Alors que les appels et mails professionnels s’immiscent de plus en plus dans la sphère privée des salariés, notamment suite à l’arrivée des smartphones, un rapport remis hier au gouvernement plaide pour la mise en œuvre d’outils à même de garantir un « droit à la déconnexion » pour les travailleurs. Le sujet devrait d’ailleurs être abordé lors de la conférence sociale du 19 octobre.
Après quasiment six mois de travaux et d’auditions, le directeur général adjoint des ressources humaines d’Orange Bruno Mettling a remis hier à la ministre du Travail son rapport relatif à la « transformation numérique et [à la] vie au travail » (PDF). À l’appui de ce volumineux document, l’intéressé souligne que le nombre de smartphones a été multiplié par 6 depuis 2008 et par 4 pour les tablettes entre 2011 et 2013. « Si ces outils sont porteurs d’une amélioration sensible de l’efficacité du travail, ils peuvent aussi parfois conduire à une surcharge informationnelle et communicationnelle qui peut être contre-productive » prévient cependant l’auteur.
Bruno Mettling observe en ce sens « une profonde transformation de la relation au travail avec le mélange dans un même temps des temps de la décision, de la réflexion et de l’action ». Il explique à titre d’illustration qu’un travailleur en réunion peut par exemple « être amené à répondre à un SMS, prendre une décision par courriel, tout en écoutant ce qui est dit et en réfléchissant à la suite de la réunion ». L’auteur met de ce fait en garde contre les risques psycho-sociaux, de type burn-out, pesant ainsi sur les épaules de ces employés dont les sphères privées et professionnelles sont trop poreuses.
Entre droit et devoir de déconnexion
Si certains plaident pour la mise en place d’interdictions strictes, avec des sortes de « trêves de mails » durant certaines plages horaires, Bruno Mettling se montre avant tout partisan de solutions souples et adaptées aux besoins de chaque société ou secteur d’activité. L’intéressé mise ainsi sur une prise de conscience collective, et insiste avant tout sur le « devoir de déconnexion », qui se complète selon lui avec le « droit à la déconnexion ». « Aucun salarié ne doit se voir reproché de ne pas avoir été connecté en dehors des heures de travail, mais [il y a aussi] une responsabilité individuelle en la matière : son propre comportement peut avoir des conséquences sur ses collègues de travail » a-t-il expliqué en ce sens ce matin sur Europe 1.
Dans son rapport, Mettling écrit que « savoir se déconnecter est une compétence qui se construit également à un niveau individuel mais qui a besoin d'être soutenue par l'entreprise ». Plus concrètement, cela implique selon lui que les employeurs proposent à leurs salariés des formations relatives aux usages du numérique. « Au sein de l’entreprise, différentes démarches, pas forcément juridiques mais tout aussi efficaces, doivent encourager la déconnexion : chartes, configuration par défaut des outils, actions de sensibilisation (ex. exemplarité des managers) » ajoute le DRH d’Orange.
La balle est lancée dans le camp des partenaires sociaux
Au lieu de prôner une évolution législative précise, Bruno Mettling en appelle au lancement d’une réflexion « dans le cadre de la négociation collective sur la charge de travail ». D’après lui, « le dialogue social et la construction d’accords doivent permettre de clarifier les droits et devoirs de l’entreprise et les conditions de mise en œuvre de cette mesure ».
La nouvelle ministre du Travail, Myriam El Khomri, a manifestement entendu l’appel du DRH d’Orange puisqu’elle a annoncé hier que « la question du numérique et de ses conséquences sur l’organisation du travail » ferait l’objet d’une réflexion avec les partenaires sociaux à l’occasion de la conférence sociale qui aura lieu le 19 octobre prochain. « Ce temps de concertation sera nécessaire pour réfléchir aux pistes de réforme qui, concernant le droit du travail et les conditions de travail, seront inscrites dans le projet de loi que je présenterai en Conseil des ministres fin 2015/début 2016 » a ajouté la remplaçante de François Rebsamen.