Comment la loi Lemaire pourrait faciliter l'accès de tous au numérique

Les dents de Lemaire
Droit 9 min
Comment la loi Lemaire pourrait faciliter l'accès de tous au numérique
Crédits : Axelle Lemaire - Flickr (CC BY-ND 2.0)

Outre deux premiers volets consacrés à l’Open Data et à la protection des données personnelles, le projet de loi d’Axelle Lemaire devrait contenir plusieurs articles censés faciliter l’accès de tous au numérique. L’introduction d’un « droit au maintien de la connexion » pourrait ainsi être introduit, de même que des mesures en faveur des personnes handicapées ou détenues dans les prisons.

Cela fait maintenant près de deux ans que le Conseil national du numérique a remis à Fleur Pellerin, alors ministre déléguée à l’Économie numérique, son rapport relatif à l’inclusion numérique. Afin de casser ce qu’on appelle parfois la fracture numérique, l’institution invitait les pouvoirs publics à encourager le développement de « tarifs sociaux » pour les abonnements à Internet, à former davantage au numérique l’ensemble de la population, des plus jeunes aux plus âgés, en passant par les publics habituellement exclus (SDF, chômeurs de longue durée...), etc.

Depuis, le bilan du gouvernement sur ce dossier semble bien mince. Les principaux « actifs » de l’exécutif résident pour l’heure dans la résorption par les opérateurs de téléphonie mobile des zones blanches d’ici la fin 2016, l’instauration d’un label lié au nouveau référentiel d’accessibilité applicable aux sites publics, ou la mise sur pied d’un « État-plateforme » censé conduire au déploiement de solutions publiques et gratuites telles que France Connect.

Axelle Lemaire, la secrétaire d’État au Numérique, entend cependant accélérer le mouvement au travers de son projet de loi numérique. « L'esprit de cette loi, ce sera à la fois d'innover, de favoriser l'économie de la donnée, mais aussi de protéger. Je crois qu'il y a une demande de protection dans le monde des Internet » a-t-elle ainsi déclaré le 18 août sur France Info. « Il s'agit aussi d'inclure, parce qu'il me tient très à cœur que le numérique, ce soit pour tout le monde, pas uniquement pour des écosystèmes très innovants dans la capitale. Et donc pour ça, il faut que le numérique soit dans tous les territoires et accessible à tous. »

Mais comment ces belles paroles vont-elles être concrétisées ? S’il faudra attendre le mois prochain pour en avoir le cœur net (la mise en consultation publique de ce texte promis depuis belle lurette ayant été reportée à la rentrée), l’avant-projet de loi révélé le mois dernier par Contexte nous permet néanmoins de faire un point sur les pistes suivies par Bercy.

Un « droit au maintien de la connexion »

La mesure la plus emblématique avait été esquissée par Manuel Valls en juin dernier, lors de la présentation de la stratégie numérique du gouvernement. « Pour assurer l'accès de tous à Internet, je souhaite que nous travaillions avec les opérateurs à un droit au maintien de la connexion pour les personnes en situation financière difficile », avait déclaré le Premier ministre. Avant de se justifier : « Garder sa connexion est en effet primordial pour mener ses recherches d'emploi et tout simplement rester connecté aux autres. »

valls
Crédits : Xavier Berne (licence: CC by SA 3.0)

L’avant-projet de loi Lemaire envisage à cet égard d’élargir aux « services de communication au public en ligne » l’article du Code de l’action sociale en vertu duquel « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières (...) a droit à une aide de la collectivité pour disposer de la fourniture d'eau, d'énergie et de services téléphoniques dans son logement ». On peut ainsi imaginer qu’un soutien financier pourrait prochainement être accordé en cas de factures d’Internet impayées, de la même manière que ce qui prévaut aujourd’hui en matière de téléphonie ou d’eau. Chaque demande est habituellement examinée au cas par cas, bien souvent par les départements – ces derniers étant censé prendre en considération le patrimoine du demandeur, ses « conditions d'existence » et « l'insuffisance de ses ressources ».

Tant que la collectivité n’aura pas statué sur la demande d’aide, l’opérateur ne pourra pas couper la connexion de son abonné, même si c’est un mauvais payeur. Des « restrictions dans le débit des communications ou dans le volume de données » seront toutefois autorisées durant ce laps de temps. Les FAI demeureront bien entendu libres de résilier l’abonnement si aucun coup de pouce n’est finalement accordé par les pouvoirs publics.

Jusqu’à 100 000 euros d’amende pour les sites publics non accessibles aux handicapés

L’ébauche de projet de loi Lemaire tend ensuite à venir en aide aux personnes handicapées. Si la loi Handicap de 2005 prévoit que les sites Web des institutions publiques « doivent être accessibles aux personnes handicapées », de grosses lacunes demeurent, comme s’en était émue l’association BrailleNet l’année dernière.

Et pour cause. Les différents ministères, la Sécurité sociale, les collectivités territoriales... sont actuellement tenus de respecter un « Référentiel général d’accessibilité pour les administrations », afin que les internautes souffrant notamment de problèmes de vue puissent malgré tout accéder aux informations de leurs sites dans de bonnes conditions (par exemple grâce à des textes lisibles via des outils de synthèse vocale, des fonctionnalités accessibles au clavier, un affichage possible en grands caractères, etc.). Sauf qu’aucune sanction ne vient pénaliser les institutions qui ne suivent pas ce texte, actualisé d’ailleurs il y a quelques mois. Seule une sorte de « liste noire » a été prévue pour pointer du doigt les mauvais élèves qui, en dépit d’avertissements, ne sont toujours pas rentrés dans le rang...

La secrétaire d’État au Numérique envisage de ce fait de punir les récalcitrants d’une sanction pécuniaire pouvant atteindre 100 000 euros. Cette amende serait prononcée par le ministre chargé des personnes handicapées ou par le préfet, en fonction de l’autorité épinglée. Tant que la « mise en accessibilité » du site visé n’aura pas été assurée, ses responsables resteront d’ailleurs passibles d’une nouvelle sanction « chaque année ». L’argent sera dans tous les cas reversé au fonds national d'accompagnement de l'accessibilité universelle.

Une commission, composée à parité de représentants des autorités administratives et de personnes en situation de handicap, verrait au passage le jour. Cette institution veillerait à l’application du référentiel d’accessibilité, et pourrait en ce sens dénoncer des sites trainant des pieds.

À noter qu’un article concernant l’accessibilité des applications pour smartphones pourrait être intégré, mais ses dispositions manquaient dans cette ébauche non finalisée.

Davantage de traduction vidéo pour les sourds

Des dispositions ont d’autre part été élaborées en direction des individus sourds et malentendants. L’idée ? Que les services d’accueil téléphonique des personnes chargées d’une mission de service public (RATP, Sécurité sociale, mairies...) soient « accessibles aux personnes déficientes auditives », par la mise à disposition d’un « service de traduction écrite simultanée et visuelle ». Même si cette obligation devra être complétée par un décret d’application, on peut imaginer que les sourds pourraient ainsi contacter un traducteur au service de la CAF ou de la SNCF via un logiciel tel que Skype, sans qu’il n’y ait besoin de faire de demande préalable, par exemple pour obtenir un renseignement.

Dans le même ordre d’idée, les commerçants seraient dorénavant tenus de rendre accessible leur SAV (dont l’appel ne peut être surtaxé) aux personnes sourdes et malentendantes. À partir d’un certain chiffre d’affaires, pour l’heure non précisé, les entreprises devraient en effet proposer un service de traduction écrite simultanée et visuelle. Celui-ci pourrait éventuellement se manifester par « l’intervention d’un interprète en langue des signes française ou d’un codeur en langage parlé complété ». Là aussi, le recours à une solution de visioconférence semble des plus probable.

Les opérateurs devraient enfin proposer à leurs clients souffrant d’une déficience auditive « au moins une offre de services de communications électroniques fixes et mobiles, incluant la fourniture, à un tarif abordable, d’un service de traduction écrite simultanée et visuelle ». Si les géants de la téléphonie mobile ont parfois pu être critiqués sur ce terrain, la récente généralisation des SMS illimités a toutefois été de nature à limiter les contestations. Certains sourds préféreraient cependant avoir des forfaits sans voix, mais avec davantage d’Internet, ce qui leur permettrait d’échanger plus souvent par vidéo, en langue des signes, avec leurs interlocuteurs...

Un droit d'accès à Internet pour les détenus

Afin de mieux préparer la réinsertion des personnes incarcérées, le gouvernement avait annoncé vouloir faciliter l’accès des détenus à Internet. Un sujet très sensible politiquement, au regard des polémiques que suscite régulièrement l’épineux problème de l’utilisation clandestine de téléphones portables au sein des établissements pénitentiaires... L’avant-projet de loi Lemaire entend néanmoins octroyer de nouveaux droits aux détenus.

Si les prisonniers peuvent aujourd’hui avoir « accès aux publications écrites et audiovisuelles », la secrétaire d’État au Numérique envisage d’étendre ce droit « aux réseaux de communication électroniques », c’est-à-dire à Internet. L’administration pénitentiaire restera néanmoins libre d’interdire (entre autres) la consultation de « publications contenant des menaces graves contre la sécurité des personnes et des établissements », et donc de n’autoriser l’accès qu’à certains sites.

Surtout, les détenus pourront correspondre avec toute personne de leur choix, y compris par email, alors que les seuls échanges de courriers traditionnels sont aujourd’hui permis (sauf dans les cas où la justice s’y oppose). Ces messages électroniques seront contrôlés et retenus par l'administration pénitentiaire « lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement leur réinsertion ou le maintien du bon ordre et la sécurité » – exactement de la même manière que pour les lettres transmises par voie postale.

Les débats parlementaires pourraient permettre de préciser les modalités techniques de mise en œuvre de cet accès au Web et à une messagerie électronique, sachant que celui-ci devrait très vraisemblablement être strictement encadré et surveillé dans des salles informatiques prévues à cet effet.

Reconnaissance du métier de « médiateur numérique »

L’avant-projet de loi Lemaire donne enfin un statut aux « médiateurs numériques ». L’exercice de cette profession pourrait en effet être soumis à une déclaration préalable auprès du préfet, et conditionné à l’obtention préalable d’un diplôme de type master 1 (bac +4) ou équivalent. Les missions du médiateur ont trait selon cette ébauche de texte à des « actions de formation en vue de s’approprier les usages personnels, sociaux et professionnels du numérique dans le cadre de projets de développement du territoire », l’élaboration de stratégies « favorisant l’acquisition de compétences numériques », la mise en œuvre de projets pédagogiques, etc.

Restera maintenant à voir ce qu’il restera de l’ensemble de ces dispositions, une fois les arbitrages de Matignon rendus... Certaines mesures pourraient en effet disparaître ou être modifiées, d’autres apparaître. Une fois le texte devant l’Assemblée nationale ou le Sénat, les parlementaires auront de surcroît tout le loisir de l’amender.

Vous n'avez pas encore de notification

Page d'accueil
Options d'affichage
Abonné
Actualités
Abonné
Des thèmes sont disponibles :
Thème de baseThème de baseThème sombreThème sombreThème yinyang clairThème yinyang clairThème yinyang sombreThème yinyang sombreThème orange mécanique clairThème orange mécanique clairThème orange mécanique sombreThème orange mécanique sombreThème rose clairThème rose clairThème rose sombreThème rose sombre

Vous n'êtes pas encore INpactien ?

Inscrivez-vous !