Avant-hier, la justice européenne a rendu une ordonnance importante en matière d’e-commerce. Elle tient à l’encadrement français de la réduction des prix sur Internet. Une procédure lancée à la demande de Cdiscount, un des spécialistes du secteur.
En juillet 2013, le cybermarchand avait été sanctionné d’une pluie de 132 amendes. La cour d’appel de Bordeaux avait considéré que le site était en indélicatesse avec la législation sur les réductions de prix. Plusieurs textes interdisaient les pratiques un peu trop sauvages afin d’éviter les tromperies chez les consommateurs en mal d’achats.
Ainsi, lorsqu’une réduction est claironnée sur un site (-50, -70, -80%...), l’e-commerçant devait afficher en parallèle le prix qui lui sert de référence. Mais ce prix pivot doit être, selon la règlementation d'alors, celui le plus bas pratiqué par le cybermarchand au cours des trente derniers jours ou encore le prix conseillé par le fabricant ou l'importateur. Le hic est que Cdiscount avait notamment oublié de justifier ce prix de référence.
Le site avait attaqué cet arrêt devant la Cour de cassation, pensant que la législation française n’était pas conforme à la directive du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales. La haute juridiction française a elle aussi eu un doute, transmettant la patate chaude aux juges européens.
Un droit français non en phase avec la législation européenne
Pour simplifier, le droit français sur les prix de référence en vigueur au moment des faits s’applique en toutes circonstances, alors que la directive européenne demande une évaluation au cas par cas, en interdisant dans le même temps aux États membres de prendre des mesures plus restrictives. C’est donc cette question très précise, mais diablement importante pour les cybercommerçants, qui a été tranchée mardi par la Cour de justice de l'Union européenne : une législation nationale peut-elle interdire par défaut les sites de e-commerce de ne pas faire apparaître les prix de référence lors de l’affichage de leur prix ?
Dans son ordonnance, le Tribunal, une des juridictions de la CJUE, va sans surprise décider que le droit français n’est pas dans les clous du droit européen. Il ne peut y avoir d’interdiction générale, mais une « évaluation au cas par cas permettant d’établir le caractère déloyal, des annonces de réduction de prix ». La messe a donc été dite, les juridictions françaises étant invitées à en tenir compte, en établissant préalablement que « ces dispositions poursuivent [bien] des finalités tenant à la protection des consommateurs », un autre critère qui permet de justifier l’application de la directive.
Les craintes de l'UFC-Que Choisir
La France n'avait pas attendu cette baffe européenne pour remettre à jour sa législation en mars 2015. Fin 2014, l’UFC-Que choisir avait craint un tel mouvement : « Le problème des prix de référence est récurrent avec certains cybermarchands, parfois plus proches du camelot que du professionnel, ce bonhomme sur le marché qui exagère un peu les réductions. Il y a une envie d’exagération sur les prix assez importante notamment sur les ventes privées. Dans le passé, on a pu ainsi voir un aspirateur vendu avec un prix de référence barré, vieux de plusieurs années ». Nicolas Godfroy, responsable juridique de l'association de consommateur, anticipait en effet dans nos colonnes « une foire d’empoigne avec des annonces de prix fantaisistes », avec des professionnels qui « feront ce qu’ils veulent tant qu’ils restent dans les critères du texte européen, qui sont assez flous ».
Cinq types de prix de référence chez Cdiscount
On remarquera dans les actuelles conditions générales de vente de Cdiscount un passage concerne justement ce que ce cybercommerçant considère comme prix de référence. Il peut s’agir, au choix, du :
- « Prix conseillé par la marque/le fabricant » à telle date,
- « Prix moyen constaté sur notre Marketplace », moyenne des prix de vente pratiqués, sur la référence concernée, par au moins deux vendeurs de la marketplace du site,
- « Prix moyen constaté sur une sélection de 89 sites ». C’est une moyenne des prix pratiqués par un panel de sites Internet concurrents établis par la société Workit, pouvant comprendre jusqu’à 89 sites concurrents, « une moyenne est calculée dès lors que 2 sites concurrents figurant dans ce panel proposent le produit concerné à la vente »,
- « Prix moyen constaté sur une sélection de 4 sites internet spécialisés » dans la vente des produits concernés soit qui ne figurent pas dans le panel des 89, soit figurant dans le panel, mais pour des catégories de produits non prises en charge par ce dernier.
- «Prix renseigné par le vendeur » de la Marketplace C le Marché, de Cdiscount, celui-ci indiquant ne pas intervenir dans la détermination du prix de référence.
De manière générale, on comprend qu’il suffit que quelques vendeurs gourmands proposent des tarifs très élevés sur une des sources pivots des prix de référence pour permettre aux cybermarchands qui s’en inspirent d’afficher des réductions plus avantageuses. En novembre 2014, l’UFC Que Choisit invitait chaudement les consommateurs « à comparer les prix entre plusieurs professionnels pour savoir si vous faites une bonne affaire ». Prophétie devenue aujourd’hui nécessité.