messe avait été sèchement dite par le Conseil constitutionnel le 24 juillet dernier. Le front français étant vain, c’est désormais devant le Cour européenne des droits de l’Homme que les attentions se concentrent.
Me Pierre-Olivier Sûr, bâtonnier de Paris, a ainsi décidé cette semaine de mener cette bataille à l’égard de la loi sur le renseignement, accusée d’égratigner trop profondément le secret professionnel des avocats. « La loi sur le renseignement est un texte qui représente à nos yeux un double mensonge d’État, nous commente le représentant de l’Ordre des avocats de Paris qui a fait appel à Me Patrice Spinosi. En faisant croire qu’il s’agit de protéger la nation contre le terrorisme, alors que son spectre est infiniment plus large. Et ensuite, en garantissant son contrôle par un juge alors que le seul juge des libertés est le juge judiciaire et qu’en l’espèce, c’est le juge administratif qui a été choisi. Non pas le tribunal administratif, ou la cour d’appel, mais le Conseil d’État dont la saisine apparait inaccessible, y compris aux professionnels du droit ».
Droit au secret, droit à la vie privée
C’est donc devant la Cour européenne des droits de l’homme que ces questions seront tranchées. La Convention du même nom protège spécialement le droit à la vie privée. Selon son article 8, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
Cependant, le même article admet des ingérences dès lors qu’elles sont prévues par la loi, motivées par un but légitime et nécessaire dans une société démocratique. Il reviendra donc à la CEDH de jauger la proportionnalité de ces atteintes, en tenant d’une main le droit au secret de l’avocat et de l’autre, les objectifs poursuivis par la loi sur le renseignement.
Sur ce terrain, justement, les finalités justifiant le déploiement des outils de surveillance ont été maintes fois dénoncées comme trop floues, trop vagues, offrant une vaste marge de manœuvre aux services. On retiendra, outre la lutte contre le terrorisme, la défense ou la promotion de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire, des intérêts majeurs de la politique étrangère, des intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France, la prévention de toute forme d'ingérence étrangère, la prévention aux atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique…
Le secret des sources du journaliste, le secret professionnel de l’avocat
Déjà, la semaine dernière, l’association de la presse judiciaire a déposé une requête similaire devant la même Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Défendue elle-aussi par Me Spinosi, l’APJ reproche spécialement à cette loi publiée au Journal officiel au beau milieu de l’été, de malmener le secret des sources, la vie privée et la liberté d’information du journaliste.
Si les services du renseignement ne peuvent surveiller les contenus liés à profession de journaliste, ils peuvent parfaitement harponner les éléments tenant à leur vie privée. Seulement, c’est mécanique : lorsqu’on surveille un échange entre un journaliste ou un avocat et une tierce personne, impossible de qualifier par avance si telle communication relève bien de sa vie privée. Potentiellement, donc, les agents seront donc en pleine connaissance d’informations pourtant interdites par la loi, car rattachée à des activités dont le secret est protégé. Autre chose, le même texte sur le renseignement prévoit tout un arsenal de dispositifs d’aspiration de données de connexion. Que ce soit les fausses antennes relais ou les algorithmes prédictifs (les fameuses « boîtes noires »), nécessairement des échanges noués par ces mêmes acteurs pourront tomber accidentellement dans ces indiscrets filets.
Pour le bâtonnier de Paris, c'est là que le bât blesse : « ce texte ne garantissant pas le secret professionnel des avocats, il devrait être purement et simplement censuré. Il y a une grande jurisprudence sur les libertés publiques à la CEDH qui aujourd’hui est créatrice de droits, exemplaire au point de révéler que notre droit français a un temps de retard. »
Des avocats franco-américains ont déjà saisi la CNIL
Ce n’est par ailleurs pas la première fois que des avocats agissent contre les outils de surveillance. Un des membres de la FABA, la French American Bar Association, a déjà saisi la CNIL voilà quelques jours.
Il estime en effet que « la remise en cause (...) du secret professionnel protégeant la profession d’avocat et l’obligation de confidentialité des échanges entre l’avocat et son client dans un contexte international entraine la qualification de ces actes par la CNIL de violations, infractions et de délits au sens de la loi (…) relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. »
À l’index, un texte administratif secret de 2008 portant sur la surveillance internationale. Ce décret non publié serait aujourd’hui remis en cause par la décision du Conseil constitutionnel qui a estimé que seul le législateur était en capacité d’encadrer ces opérations. Les neuf sages avaient à cette occasion censuré une des dispositions de la loi Renseignement qui, elle aussi, reléguait ces opérations sensibles au seul pouvoir exécutif.
Après la saisine de la Cour européenne des droits de l’Homme par le bâtonnier de Paris, il faudra désormais attendre deux à trois ans pour espérer un jugement. Nous reviendrons très prochainement sur le sujet avec un complément d’information.