Chaque semaine, l’ALPA court-circuite cinq adresses IP normalement destinées à la riposte graduée, afin de transmettre directement au Parquet ces cas de « gros partageurs ». Depuis le début de ce dispositif, courant 2011, ce sont près d’un millier de dossiers qui ont ainsi été dénoncés aux autorités, même si les suites qui leur furent accordées restent pour l’heure extrêmement floues.
Si les internautes savent bien souvent qu’ils risquent de recevoir un mail de la Hadopi en cas de téléchargements illicites sur les réseaux peer-to-peer, beaucoup ignorent qu’ils peuvent en fait être directement traduits devant les tribunaux, sans faire l’objet du moindre avertissement. L’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA), qui fait partie des cinq organisations d’ayants droit habilitées à transmettre quotidiennement jusqu’à 25 000 adresses IP à la Haute autorité, en extrait effectivement une du lot, afin qu’elle fasse l’objet d’une action en contrefaçon. Cette ligne Internet n’est pas choisie au hasard, puisqu’il s’agit de celle ayant permis de mettre le plus de vidéos à disposition au cours d’une même journée parmi les 100 films, séries et documentaires mis en surveillance par l’ALPA (voir notre article à ce sujet).
Pour l’abonné flashé sur les réseaux peer-to-peer, les risques ne sont pas du tout les mêmes. Tandis que le défaut de sécurisation de l’accès à Internet réprimé à l’issue du dispositif Hadopi est passible d’une contravention pouvant atteindre 1 500 euros, le délit de contrefaçon est quant à lui puni d’une peine maximale de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende. En janvier 2013, un internaute Amiénois avait ainsi eu l’occasion d’apprendre cette leçon à ses dépens (voir son témoignage). Pour avoir mis en partage 18 films dans la même journée, cet homme de 31 ans avait écopé de 90 jours-amende de 5 euros, soit un total de 450 euros. Il fut condamné dans le même temps à verser 2 200 euros de dommages et intérêts aux ayants droits du cinéma qui s’étaient portés parties civiles.
Un dispositif avant tout destiné à attirer l’attention des Parquets
Avant d’en arriver à de telles condamnations, il faut toutefois que le Parquet à qui l’ALPA dénonce ces adresses IP décide d’engager des poursuites, ce qui est loin d’être systématique... « Nous avons lancé ce process aux alentours de juin 2011. Nous disposons bien évidemment d’une autorisation de la CNIL pour le faire. Nous extrayons lors de chaque session de la plateforme TMG l’adresse IP détectée comme mettant à disposition le plus grand nombre d’œuvres mises en attention pour la transmettre au Parquet. Cinq dossiers sont transmis chaque semaine » nous explique Frédéric Delacroix, le délégué général de l’ALPA.
Autrement dit, ce sont grosso-modo 220 adresses IP qui sont notifiées chaque année aux procureurs. « À ce jour, on est aux alentours d'un millier de dossiers transmis aux Parquets » indique ainsi l’intéressé. Sauf qu’il y a « beaucoup de Parquets qui ne répondent pas ou qui classent sans suite. Mais ce n'est pas parce qu'on n'a pas de réponse qu'il n'y a pas eu de suite derrière. Il est possible qu'il y ait des rappels à la loi par exemple. »
Frédéric Delacroix soutient en outre qu’il y a à ce jour « de nombreuses condamnations », mais ne s’avance pas sur un chiffre plus précis. Les internautes épinglés seraient quoi qu’il en soit assez différents et leurs peines « tout à fait proportionnées » par rapport aux dossiers transmis. « Les profils vont du téléchargeur compulsif à la personne qui sait exactement ce qu'elle fait, et qui profite d'Internet pour accéder à bon compte aux œuvres convoitées tout en participant de manière plus importante à la diffusion sur les réseaux P2P de contenus piratés. Bref, il y a un peu de tout ! »
L'ALPA dit constater une diminution du nombre de mises en partage
Selon le délégué général de l'ALPA, le dispositif a bien évidemment fait ses preuves. « Le système est efficace, car même si nous observons une certaine redondance dans les transmissions, leurs déplacements géographiques montrent que nous ne sommes pas toujours sur les mêmes partageurs. Par ailleurs, le nombre d’œuvres mises en partage par les IP détectées a diminué au fil du temps, limitant ainsi les « sources » permettant de télécharger les œuvres. » De plusieurs centaines de films et séries par jour il y a quelques années, on s'approcherait désormais plus souvent de quelques dizaines (même si l'exemple amiénois montre que les personnes épinglées sont parfois bien en dessous).
Ces chiffres tranchent en tout cas avec ceux de la Hadopi, qui, depuis ses premiers pas en octobre 2010, a transmis 361 dossiers au Parquet. Probable signe de l’efficacité de la pédagogie aux yeux de certains, et de l’inaction de la Haute autorité pour d’autres... Rappelons quoi qu’il en soit que l’institution peut elle aussi décider de saisir directement le Parquet, à des fins d’actions en contrefaçon. En 2013, la Rue du Texel avait ainsi dénoncé un abonné accusé d’avoir mis en partage plus de 600 oeuvres protégées, et ce au travers de 9 logiciels de peer-to-peer.