[Interview] Cyril Luneau d'Orange nous parle du déploiement des réseaux d'initiative publique (RIP)

Allié ou détracteur ?
Internet 9 min
[Interview] Cyril Luneau d'Orange nous parle du déploiement des réseaux d'initiative publique (RIP)
Crédits : kynny/iStock/ThinkStock

Le nouveau directeur des relations avec les collectivités d'Orange revient pour nous sur les choix du groupe en matière de déploiement des réseaux. C'est également l'occasion de parler de l'économie des réseaux d'initiative publique et de revenir sur les difficultés rencontrées par certaines collectivités avec l'opérateur.

Depuis le 1er juillet, la direction des relations avec les collectivités locales d'Orange a un nouveau patron. Au revoir Bruno Janet, qui a co-fondé la direction et l'a dirigée pendant plus de dix ans, en la marquant de son empreinte. Bonjour Cyril Luneau, fondateur et ancien PDG de SFR Collectivités, dont il est parti il y a quelques semaines. Les deux entités ont une attribution commune : le lobbying auprès des élus locaux pour vanter leur approche des réseaux, notamment pour ce qui est du très haut débit.

Comme nous l'avons révélé ces dernières semaines (ici et ), Orange dispose d'une image de service public et d'un maillage important d'employés sur tout le territoire. Des atouts qui lui permettrait notamment de contrer les réseaux d'initiative publique (RIP) en fibre optique, qui concurrecent son réseau ADSL dans certaines zones rurales. Cela alors que le groupe affiche publiquement son soutien au plan France THD du gouvernement. Son service presse nous a d'ailleurs indiqué qu'« il n’y a aucune stratégie de dénigrement des RIP, ce n’est d’ailleurs ni dans notre intérêt ni dans notre stratégie... »

Selon plusieurs de nos interlocuteurs, Orange reprocherait aux collectivités de déployer de la fibre dans les campagnes trop tôt, alors que le groupe la déploie en parallèle dans les zones densément peuplées. De même, le choix de certaines collectivités de confier les étapes du projet (conception du réseau, construction et commercialisation) à plusieurs acteurs plutôt qu'à un seul serait vertement critiqué par l'opérateur historique, qui préfère lui gérer le réseau de bout en bout. 

Quelques jours après son arrivée, nous avons donc décidé d'interroger Cyril Luneau, afin de mieux cerner la stratégie du groupe et d'évoquer les accusations que portent ces collectivités.

Cyril Luneau

Qu’est-ce qui vous a amené de SFR chez Orange ?

J’ai quitté Numericable-SFR il y a quelques semaines. Je souhaitais rejoindre le groupe Orange. C’est réellement une fierté d’y entrer. L’aménagement des territoires et les grands partenariats avec les collectivités sont des activités que j’aime exercer et dans lesquelles j’ai de l’expérience.

Quand vous étiez encore chez SFR que pensiez- vous de la force d’Orange en local ?

Le travail entre les collectivités et les différents opérateurs est assez récent. En effet, l’ensemble des activités des opérateurs, y compris en direction des collectivités, n’ont été construites que par rapport à l’ancien monopole d’Orange. Toutes les entités qui se sont construites l’ont été face à Orange, en prenant une part de ses responsabilités vis-à-vis des collectivités... Comme la gestion du réseau et des services fournis aux collectivités.

Comptez-vous continuer l’action entreprise par Bruno Janet ou en revoir les méthodes ?

L’activité de la direction des relations avec les collectivités locales groupe (DRCLG) est reconnue, très professionnelle et tire le groupe vers le haut dans ses relations avec les territoires. Cette entité est un modèle souvent copié, mais pas toujours égalé par les autres. Il n’y a pas de remise en cause, bien évidemment. Il y aura sûrement des évolutions, mais il s’agit pour l’instant de fournir une grande écoute à mes collaborateurs. Il est encore bien trop tôt pour répondre à cette question.

Quelles différences entre l’approche de SFR et celle d’Orange ?

Chez SFR on a commencé par écouter les collectivités. Le but était de professionnaliser la relation avec les élus. L’étalon étant Orange, il fallait bien comprendre ce que faisait la référence dans le domaine. Dans un premier temps, on a essayé de comprendre notre métier, en courant plutôt qu’en marchant, parce que les choses vont très vite.

Donc le cœur de la stratégie est d’avoir des professionnels dédiés sur le terrain.

Oui, parce que nous ne sommes pas là pour faire un coup, nous sommes là pour durer. Pour être un acteur fiable comme Orange, il n’y a pas de haut fait d’arme mais une continuité, une présence aux côtés des collectivités. Qu’il y ait des hauts ou des bas, nous sommes toujours là.

On peut ne pas être d’accord avec une collectivité et son axe de développement, mais ce n’est pas pour autant que nous ne sommes pas  présents sur les autres sujets ou que nous ne sommes pas capables de nous retrouver à un moment donné. L’un des buts est d’expliquer de la manière la plus claire possible aux collectivités et à nos interlocuteurs, quand ils peuvent trouver Orange, quand ce sera plus compliqué et quand Orange ne pourra pas les accompagner, parce que cela va à l’encontre des intérêts du groupe.

Cette démarche explicative est vraiment importante, avec une vision à court, moyen et long termes. On ne peut avoir une relation de confiance qu’en toute transparence et avec des gens qu’on comprend.

Les « bas » sont, par exemple, quand un réseau public ne suit pas les règles d’ingénierie d’Orange ?

Je pense que la position d’Orange sur le sujet est assez claire. Pour autant, elle a forcément évolué, comme celle de tous. Le grand chantier de la fibre ne fait que commencer. Dans le cadre des réseaux d’initiative publique (RIP), Orange travaille de concert avec les différentes parties prenantes que  sont les collectivités, l’ARCEP, la mission Très Haut Débit...

Il y a beaucoup d’ acteurs [ndlr : des opérateurs de réseaux spécialisés] qui se positionnent sur ces projets. La méthodologie de construction et le modèle économique sont des points essentiels. Aucun acteur n’est capable de vous dire qu’il ira sur tous les RIP, que ce soit de la fibre, de la montée en débit, du WiMAX... Ce n’est pas seulement la position d’Orange, mais celle de tous pour des raisons évidentes de capacités financières et économiques. On prendra soin d’aller voir l’ensemble des collectivités pour expliquer notre positionnement sur ces sujets.

Il s’agit par exemple d’expliquer pourquoi Orange ne pourra pas venir tout de suite sur certains réseaux ?

Il y a des projets plus prioritaires que d’autres et notre capacité financière nous contraint à réaliser des arbitrages entre les RIP... En général, les collectivités rencontrent l’ensemble des acteurs (cabinets de conseil, constructeurs, FAI, administration, ...) avant de lancer un projet. Elles font le tour pour comprendre quel est le meilleur choix, pour agir en toute connaissance de cause. Quel que soit le type de projet, nous insistons pour rencontrer les collectivités et leur expliquer notre positionnement.

Si je saisis bien, la position d’Orange dans un premier temps est de fibrer les zones conventionnées (très denses et moyennement denses) et préférer de la montée en débit sur cuivre dans les zones rurales.

C’est très réducteur. Dans certaines zones, Orange est le seul à se positionner en tant que fournisseur d’accès sur le réseau tiers, qui peuvent être ceux de SFR [nldr : Orange proposant sa Livebox sur des réseaux fibre qu’il n’a pas construit et qu'il n'exploite pas].

La fibre partout, ce n’est pas la réalité. Des études rationnelles ont été réalisées sur certaines zones, qui montrent qu’il n’est pas possible de déployer la fibre. Ou alors, il n’y aura qu’une infime partie de la population qui sera éligible à la fibre. Il existe des solutions très efficaces, comme la montée en débit, sur lesquelles Orange et d’autres fournisseurs d’accès se positionnent naturellement.

La montée en débit suppose l’opticalisation (donc la fibre) jusqu’au point de raccordement mutualisé (PRM), et à partir de là, on utilise l’ancien réseau jusqu’à l’habitant. Toute une partie du réseau est donc considérablement amélioré et prépare le très haut débit. [nldr : Cela malgré l'avis contraire de spécialistes du déploiement du réseau, qui parlent de redondance des investissements.]

Plusieurs collectivités m’ont affirmé ces dernières semaines qu’Orange démarchait des élus locaux (maires, communautés de communes...) pour attaquer la légitimité de réseaux publics départementaux en fibre et pousser la montée en débit sur cuivre dans les zones rurales. Est-ce que ce sont des méthodes que vous connaissez ?

Je ne suis pas au courant de ces cas. Ce n’est pas du tout la position du groupe. Sauf à ce qu’on me dise « Telle personne a dit ou écrit telle ou telle chose »... Franchement, ce n’est pas le message véhiculé.

Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’au niveau national, les acteurs pensent qu’il est déjà compliqué d’avoir une équation économique viable avec les quatre opérateurs nationaux. Sur la part « publique » des réseaux fixes, qui correspond au mieux à cinq millions de prises, cinq ou six acteurs [nldr : spécialisés dans les réseaux locaux, comme Altitude, Covage ou Tutor] se positionnent...

Est-ce que le marché est suffisamment viable pour tous les nourrir ? Orange sensibilise les collectivités à la viabilité économique des projets fibre. Aussi quand on constate dans certaines zones rurales une faible activité des FAI sur le cuivre, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de ces derniers à commercialiser la fibre, réputée plus coûteuse à la mise en œuvre.

Orange passerait bien ces messages auprès des collectivités. C’est notamment ce qu’ont affirmé certains élus lors de la dernière rencontre (GRACO technique) organisé par l’ARCEP récemment.

C’est bien qu’il y ait un acteur qui dit ce qu’il va faire et qui ne change pas tout le temps d’avis. Je ne suis pas sûr que les autres opérateurs soient aussi clairs. Il est de bon ton de taper sur Orange. C’est pourtant celui qui investit le plus aujourd’hui et qui est le plus au cœur de l’aménagement du territoire. C’est l’acteur qui tire tous les autres vers le haut aujourd’hui.

Dans la réponse aux projets de réseaux d’initiative publique, Orange semble préférer ceux qui confient l’ensemble des tâches au même acteur, de la conception à la commercialisation. Cela pour gérer le réseau de bout en bout.

Je vous le confirme. Il est beaucoup plus simple d’avoir un seul interlocuteur. C’est le modèle sur les zones denses où nous investissons en propre. C’est le modèle dans les zones dites « AMII », donc moyennement denses. Par extension, c’est un modèle plus maîtrisable : quand ça marche, on sait d’où ça vient... Et également quand ça ne marche pas. Dans les critères pour décider d’un positionnement, tout est pris en compte, en termes de zones, d’importance, de montage, ... C’est un tout.

Globalement, est-ce que vous avez un point sur lequel vous serez particulièrement vigilant dans votre action ?

Dans vos questions, on sent qu’il y a toujours une appréhension de quelques collectivités vis-à-vis d’Orange, pour savoir s’il va être un allié ou un détracteur. Sur ce point, on sera vigilant d’expliquer très en amont nos choix, et d’y consacrer beaucoup de temps, de telle manière que les collectivités n’aient pas l’impression d’être prises en défaut. Orange est le partenaire naturel des collectivités. Si ce n’est pas le cas dans certains endroits, il faut reconquérir cette confiance.

Merci Cyril Luneau.

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