Alors que l’actualisation du référentiel général d’interopérabilité de l’État (RGI) devrait être actée d’ici la rentrée, d’intenses tractations ont lieu entre la DISIC, qui a élaboré une première version de travail, et les cabinets ministériels, qui trancheront en dernier ressort. Les discussions seraient même remontées jusqu’à l’Élysée.
Prévu par une ordonnance de 2005, le RGI ne s’impose véritablement aux « autorités administratives » françaises (ministères, collectivités territoriales, établissements publics,...) que depuis 2009 – date d’entrée en vigueur de sa première version. Pour faire simple, ce document dresse une liste des formats à utiliser en fonction des besoins : traitement de texte, tableur, lecture de vidéos, compression de fichiers, etc. Chaque standard référencé est soit « recommandé », auquel cas il doit être respecté et appliqué, soit il est « en observation », ce qui signifie qu’il reste encore toléré, soit il est « retiré », c’est-à-dire qu’il doit être abandonné ou évité.
Au mois d’avril, la Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication de l’État (DISIC) a lancé un appel à commentaires sur ce qui pourrait devenir la « V2 » de ce document censé faciliter les échanges par voie électronique de l’administration – tant avec d’autres administrations que des particuliers, des entreprises... Cette version de travail, estampillée 1.9.7, avait pour particularité de recommander le seul format ODF pour l’édition de documents : .odt pour les traitements de texte, .ods pour les tableurs, .odp pour les présentations, etc. Le standard OOXML, lié à Microsoft, disparaissait de fait du RGI – pour la plus grande joie des défenseurs du logiciel libre, et – inversement – au grand dam des éditeurs de logiciels propriétaires, à commencer par Microsoft... Et pour cause, cela signifie que les administrations seraient tenues de ne plus utiliser les formats .docx, .pptx, etc.
Le dossier prend un tournant politique
Mais la semaine dernière, rebondissement : nos confrères de Silicon affirmaient que la présidence de la République s’était saisie du dossier et avait « entendu les arguments de Jacques Marzin », le numéro un de la DISIC, « invité à s’exprimer sur ce sujet ». Plusieurs sources nous ont également donné des échos similaires, selon lesquels l’intéressé aurait été convoqué à l’Élysée il y a plus d’une dizaine de jours.
Le service presse de François Hollande nous a cependant assuré vendredi que Jacques Marzin n’avait pas eu d’entretien avec le chef de l’État « au cours des dernières semaines ». Ce qui n’exclut pas en fait d’éventuelle rencontre informelle, par exemple avec des conseillers du président. Contactée, la DISIC s’est pour sa part refusée à tout commentaire ou démenti.
Mais pour l’Association de promotion du logiciel libre (April), le tournant politique manifestement pris par ce dossier est de mauvaise augure : « Le lobbying exercé par Microsoft s'est activé et, au plus haut niveau de l'État, on s'intéresserait à ce débat, ce qui n'est pas sans rappeler les épisodes de 2009 sur le RGI ». À l’époque, les formats ODF et OOXML avaient été placés sur un même pied d’égalité, tous deux « en observation », dans un climat particulièrement houleux.
Le délégué général de l’organisation, Frédéric Couchet, a même affirmé sur Twitter qu’une nouvelle ébauche du RGI circulerait actuellement, dans laquelle le format OOXML ferait son retour (dans le statut néanmoins intermédiaire d’observation).
Une nouvelle version du #RGI existerait (la 1.9.9) avec intégration d' #OOXML en statut "toléré" L'effet http://t.co/E84ni1Ba2g ?
— Frédéric Couchet (@fcouchet) 6 Juillet 2015
Face à ces signaux, l’April en appelle aujourd’hui « le président de la République et le gouvernement à ne pas céder aux mouvements d'influences et à agir dans l'intérêt à long terme de l'ensemble des citoyens français et de leurs administrations ». « Face aux attaques que le patron de la DISIC subit actuellement de la part d'organisations qui mènent des combats d'arrière-garde et dont le monopole s'appuie sur l'emprisonnement de toute la production bureautique de l'État et de ses interlocuteurs », l’association a tenu à lui apporter publiquement « tout son soutien » par la voix de Jeanne Tadeusz, sa responsable des affaires publiques.
Du côté de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (AFUL), qui avait elle aussi vivement applaudi « les auteurs du RGI pour leur prise de conscience et leur position forte concernant le format OpenDocument », on se dit prêt à négocier. Mais pas à n'importe quelles conditions. « Si le gouvernement cède politiquement à Microsoft pour préserver son monopole, l'AFUL demande à ce que le gouvernement impose à Microsoft le support exclusif d’OOXML dans sa version stricte et non pas transitionnale » nous a expliqué Laurent Séguin, président de l’organisation. Ce dernier souhaite plus concrètement que les formats de type docx non normalisés soient bel et bien abandonnés et que Microsoft Office ne génère que « du format OOXML normalisé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui ».
Également contactée par nos soins, l’Association française des éditeurs de logiciels et de solutions Internet (AFDEL), qui compte parmi ses rangs Microsoft France, n’a pas donné suite à nos sollicitations à l'heure où nous écrivons ces lignes.