SensCritique, de la genèse aux projets à venir

Dans l'ombre du Goliath Webedia
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SensCritique, de la genèse aux projets à venir

Ouvert il y a quatre ans, SensCritique est devenu l’un des principaux sites culturels français, dépassant même certains mastodontes du genre. C’est le résultat d’une stratégie bien rodée qui mise sur le bouche à oreille, malgré quelques lacunes et une rentabilité à construire.

Fin juillet, SensCritique affirmait être la « communauté n°1 » en France sur le cinéma, devant Allociné. Les membres du site ont ainsi publié 255 000 notes sur les films sortis en 2015, contre 245 000 sur celui de Webedia,  premier site français (par l'audience) dédié au cinéma. « Nous revendiquons la première place sur l’activité communautaire. Les gens viennent plus noter, critiquer et commenter les films en France sur SensCritique » nous explique ainsi Guillaume Boutin, co-fondateur de SensCritique et responsable de sa monétisation.

Cette performance sur l’activité sociale s’expliquerait d’ailleurs facilement. « En termes d’ergonomie, il est plus compliqué d’avoir cette activité sur Allociné, qui propose 400 000 autres fonctions, que notre service qui est concentré là-dessus » résume Guillaume Boutin. Dans les grandes lignes, SensCritique propose de noter, de critiquer et de grouper les œuvres en liste, dans six « univers » : cinéma, jeux vidéo, livres, BD, musique et séries). Comme sur les réseaux sociaux, chaque membre peut en suivre d’autres via un système d’« éclaireurs ». L’activité, elle, est récompensée par un système de badges directement inspiré des succès d’une Xbox ou d’un Steam.

Combler un vide dans le bouche à oreille

Ce n’est pas un hasard si les trois co-fondateurs viennent de Gamekult, qu’ils avaient lancé. SensCritique est né d’une idée simple : il n’y avait pas d’outil assez pratique pour partager ses goûts culturels avec ses connaissances. En clair, le bouche à oreille numérique n’était pas assez organisé. « On a mis longtemps avant de le sortir. On a commencé à réfléchir au projet en 2008. On l’a développé en 2009. On a lancé la beta en 2010 et on l’a ouvert définitivement au public en 2011 » affirme Guillaume Boutin.

L’avis des amis serait déjà important sur le jeu vidéo, mais encore plus sur le cinéma. « Sur Gamekult, on s’est rendu compte de l’importance de la communauté et des forums. Ça l’est dans le jeu vidéo mais encore plus dans le cinéma. Certains médias sont référents dans le jeu vidéo, le lecteur attend leur test pour savoir s’il va acheter le jeu » alors que dans le cinéma, l'avis de proches ou de connaissances peut plus facilement décider d’un visionnage. Le coût d’une place est incomparable à celui d’un jeu, surtout en 2008 où les prix des blockbusters du jeu vidéo étaient encore au plus haut.

Sens Critique

SensCritique s’est donc bâti sur sa communauté, notamment sur un noyau dur de fidèles, qui ont porté le projet dès sa version beta. Des figures de la communauté « geek » qui ont rapidement adhéré et ont évangélisé pour lui. « On avait quelques centaines de personnes un peu influentes qui avaient suivi l’aventure Gamekult et qui se demandaient ce qu’on ferait après. Ils nous ont suivis sur Twitter, Facebook... Ce sont eux qui ont permis de créer la communauté au départ » nous précise Guillaume Boutin.

Cette première vague d’utilisateurs a rempli le site pendant la « longue » phase de beta, ce qui a permis d’avoir une activité suffisante au lancement public en 2011. « Ça a créé un effet boule de neige, qui a permis à la communauté de grossir avec le temps. Notre premier levier marketing, ce sont nos membres. Nous n’avons jamais dépensé d’argent en communication ou liens sponsorisés. Nos membres sont nos premiers recruteurs » vante encore le co-fondateur.

Une communauté qui a mis du temps à progresser

Une des clés du bouche à oreille à la sauce SensCritique est le système d’éclaireurs. Comme sur n’importe quel réseau social, certains utilisateurs cumulent ainsi des milliers d’abonnés qui suivent leur activité culturelle et voient leurs notes sur les fiches des œuvres, au milieu des avis de leurs amis ou de personnes découvertes sur le site au détour d’une critique. En plus de l’avis général des utilisateurs et des critiques, un internaute peut simplement venir voir l’avis de sa sélection. Un système qui contribuerait largement à l’intérêt du site.

L’équipe juge d’ailleurs sa communauté simple à modérer, contrairement à ce qu’elle attendait. « Notre communauté se tient plutôt bien. On a rarement d’excès. Si vous allez sur une fiche produit, vous aurez 99 % de critiques de qualité... C’est grâce à nos algorithmes, notamment le système de vote, qui fait que la crème des critiques remonte. Celles mal écrites, qui génèrent peu d’activité, ne sont pas visibles » explique Guillaume Boutin.

L’audience du site, elle, a mis du temps à grimper. « Il y a eu un bel engouement au début, qui s’est ensuite un peu tassé, notamment pour des questions techniques. On a entièrement refait le site entre janvier et juillet 2012, notamment pour qu’il soit mieux crawlé par Google. C’était un de nos gros points faibles. De mi-2011 à mi-2012, on a eu une croissance légère. Le nombre de membres montait bien, mais l’audience ne suivait pas » déclare encore M. Boutin.

Depuis la refonte de juillet 2012, l’audience aurait doublé, voire triplé, chaque année. De 200 000 visiteurs uniques mensuels à l’époque, le site serait ainsi passé à deux millions trois ans plus tard, pour 400 000 membres. Côté usages, il n’y a pas vraiment de surprise : la note est l’utilisation principale du site, suivie « à part égale » par les critiques et les listes d’œuvres. Ces dernières aideraient énormément SensCritique pour son référencement Google, dont il est dépendant. Les listes créées par les utilisateurs sur des thématiques (films de guerre, politique, suspense) et les tops automatisés remontent ainsi bien mieux que les fiches des œuvres, nous affirme-t-on.

Le cinéma domine les usages

Si on se penche sur les univers, le cinéma prend une large première place, loin devant le reste. Il représenterait les deux tiers de l’activité du site, « voire 70 % », quand les autres « univers » se partagent à part égale le reste. Cela ne les empêche pas d’avoir leurs spécificités. « Peu de séries sortent chaque année par rapport aux films. L’activité est donc concentrée sur peu d’œuvres. C’est à peu près la même situation pour les jeux vidéo. À l’inverse, l’activité sur les livres et les BD est répartie sur beaucoup d’œuvres, vu qu’énormément de livres sortent chaque année. La musique est entre les deux » détaille Guillaume Boutin.

Sens Critique cinéma

Le besoin d’affirmer sa force sur le cinéma se comprend d’autant mieux. S’il se revendique « communauté n°1 » sur le domaine, il reste largement derrière son concurrent principal en termes d’audience, avec deux millions de visiteurs uniques contre près de 10 millions chez Allociné en février. Le constat est quasiment le même face à jeuxvideo.com : si SensCritique affirme talonner le mastodonte (aussi propriété de Webedia) sur le nombre de notes, voire le dépasser sur certains jeux, il reste très loin de son audience.

Les séries, qui sont encore jugées comme un petit marché, sont un cas spécial. En France, le premier site de suivi et de notes serait BetaSeries, créé par Maxime Valette, fondateur de VieDeMerde. La raison : des outils plus adaptées à ces contenus, notamment via le calendrier de sorties. Entre avril et mai, SensCritique s’est donc doté de la gestion des épisodes de séries et d’un agenda, pour mieux lui tenir tête.

La rentabilité attendue en fin d’année

Cette progression de l’audience et des usages ne se traduit pas encore en rentabilité pour le service. Pour se financer, il refuse la publicité en bannières habituelle mais propose des formats jouant sur la viralité et s’intégrant aux outils du site, comme les notifications ou les fiches produit. « On est dans une logique d’opérations spéciales pour les annonceurs culturels, avant tout le cinéma, les séries et le jeu vidéo. On a commencé fin 2013, début 2014, parce qu’on voulait suffisamment d’audience. Il y a eu un temps d’évangélisation assez long. Depuis six mois, nous sommes très contents. Le chiffre augmente tous les mois » explique M. Boutin, aux manettes de la monétisation du site.

Le site espère donc être rentable en fin d’année. Comme pour les usages, le cinéma domine les revenus du site. « Certains univers rapportent plus qu’ils ne génèrent d’activité. Le cinéma représente le gros de nos revenus (plus des deux tiers), suivi par le jeu vidéo et les séries. Dans l’autre sens, d’autres univers sont plus compliqués, comme l’édition et la musique qui ont des économies plus fragiles » détaille encore M. Boutin.

Une autre manière de financer SensCritique est d’exploiter sa large base de données, faite d’œuvres et de dizaines de milliers d’avis d’utilisateurs. À une époque, le site intégrait un module dédié au service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) Canalplay, qui apparaissait sur les fiches des œuvres qui y étaient disponibles. Un « deal de test » qui a permis au site de s’entrainer sur la mise à disposition de ses données (via une API) et la correspondance entre bases de données, un sujet des plus complexes entre deux entreprises.

« Aujourd’hui, en complément de la publicité, on travaille avec des acteurs de la vidéo à la demande (VOD), notamment avec abonnement (SVOD), pour leur proposer nos données et enrichir leurs sites » nous explique encore le site. Le but est notamment d’indiquer la disponibilité d’une œuvre sur un service de VOD, en complément des salles de cinéma et des apparitions TV. Les partenaires de SensCritique ont accès aux notes, à leur répartition, à des extraits de critiques, à l’appartenance d’œuvres à des tops... Des éléments qui pourraient également servir au classement par les services de VOD, même si le site refuse de le confirmer.

Le CNC à la rescousse de la VOD... et de SensCritique

Le service a d’ailleurs signé plusieurs contrats, dont les effets devraient apparaître dans les semaines à venir. Pour cela, il a eu droit au concours (involontaire ?) du Centre national du cinéma (CNC). En début d’année, l’organisme public a obtenu de plusieurs sites (Allociné, Première, SensCritique, Télérama...) qu’ils mettent un module sur leurs fiches de films. Celui-ci propose une liste des services de VOD français qui propose le film en question, avec les prix, les qualités et les langues disponibles.

Pour cela, le CNC a travaillé en commun avec les sites et les plateformes pour harmoniser leurs bases de données, chaque film étant désigné par un identifiant commun. SensCritique a collaboré à cette initiative, dont il refuse de détailler les conditions. Mais selon le service, il serait grandement bénéfique à ses affaires. Quand auparavant il était difficile de prévoir des actions d’envergure avec les services de VOD, le système du CNC lève un poids technique sur la collaboration entre services de VOD et sites communautaires.

Sens Critique VOD CNC

« Ça a été un vrai accélérateur d’opportunités pour nous » nous déclare encore Guillaume Boutin, qui dit ne pas s’y être attendu. « Aujourd’hui, proposer nos données à un acteur de la VOD est extrêmement simple, parce qu’on a fait correspondre nos bases respectives. Chaque film a un identifiant du CNC, qui va permettre à un acteur de récupérer facilement nos données. Sans cela, on devait faire correspondre nos informations base par base » détaille-t-il. À terme, il espère un système d’affiliation sur les services de VOD, comme il en existe dans le e-commerce. Cela si le marché de la VOD décolle enfin.

L’importance de la VOD (cinéma et séries) contraste fortement avec d’autres domaines, qui ont pourtant aussi embrassé le numérique. C’est surtout le cas de la musique, qui reste minoritaire dans les revenus du site, alors qu’il demande une attention particulière. « C’est un univers extraordinairement complexe à traiter. À la louche, nous avons 15 millions d’éléments... Alors que nous avons une base extrêmement complète en cinéma avec 120 000 films » affirme l’équipe. Pour ajouter des albums, le site est branché sur la base de données libre MusicBrainz.

La gestion de la base de données n’est d’ailleurs pas le souci principal de SensCritique. Sur les douze employés, deux personnes s’en chargent actuellement. « Ce n’est plus un enjeu si stratégique, contrairement au début » nous explique-t-on. Maintenant que la base est globalement constituée, l’équipe se concentre sur l’actualité, soit les œuvres récentes et à venir. Les utilisateurs peuvent aussi ajouter eux-mêmes les œuvres manquantes, même si « c’est de plus en plus rare ».

Le mobile, ce talon d’Achille

L’un des enjeux stratégiques actuels est plutôt le mobile, qui reste minoritaire. Le service propose une version web adaptée et une application Android (mais pas encore iOS). Le trafic web vient ainsi à 75 % d'ordinateurs classiques, contre 15 % des smartphones et de 10 % des tablettes. L’application Android, lancée en mars, compte elle 23 000 utilisateurs sur les 400 000 membres du site. Des chiffres honorables, mais que l’équipe juge insuffisants face à l’effort fourni dans ce domaine.

Selon le responsable, l’erreur a été de vouloir des applications mobiles, sur Android et iOS, trop complètes dès la première version. L’ergonomie étant un point-clé du site, la retranscrire sur mobile a été plus difficile que prévu. « Nous avons un site extrêmement riche. Le rendre aussi pratique sur mobile qu’il l’est sur le web classique est difficile » nous affirme Guillaume Boutin.

« On a mis trois, quatre ans à développer le site, et on a voulu tout mettre en une fois dans une app. C’est un travail gigantesque, qui nous a fait perdre beaucoup de temps. On avait développé beaucoup de choses avec une agence, qu’on a fini par mettre à la poubelle l’année dernière. On est repartis d’une feuille blanche et on a opté pour des itérations (releases) successives » poursuit-il. Sur Android, les versions se succèdent donc pour ajouter les fonctions et améliorer l’ergonomie, étape par étape. La version iOS, elle, doit arriver « très bientôt ». Le site pense être « mature » sur le mobile à la mi-2016 et prépare des fonctions spécifiques à ces applications.

Sens Critique mobile

Plus de discussions et d’opérations, notamment pour le groupe Canal

Pour l’avenir, SensCritique veut encore aider les utilisateurs à s’approprier son service, mais surtout améliorer le dialogue. « Aujourd’hui, les gens s’expriment surtout par la critique et pas assez sur les à-côtés des films. On veut vraiment développer la discussion en dehors des critiques » nous explique le site, qui a ouvert une section « Posts » dans ce sens.

Le site « réfléchit beaucoup » à une API publique, pour attirer les développeurs tiers. Sous forme de démonstration, il a déjà ouvert une partie « Lab » qui contient quelques applications web fondées sur les données des utilisateurs. Interrogé sur d’éventuelles critiques vidéos, l’équipe dit y penser depuis longtemps mais ne pas l’avoir prévu dans l’immédiat, les membres n’en étant pas demandeurs.

Côté business, SensCritique continue d’enrichir ses opérations spéciales à destination des utilisateurs, selon leurs goûts. « Avec certains annonceurs, nous sommes presque en mode agence. Nous fournissons de plus en plus de données aux acteurs. On a signé avec le groupe Canal par exemple, et nous avons beaucoup d’autres partenariats à développer par la suite » nous résume enfin Guillaume Boutin.

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