Impatiente Fleur Pellerin ! Fin juillet, celle-ci a adressé une lettre à plusieurs industriels, du moins ceux qu'elle envisage de nommer pour siéger en commission copie privée. La ministre alerte déjà ceux qui sont partants pour relancer cette instance : en cas de nouveau blocage, elle promet de passer par la loi pour faire évoluer les barèmes. Next INpact diffuse la lettre de la ministre, suivie de la réaction de plusieurs des destinataires.
Fin 2013, 5 des 6 industriels siégeant au sein de la commission copie privée claquaient la porte. Leurs agacements ? Les règles de gouvernance au sein de cette instance qui laisse la part du lion aux 12 ayants droit, face auxquels les fabricants, importateurs et les 6 représentants des consommateurs ne pèsent pas lourd.
Autre sujet épineux, la question du préjudice de la copie privée. La redevance prélevée sur tous les supports, disques durs internes, consoles de jeu vidéo et cloud exceptés, s’appuie en effet sur l’évaluation du préjudice consécutive à la possibilité pour les utilisateurs de réaliser à la maison des copies privées des œuvres protégées. Ces évaluations sont estimées par des études d’usages, financées par les ayants droit, et donc les bénéficiaires de la ponction. Problème, les industriels pestent contre cette évaluation du préjudice qu’ils jugent peu transparente, dénonçant des critères déphasés de la réalité.
La mission lancée par Fleur Pellerin
Au ministère de la Culture, Fleur Pellerin avait missionné Christine Maugüé pour trouver des pistes afin de réactiver la Commission copie privée. Un rapport contraint puisque cette conseillère d’État a dû agir à droit constant, selon les vœux de la ministre, et donc sans pouvoir proposer de réforme de la gouvernance par exemple. Son rapport remis début juillet demande une amélioration de la transparence des flux de la redevance, une traque contre les éventuels conflits d’intérêts au sein de la Commission.
Il propose aussi que les études d’usages soient soumises aux règles des marchés publics et que les barèmes soient auscultés par un collège d’experts indépendants. De même, l'auteure suggère que la Commission rende plus souvent des décisions interprétatives sur les zones de flou de cette ponction. Jusqu’à présent, ce sont les ayants droit qui font leur loi. En 2013, par exemple, ils ont estimé que 1 To était désormais égal à 1000 Go, et non plus 1 024 Go. Avec cette appréciation, ils sont parvenus à gagner 30% de plus sur les disques durs externes, du fait de passage à la tranche d’assujettissement supérieur (nos explications). Enfin, parmi ses autres propositions, Christine Maugüé demande à ce que les professionnels soient effectivement remboursés.
De la Fleur au fusil
Trois semaines après ce rapport - tout en taisant les travaux du député Marcel Rogemont à l'Assemblée nationale - Fleur Pellerin a adressé un courrier aux industriels pour leur faire part qu’elle « souhaite que la commission puisse reprendre ses travaux dans les meilleurs délais afin de mettre en œuvre les principales mesures de feuille de route tenant notamment, à la discussion d’un nouveau règlement intérieur, l’organisation d’un meilleur partage de l’information, l’amélioration des procédures d’élaboration des études d’usages et l’engagement d’un audit partagé sur la méthode de définition des barèmes auxquels sont soumis les matériels assujettis. »
Généreuse, la ministre a laissé aux destinataires jusqu'au 1er août pour faire connaître leur désaccord explicite (c'est donc une acceptation par défaut). A cette date, elle promettait alors de procéder « en lien avec mes homologues à l’industrie et à la consommation, aux nominations nécessaires pour permettre à la commission copie privée de siéger de nouveau ». La ministre n'a pas pu s'empêcher de menacer les heureux élus : « en cas de nouveau blocage de cette commission, je serai amenée à proposer au Parlement les dispositions de nature législative qui s’imposent, notamment pour respecter l’obligation de résultat posée par la Cour de justice de l’Union européenne en matière de compensation de l’exception de copie privée » conclut-elle dans sa lettre. Ces nominations devraient selon nos informations finalement être dévoilées en septembre.
La position des démissionnaires
Que pensent ceux qui avaient claqué la porte de la Commission en 2013 ? Sont-ils prêts à revenir ?
Du côté du SECIMAVI, qui regroupe de nombreux fabricants et importateurs des secteurs de l'électronique grand public dont le géant Samsung, « nous sommes partants pour retourner autour de la table pour voir si on peut faire évoluer les choses » nous concède Stella Morabito, sa secrétaire générale. Celle-ci constate cependant « que très peu de concessions ont été faites, voire aucune pour la gouvernance ou la composition de la commission copie privée ». Elle veut bien croire qu’il y a « des déclarations d’intention » mais elle compte sur les premières réunions pour faire modifier le règlement intérieur.
Une certitude, « nos adhérents ont besoin d’une série de clarification, notamment sur la question du réexport, les barèmes des disques durs externes, etc. Les grandes entreprises internationales sont très légalistes, elles ne veulent pas de risques juridiques ». Stella Morabito estime déjà qu’il faut réviser les barèmes de plusieurs supports. « Les filiales en France se meurent, ces produits sont achetés en Allemagne ou au Luxembourg. Le peu qui en achètent encore ne les achètent pas chez nous, du coup les filiales en France démultiplient les plans sociaux. »
Pour le délégué général de l’AFNUM, Stéphane Elkon, « la balle n’est plus dans notre camp », ce qui signifie en creux que cette nouvelle organisation qui regroupe le Gitep Tics (télécommunication) le Simavelec (audiovisuel) et l’USPII-SIPED-SNSII (photographie) a répondu au courrier de la ministre. Pas de détail, mais une appréciation : « Nous avons trouvé que le rapport Maugüé contenait des choses intéressantes, il constitue une base pour la CCP. On attend l’arrêté de nomination qui nous a été indiqué par la ministre. »
Du côté de la Fédération des entreprises de vente à distance (FEVAD), pas de position officielle, tout simplement parce qu’un conseil d’administration est programmé en septembre pour plancher sur ce dossier.
Et pour le SFIB (Dell, HP , Intel, Toshiba, Lenovo, etc.) ? « La reprise des travaux doit avoir pour objectif de mettre en œuvre les solutions proposées par la médiatrice, nous répond Maxence Demerlé, la déléguée générale du syndicat. Il nous faut des gages de mises en œuvre, une recherche de consensus plus large dans les décisions, notamment sur les ordres du jour ou le règlement intérieur. Il faut également une rénovation du mécanisme de remboursement des professionnels. C’est prioritaire notamment dans un contexte où on parle d’étendre la redevance copie privée à d’autres supports ».
Bataille pour une chaise libre
Vers une extension de la redevance ? La SACEM reluque de longue date l’univers des consoles de jeux ou des ordinateurs. Elle milite pour une hausse de 100 millions d’euros des barèmes, jugeant sans doute les 230 M€ glanés l’an passé comme un maigre résultat. La SACD, autre bénéficiaire des flux, soutient, elle, qu’il est désormais temps d’assujettir le stockage en ligne, soit une véritable mine d’or compte tenu de l'importance de l'activité du cloud aujourd'hui.
Un autre problème se pose avant de pouvoir réformer la commission copie privée : si on part sur une formule regroupant l’AFNUM, le SFIB, la FEVAD, le SECIMAVI, et la Fédération française des télécoms, qui n’a pas démissionné, une chaise reste libre pour atteindre le chiffre de 6. Et pour cause, l’AFNUM a aspiré dans ses rangs deux ex-membres de la Commission copie privée.