Nous diffusons ci-dessous le mémoire adressé au Conseil constitutionnel par la FABA, la French-American Bar Association. Ce groupement d’avocats franco-américain montre de nouvelles zones troubles dans le projet de loi Renseignement. La décision du Conseil constitutionnel est attendue pour le 23 juillet prochain.
La French-American Bar Association (FABA) a adressé le 14 juillet dernier un mémoire au Conseil constitutionnel. L’objectif de cet amicus curiae ? Éclairer le juge des points litigieux qui auraient été mal pointés, si ce n’est oubliés, dans les trois saisines officielles, celle du président de la République, du président du Sénat et de plus de 60 députés.
Thomas Vandenabeele, Pierre Ciric et Pascale Longuet, respectivement président, vice-président et membre de la FABA concentrent une grande partie de leurs critiques sur les nouveaux outils de surveillance face au statut de l’avocat. Nous avions déjà esquissé la problématique : le futur article L. 821-7 prévu par le projet interdit en effet qu’un « un parlementaire, un magistrat, un avocat ou un journaliste » puisse être « l’objet d’une demande de mise en œuvre, sur le territoire national, d’une technique de recueil de renseignement (...) à raison de l’exercice de son mandat ou de sa profession. »
Une lecture soigneuse montre que finalement ces personnes protégées pourront être surveillées dans deux cas de figure. D’une part, dans les activités non liées à l’exercice de leur mandat ou de leur profession. Mécaniquement, un outil de surveillance préventif ne peut anticiper la qualité d’une conversation contre les murs de laquelle il tend l’oreille. Il y a donc un risque d’atteinte au secret. D’autre part, l’interdiction de cette surveillance ne concerne que le territoire national. En clair, à l’étranger, tout sera permis, même la surveillance des échanges noués dans « l’exercice du mandat ou de la profession ». C’est évidemment ce dernier point qui inquiète la FABA.
Des contentieux de plus en plus internationalisés
Au fil d’une quinzaine de pages, ce groupe de juristes franco-américains rappelle sans mal que « l’accroissement de la mondialisation a donné lieu à l’internationalisation du droit et des contentieux. C’est ainsi que la représentation de clients localisés en France par des avocats résidents hors de France devient de plus en plus répandue. Il est ainsi de plus en plus courant pour ces avocats de communiquer habituellement par téléphone et par courriel avec leurs clients basés en France et parfois avec les conseils français basés en France de ces clients dans le cadre de dossiers multi-juridictionnels. »
Selon les statistiques du ministère de la justice de 2012, il y a ainsi « 2.506 avocats sont inscrits à la fois à un barreau français et à un barreau étranger, soit 4,5% des avocats ». Et 734 d’entre-eux sont inscrits dans un barreau des États-Unis. Le caractère international est en outre accentué puisque bon nombre d’avocats inscrits en France opèrent également dans des affaires internationales.
Trop d’incertitudes, trop d’inégalités
Bref, pour la FABA, « l’incertitude quant au caractère confidentiel des communications entre l’avocat localisé hors du territoire national et son client basé en France menacerait donc la défense des intérêts des clients de nos membres devant les juridictions américaines, et affecterait nos confrères admis aux Etats-Unis, ce que nous ne pouvons accepter. »
Incertitude ? Dans leur mémoire, ils rappellent que la loi sur le Renseignement oublie de définir le terme « avocat » en s’appuyant sur telle ou telle référence. « On ignore donc si ce terme signifie un avocat admis, soit à un barreau français, soit à un barreau étranger, soit admis à la fois à un barreau français et à un barreau étranger ». Le texte défendu par Bernard Cazeneuve porterait ainsi atteinte au principe d’égalité devant la loi, faute pour de justifier d’une différence objective nécessitant un traitement différencié.
Plusieurs scénarios sont esquissés dans le mémoire : un avocat inscrit au barreau de New York et Paris. Un autre inscrit en France mais conseillant des clients américains sous la qualité de « legal consultant ». Enfin, un troisième installé à Manhattan, mais habilité à conseiller des clients français devant les juridictions américaines.
Si le terme « avocat » signifierait « un avocat enregistré dans un barreau français ou étranger, l’application strictement géographique de l’article L. 821-7 représente alors une rupture du principe d’égalité devant les restrictions des libertés publiques basée sur la simple localisation géographique de l’avocat » juge la FABA.
Et s’il désigne un avocat membre d’un barreau français seulement, la situation s’aggrave : la restriction aux libertés dépendra et de la situation géographique et du lieu du barreau devant lequel il est enregistré. La situation est donc dans tous les cas inacceptable selon ces juristes, puisque rien ne permet d’affirmer par exemple qu’un avocat étranger présenterait une « menace distincte sur l’ordre public par rapport aux avocats admis à un barreau français et présents sur le territoire national ». Et la FABA de dézinguer la faiblesse de l’étude d’impact ou des travaux parlementaires dont aucune analyse ne permet de justifier un tel traitement différencié.
On soulignera qu'à l'international, le projet de loi facilite grandement les mesures de surveillances administratives. L'avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques du renseignement n'est pas exigé. Le Premier ministre décide donc seul qui, quand, où et comment peuvent être surveillées plusieurs personne. Il suffit simplement que la communication soit reçue ou émise depuis l'étranger, même si elle concerne deux Français, utilisant depuis Paris, un service en ligne étrangers (Skype, Gmail, Twitter, Facebook, etc.).
Colère noire et saisine blanche
Au passage, ces juristes demandent également au Conseil constitutionnel d’analyser avec une grande prudence la saisine du président du Sénat ou celle de François Hollande. Ni l’une ni l’autre n’ont exprimés de griefs particuliers. La saisine de Gérard Larcher est dite blanche. Celle du président de la République se contente d’égrainer une série d’articles, dont le fameux L.821-7, sans émettre de reproches.
Si les neuf sages acceptent ces saisines, cela pourrait potentiellement contrecarrer de futures questions prioritaires de constitutionnalité. « Cette situation aboutira donc alors à une violation claire et directe du principe du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense, définis par l’article 16 de la Déclaration de 1789, ainsi que l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, puisque tout avocat localisé hors du territoire national ne pourra plus tenter de faire respecter la confidentialité des échanges entre lui et son client par l’intermédiaire d’une procédure de Question Prioritaire de Constitutionalité. »
Alternative suggérée à Jean-Louis Debré : que le Conseil constitutionnel refuse finalement la saisine du Président de la République et celle du président du Sénat. Avantage ? Cela « permettra alors au Conseil de se prononcer de façon limitée sur la constitutionalité de l’article L. 821-7, et ce concernant uniquement les griefs soulevés par les 60 députés. Dans ce cas, en effet, les membres de FABA pourront alors poursuivre a posteriori, telle ce que cela avait été prévu aux termes de l’article 61-1 de la Constitution, une Question Prioritaire de Constitutionalité concernant la rupture du principe d’égalité devant les restrictions des libertés publiques entre les avocats localisés sur le territoire national et les avocats localisés hors du territoire national. »