L’Assemblée nationale débute aujourd’hui l’examen du projet de loi sur la création. À cette occasion, le député rapporteur du texte Patrick Bloche propose d’instaurer un droit à rémunération équitable pour les artistes-interprètes pour les exploitations sur Internet.
Le grand projet de loi de Fleur Pellerin débute aujourd’hui son périple en séance. Les députés vont devoir examiner plus de 400 amendements d’ici la troisième séance, jeudi soir. Parmi ceux-ci, outre l’extension de la copie privée au cloud (et possiblement à l’impression 3D) remarquons celui de Patrick Bloche.
Dans son amendement 318, le député rapporteur PS du texte envisage en effet d’ajouter dans le Code de la propriété intellectuelle une série de dispositions visant à organiser un droit à rémunération équitable pour les artistes-interprètes. Il sera déclenché dès qu’un phonogramme sera mis à disposition du public sur une plateforme de musique à la demande. Et « toute stipulation contraire à cette disposition [sera] nulle » assène-t-il, désactivant les clauses contractuelles qui pourraient venir contrecarrer ce droit.
Adoptée, cette rémunération sera calculée sur les flux financiers de la plateforme, aussi bien le prix public hors taxes, mais également sur les recettes publicitaires. Ce sont les sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD) qui les gèreront exclusivement. Elles devront donc les redistribuer aux principaux concernés, après avoir prélevé les inévitables frais d’intermédiation. « Ces dernières années, plusieurs rapports successifs ont formulé des propositions portant sur la mise en œuvre d’une gestion collective obligatoire des droits de la musique en ligne afin de garantir une juste rémunération aux artistes-interprètes » s’impatiente Patrick Bloche, citant une ribambelle de rapport dont celui de Patrick Zelnik en 2011, les rapports Lescure et Phéline de 2013.
L’échec de la mission Schwartz
Cet amendement n’intervient surtout pas au hasard. Il s’intercale après l’échec de la mission confiée par Fleur Pellerin à Marc Schwartz en mai 2015. Il s’agissait alors de trouver un accord sur le partage de la valeur sur les plateformes numériques : « L’absence de constat partagé en matière de rémunération des exploitations numériques de la musique traduit de profonds désaccords entre les représentants des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et des plateformes de musique en ligne » griffait alors la locataire de la Rue de Valois. Celle-ci avait donc confié à ce conseiller maître à la Cour des comptes une « mission de médiation afin de faire converger les positions des parties prenantes et d’aboutir à un accord, d’ici fin septembre 2015 ».
Une telle mission a capoté si l'on en croit les communiqués du jour de la Spedidam et de l’Adami. Cette dernière, société de gestion collective des droits des artistes-interprètes, a claqué la porte de cette médiation, regrettant qu’après plusieurs mois de négociations « les propositions des artistes ont été rejetées une à une par les autres parties prenantes. (…) Les mesures proposées ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées au sujet de la question essentielle de la rémunération des artistes et dont la portée est mondiale. »
Pour elle, donc, c’est désormais à la loi Création d’imposer par le haut des règles de partage équitable. Même constat pour la Spedidam (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes) : « le rapport (Schwartz, ndlr) renvoie à une négociation au sein de la Convention collective de l'édition phonographique de 2008 pour créer une ‘rémunération minimale’. Or, c'est précisément cette convention collective qui a privé les artistes de rémunération pour les utilisations de leurs enregistrements par les services à la demande en organisant le transfert de ces droits aux producteurs par le seul paiement du cachet, pour 70 années et le monde entier ».
Bref, la Spedidam refuse également de s’associer à un tel dispositif peu satisfaisant à son goût : « Le rapport, pour la minorité d'artistes qui bénéficient de royalties dans leurs contrats avec les producteurs, ne prévoit que quelques engagements en matière de transparence de ces contrats et des rémunérations qui y sont attachées. »
L'amendement du gouvernement vs l'amendement Bloche
Alors que ces acteurs ne touchent que des miettes sur les plateformes en ligne, les attentions se portent maintenant sur le travail parlementaire autour du projet de loi Création. La Spedidam dégomme spécialement l’amendement du gouvernement déposé en dernière ligne droite. « Il est assez surprenant à cet égard que ce 26 septembre, un amendement du gouvernement vienne soutenir un tel dispositif qui n'apporte aucune garantie décente aux artistes. Il est indispensable et urgent que le législateur intervienne pour mettre fin à cette stratégie qui consiste pour l'industrie du disque, au fil de bientôt dix années de rapports successifs, à repousser sans cesse le respect dû aux artistes interprètes et à leurs droits. »
Cette rustine instaure en effet une garantie de rémunération minimale. Cependant, elle renvoie sa définition à un accord collectif entre les représentants des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes. Et faute d’accord dans les 12 mois, le gouvernement propose de confier à une commission paritaire le soin de fixer cette somme, sans qu’aucune date butoir ne soit cette fois prévue.
Inversement, « l'amendement 318 présenté par Monsieur Bloche, rapporteur, doit être à cet égard soutenu » insiste la Spedidam. « En organisant une perception au bénéfice des artistes interprètes auprès des plateformes, il ne remet pas en cause les contrats existants entre artistes interprètes et producteurs, ni entre producteurs et plateformes, tout en créant une garantie de rémunération fondée sur la réalité des exploitations à la demande des enregistrements des artistes. »