Loi Création : vers une « taxe » copie privée étendue au cloud !

Savez-vous planter des clouds ?
Droit 6 min
Loi Création : vers une « taxe » copie privée étendue au cloud !
Crédits : chert61/iStock

Selon nos informations, des amendements concernant la redevance copie privée sont en gestation dans le cadre des débats autour du tout prochain projet de loi Création. Surtout, plusieurs d’entre eux visent à étendre la ponction, qui profitent aux ayants droit, aux espaces de stockage en ligne, notamment ceux associés aux décodeurs et box ou aux magnétophones déportés.

La loi Création de Fleur Pellerin sera débattue fin septembre. En l’état, le texte ne propose aucune disposition relative au droit pénal ou à Hadopi, pas plus qu’à la copie privée. Seulement, il faudra compter sur les amendements pour parfaire ces manques. Nous avons justement appris ainsi que des rustines étaient en préparation pour assurer l’extension de la redevance copie privée à une partie du cloud.

Pour faire entrer Internet dans l'estomac de la redevance copie privée, rien de plus simple. Il suffira de modifier les dispositions des articles L311-1 et L311-5 du Code de la propriété intellectuelle. Ces deux articles couplent en effet redevance et « support ». En mettant par exemple les espaces distants ou les magnétoscopes numériques déportés dans la boucle de ces dispositions, la Commission copie privée sera en légitimité de faire entrer dans l’assiette les gigas de stockages associés notamment aux box.

Pourquoi cette extension intéresse certains industriels ?

Dans le cadre de ce projet de loi, cette réforme est poussée par les ayants droit, mais aussi suivie de près par Orange et Canal Plus, nous indiquent plusieurs sources concordantes. Si le premier opérateur a un service de cloud pour ses offres (entre 10 et 100 Go), le second ne propose pas de service de stockage similaire. Canal Plus comme Orange pourraient cependant proposer à l’avenir un magnétoscope numérique distant à leurs abonnés respectifs. Autre chose, le groupe Canal Plus est déjà en bisbille avec les ayants droit sur le statut juridique du disque dur de son décodeur +Le Cube. Copie France, percepteur de la redevance copie privée pour ces bénéficiaires, voudrait en effet lui appliquer le barème « disques durs internes », ce que conteste le bouquet payant.  En jeu, plus de 10 millions d’euros. Soit un beau terrain de négociation...

« Il y eu des demandes exprimées par des entreprises pour qu’on étudie la situation des enregistreurs à distance » nous a confirmé hier une source. En novembre 2014, la SACD, société de gestion collective dirigée par Pascal Rogard, disait peu ou prou la même chose : « Aujourd’hui, des opérateurs importants, qui sont en passe de faire migrer la copie privée de leurs box vers le nuage, sont demandeurs de l’application de la copie privée à ce type d’activité » (voir le cas de Cheesevideo). Et la société, qui fait partie des bénéficiaires de la redevance, de s’impatienter : « Le CSPLA a tranché dans ce sens, et il est temps de prendre acte, par la loi si c’est nécessaire, que les copies faites dans le « cloud » ressortissent au régime de la copie privée. »

Si l'un des amendements arrive à son terme, l’extension de la redevance devrait être partielle, réservée à certaines offres de stockage en ligne. L’enjeu pour les opérateurs qui le soutiennent sera de blinder juridiquement ces espaces de stockage privatif, tout simplement parce que ces stockages ne pourraient permettre des actions en contrefaçon, puisque couverts par l'exception copie privée.

Selon une ancienne jurisprudence, la Cour de cassation impose en effet que le bénéficiaire de la copie et celui qui la réalise soit la même personne. Les ayants droit, qui militent pour l'extension, comptent aussi surfer sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de mars 2015. Dans cet arrêt dit CopyDan, les juges européens ont à cet égard estimé que la redevance copie privée pouvait s’envisager même sur « les services de reproduction ».

Fait notable, tout a déjà été préparé de longue date, peut être accidentellement, en Commission copie privée. Fin 2012, nous révélions la décision de cette structure chargée d’établir assiette et taux de la copie privée. Elle statuait sur le sort des « supports d’enregistrement (…) commercialisés, de façon séparée ou groupée, manifestement destinés à être utilisés avec un appareil d’enregistrement dont ils constituent le complément (« offre de complément ») ». Ces offres en bundle devant alors être traitées selon la catégorie considérée de l'appareil. Cependant, une telle décision risquait alors d'associer stockage distant et box, par exemple. En décembre 2012 toujours, la Commission s'était alors obligée à revoir le champ de sa décision par un « considérant » interprétatif, excluant le cloud (la décision en PDF).

Si le principe de cette extension est soutenu par le député Marcel Rogemont, auteur d'un rapport sur la copie privée, les montants prélevés au titre de cette exception étendue dépendraient évidemment des usages, comme le veut la logique de la redevance. On pourra d'ailleurs consulter sur ce lien, les barèmes actuels qui frappent les seuls supports tangibles.

Vers une remise en cause du statut de l’hébergeur ?

L’extension de la RCP au cloud pourrait avoir d’autres effets ravageurs puisque des ayants droit estiment que ce mouvement doit s’accompagner d’une remise en cause du statut de l’hébergeur.

Pourquoi ? L’article article 6.1.2 de la LCEN définit comme hébergeur toutes « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ». Or, le critère de la « mise à disposition du public », selon des ayants droit, « fait obstacle à ce que l’on reconnaisse cette qualité aux prestataires proposant du pur stockage, sans mise à disposition possible des fichiers (via par exemple une fonctionnalité de partage avec d’autres utilisateurs) ». Les espaces de stockage privé pourraient donc potentiellement subir la redevance, tout en étant privé du statut de l’hébergeur faute, par définition, de mise à disposition des œuvres au public des internautes.

Seul souci, d’autres ayants droit, peu favorables à une telle extension, « font valoir que les termes de la LCEN doivent être interprétés en regard des directives qu’elle a transposées et que la condition de mise à disposition du public de la LCEN ne figure pas explicitement dans les directives définissant le statut de l’hébergeur en droit de l’Union », prévenait en octobre 2012 le rapport du CSPLA sur le cloud computing (PDF) .

Quand Bercy tirait la sonnette d’alarme sur l’extension de la redevance au cloud

Si le sujet est aujourd’hui également sur la table du cabinet Macron, la question de l’extension au cloud avait dans le passé été accueillie fraichement par Bercy. En préparation de ce rapport au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS) avait en effet exposé en avril 2012 qu’« il est crucial de ne pas concevoir de dispositif qui reviendrait in fine à pénaliser, à différents niveaux de la chaîne de valeur, des acteurs opérant depuis le territoire français tout en étant impuissant à interpeller les acteurs situés hors du territoire national ».

En d'autres termes, l’extension de la RCP pourrait impacter les acteurs installés en France, non ceux opérants loin de nos frontières. Dernier détail : où s'arrêtera ce mouvement, sachant que tout est flux et stockage sur Internet ?

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