Loi Renseignement : la saisine constitutionnelle du président de la République

De l'art de faire examiner un texte parfait
Droit 4 min
Loi Renseignement : la saisine constitutionnelle du président de la République

Quels sont les reproches adressés par François Hollande à sa loi sur le renseignement ? Nous publions la saisine de trois pages qu’a adressée hier l’Élysée au Conseil constitutionnel. Une saisine à la fois très vaste mais qui laisse de côté plusieurs points noirs, notamment celui de la surveillance internationale.

Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, avait prévenu une nouvelle fois François Hollande mercredi : pas de saisine blanche sur la loi sur le renseignement, tout juste adoptée par le Parlement. Par cette demande, le haut magistrat exige du président de la République une saisine détaillée, motivée, accompagnée d'arguments et pas une demande d’examen globale. Nous avons pu nous procurer la saisine adressée hier matin par l’Élysée. Ce n’est certes pas une saisine blanche, mais on reste très (très très) loin du mémoire de la Quadrature du Net, FDN et FFDN.

Le ton diffère également. François Hollande commence par vanter les charmes de sa loi, dont le « cœur » vise à assurer la « conciliation entre la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation » et « la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ». Au Conseil constitutionnel qui viendrait à douter, l’Élysée assure que « le Parlement a pris soin de maintenir cet équilibre et, au bénéfice de l’adoption des amendements proposés tant par le gouvernement que par des députés et des sénateurs, a précisé et enrichi les garanties légales destinées à assurer le respect de ces droits et libertés, et notamment du droit au respect de la vie privée. »

Voilà donc posée sur le bureau des neuf Sages une loi qui « précise et encadre, par un contrôle tant administratif que juridictionnel », la mise en œuvre des techniques de renseignement, la conservation et l’exploitation des données, « tout en donnant aux services de renseignement la capacité de connaître et prévenir les menaces pesant sur notre pays et sa population ». N’en jetez plus ! L’introduction fleurie est suivie d’un descriptif des articles : les finalités autorisant le renseignement, les règles destinées aux professions dont le secret est garanti (magistrats, journalistes, parlementaires, avocats), l’intervention éventuelle du Conseil d’État, etc.

Bref, l’Élysée se contente de présenter sous son meilleur angle son texte, d’en esquisser les grandes lignes, pour terminer son ébauche par une demande très globale : « Ainsi j’ai l’honneur, en application du deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative au renseignement, afin qu’il examine, au regard du droit au respect de la vie privée, de la liberté de communication et du droit à un recours au juridictionnel effectif, les articles L.773-2 à L773.7, L.811-3, L.821-5, L.821-5-1, L.821-5-2, L.822-2, L.841-1, L.851-4, L851-6 et L.851-7 du code de la sécurité intérieure, ainsi que le I Bis de l’article L.852-1 et les articles L.853-1 à L.853-3 du même code. »

Des bugs dans l'affectation des articles

À quoi correspondent ces articles ?

  • L.773-2 à L773-7 : presque toutes les règles de contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement
  • L.811-3 : l’ensemble des finalités justifiant le renseignement
  • L.821-5 et L.821-5-1: les situations d’urgence absolue (le L.821-5-1 a disparu, il est en fait devenu L821-6)
  • L.821-5-2 : la situation des professions protégées (a disparu, devenu L.821-7)
  • L.822-2 : durée de conservation des renseignements collectés
  • L.841-1 : la compétence du Conseil d’État
  • L.851-4 : les boîtes noires (devenu le L.851-3, le L.851-4 a été réaffecté au spectre des données de connexion et des informations et documents pouvant être collectés)
  • L.851-6 : localisation en temps réel des personnes, d’un véhicule ou d’un objet (devenu L.851-5, le L.851-6 étant désormais consacré aux sondes implantées chez les opérateurs)
  • L.851-7 : les fausses antennes relai (IMSI catcher et dispositifs similaires) (devenu L.851-6, le L.851-7 ayant disparu)
  • L.852-1 (I BIS) :  interception de sécurité via dispositif de proximité (disposition devenue L852-1 II)
  • L.853-1 à L853-3 : sonorisation de certains lieux et véhicules et de la captation d’images et de données informatiques.

On notera ainsi que le président de la République s'appuie sur une numérotation antérieure du texte, les articles ayant été réagencés en bout de course à l'Assemblée nationale. En l'état de sa numérotation, sa saisine fait l'impasse sur les sondes implantées directement chez les opérateurs ou encore sur la surveillance internationale. Ces points ont toutefois été soulevés lors de la saisine parlementaire, mais aussi suggérés par les mémoires, notamment celui adressé par la Quadrature du net, FDN et FFDN. Nous reviendrons sur cette problématique une fois obtenu les explications de la présidence. Selon les premiers éléments fournis par l'exécutif, ces articles ne sont que des pistes, le Conseil constitutionnel pourra les rectifier de lui même.

La saisine de François Hollande reste très vaste puisqu'elle ne soulève aucune question constitutionnelle précise. Ce n’est pas une saisine blanche, mais elle reste très lumineuse... Un tel spectre est intéressant pour les partisans du texte : en fonction de l’étendue des réponses attendues du Conseil constitutionnel, cela devrait raboter les futures questions prioritaires de constitutionnalité, puisqu’on ne peut adresser de QPC sur une disposition déjà examinée.

(Merci à Benjamin Bayart et Mathieu Arnold.)

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