Le dossier est complexe à souhait, mais ses retombées sont cruciales pour la régulation du Web par le CSA et ses équivalents européens. Dans une affaire actuellement examinée par la CJUE, l’avocat général a conclu que la section « vidéos » des sites de presse n’était pas des services de médias audiovisuels. Selon lui, celles-ci n’ont donc pas à être régulées par les gendarmes de l’audiovisuel.
Pour rappeler brièvement les faits, Tiroler Tageszeitung online est un journal autrichien en ligne doté d’une section vidéo, comme bien d’autres sites d’informations. En 2012, l’autorité de contrôle des communications l’a mis en demeure de lui notifier cette parcelle, considérant qu’il s’agissait d’un service de médias audiovisuels à la demande (SMàD). Pour New Media Online, l’éditeur du site, cette section est au contraire accessoire à son site d’actualité. Elle n’a donc pas à être soumise aux mêmes contraintes réglementaires que la vidéo à la demande ou la télévision de rattrapage, toutes issues de la télévision traditionnelle.
L’affaire est actuellement examinée par la CJUE. Quoi que technique, le dossier est très important puisque du sort de la réponse de la justice européenne dépendra la faculté pour des autorités comme le CSA de contrôler les vidéos mises en ligne par les journaux et autres radios. Ce matin, l'avocat général de la CJUE, celui chargé d’examiner l’affaire puis de conseiller la Cour, a posé les termes du débat : « tracer les limites » entre les médias audiovisuels et l’internet (ses conclusions).
Trois raisons pour ne pas étendre la régulation audiovisuelle
Mais selon Maciej Szpunar, élargir le champ d’application de cette régulation aux sites de presse est une piste à proscrire. Pour plusieurs raisons : d’abord, la directive assimile VOD et TV de rattrapage à la télévision, car ces flux sont en concurrence. Or, tel n’est pas le cas selon lui, des services ici en cause.
De même, l’interprétation des autorités autrichiennes, si elle se répandait dans toute l’Europe, reviendrait à faire basculer « un nombre considérable d’opérateurs qui, certes exploitent un site Internet comportant des contenus audiovisuels, mais dont l’activité n’a pas pour principal objectif d’offrir » de tels services. Or, « vouloir soumettre à un contrôle administratif de trop nombreux aspects du fonctionnement des sites internet poserait également un énorme défi aux autorités de régulation des États membres, compte tenu de la facilité avec laquelle ces sites sont créés et du fait que l’on y publie tout type de contenus, y compris audiovisuels. »
Enfin, la solution autrichienne, si elle était généralisée, conduirait à quelques développements illogiques. Voilà un site dont une partie serait SMàD parce que des vidéos sont structurées dans une section, et tel autre dégagé de ce statut, car ces mêmes vidéos sont éparpillées dans ses pages. Pour l’avocat général, « le fait qu’un service relève ou non de la directive ne peut dépendre que de sa nature, et non de l’architecture du site internet dans le cadre duquel il est offert. »
Avant de conclure au rejet des prétentions du CSA autrichien, l’avocat général rappelle également le considérant 28 de la directive sur les SMàD qui exclut de son champ d’application « les versions électroniques des journaux et des magazines ». Mieux, il explique que « l’émergence de portails web multimédias qui, outre des contenus écrits et photographiques, comportent des matériaux audio et audiovisuels n’est (…) pas la conséquence du développement technologique de la télévision, mais un phénomène entièrement nouveau, essentiellement lié à la croissance du débit des réseaux de télécommunications ». Bref, il serait pour le moins hasardeux de leur imposer les règles issues de la TV de papa alors qu’Internet en général et le Web en particulier sont tous sauf des ersatz du petit écran.
Internet n'est pas une zone de non droit
Certes, reconnait-il, des services normalement SMàD pourraient être incités à se soustraire à ces règles, notamment contributives, en montant de toutes pièces un site multimédia. Mais il renvoie ici la balle non à une règle générale, mais aux contrôles menés par le CSA et ses équivalents dans chaque pays européen. « Les éventuelles difficultés qui en résultent ne sauraient (…) justifier d’interpréter la directive de façon à y englober en pratique tous les contenus audiovisuels existant sur Internet, en outrepassant ainsi la portée de la réglementation prévue par le législateur. »
Au final de ses conclusions, il rappelle que cette non-assimilation ne doit pas conduire à considérer Internet comme une zone de non droit. Des règles issues de la protection des mineurs et de l’ordre public, l’encadrement de la publicité, etc. Toutes doivent trouver à s’y appliquer.
Précisons au final que les conclusions d'un avocat général ne lie pas la Cour qui peut décider de les ignorer et opter pour une décision diamétralement opposée. L'arrêt, attendu dans quelques mois, sera donc à suivre avec intérêt.