Présidents, ministres, hauts fonctionnaires : quand la NSA espionne la France

Évidemment
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Présidents, ministres, hauts fonctionnaires : quand la NSA espionne la France
Crédits : wragg/iStock

François Hollande, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac ont été espionnés par la NSA, dans une période qui couvre au minimum 2006 à 2012. Voilà ce qu'a révélé Wikileaks hier soir, accompagné de Libération et Mediapart. Des ministres et d’autres hauts fonctionnaires de l’état ont également été pris dans la boucle. Après le scandale en Allemagne de l’écoute d’un téléphone d’Angela Merkel se repose les questions des conséquences diplomatiques et de l’espionnage de pays considérés comme « amis ».

Il y a deux ans, les premières révélations issues des documents dérobés par Edward Snowden à la NSA provoquaient des ondes de choc chez le public, les experts en sécurité, les associations de défense de la vie privée et dans les hautes sphères. Du programme PRISM et de la collecte des métadonnées téléphoniques, les informations se sont étendues dans toutes les directions, jusqu’à montrer que les agences de renseignement de bon nombre de pays coopèrent et s’échangent des données diverses, notamment au sein des Five Eyes : États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande.

La NSA a espionné directement François Hollande, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac

Le scandale en Allemagne provoqué par les écoutes directes d’un smartphone appartenant à la chancelière Angela Merkel est suivi depuis hier soir d’un nouveau choc : dans une période comprenant au minimum les années 2006 à 2012, trois présidents français, plusieurs ministres et autres hauts fonctionnaires ont été espionnés par la NSA. La révélation provient de documents en possession de Wikileaks et transmis à Mediapart et Libération et ce en pleine dernière ligne droite du projet de loi Renseignement, lequel dote les services spécialisés français de compétences (juridiques) similaires. 

Que disent ces documents ? Que Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont été espionnés, et on sait même qu’un téléphone du second était placé sur écoute. Des informations révèlent également que François Hollande est lui-même surveillé, la NSA étant par exemple au courant d’un ordre donné à Jean-Marc Ayrault de convoquer l’opposition allemande pour discuter des conséquences d’une sortie de la Grèce de la zone Euro.

Bien que certains puissent parler de « secret de Polichinelle », l’ampleur de la surveillance reste impressionnante. De très nombreuses lignes téléphoniques seraient ainsi sur écoute, fixes ou mobiles, même au sein de l’Élysée. Divers ministres (notamment Claude Guéant), députés (dont Pierre Lellouche), directeurs (dont Frédéric Péchenard, anciennement à la police nationale), diplomates, porte-parole et autres conseillers auraient eux aussi été espionnés afin que la NSA ait une vue d’ensemble de la politique française. Les commentaires de l’agence indiquent en outre que Hollande était déjà espionné avant, mais si les deux précédents présidents étaient touchés, il n’y a pas de raison que le nouveau échappe à ce régime. D’autant que dès octobre 2013, Nicolas Arpagian, directeur scientifique du cycle « Sécurité numérique » de l’INHESJ, indiquait déjà que le président avait « vraisemblablement été espionné par la NSA ».

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Crédits : Mediapart

Peu d’informations concrètes sur ce qui a été récupéré par l’agence de renseignement

Pour l’instant, qu’il s’agisse de Mediapart, de Libération ou même de Wikileaks, il y a finalement assez peu d’informations sur ce qui a été capté véritablement par la NSA. On imagine que certaines informations sont particulièrement sensibles. Mais l’essentiel n’est pas forcément à chercher dans le contenu, car certains aspects de ce nouveau scandale permettent de dessiner les contours de la traque aux données.

Libération s’est penché en particulier sur l’ambassade américaine à Paris. Dans un article, notre confrère Jean-Marc Manach décrit comment le Special Collection Service (commun à la NSA et à la CIA) dispose de 80 « antennes » locales dans le monde, dont 19 en Europe, notamment à Berlin. On savait déjà que la NSA s’était servie de certaines installations en Allemagne pour l’espionnage du pays, dès lors, comment ne pas imaginer que l’Ambassade américaine à Paris, placée si commodément près de l’Élysée, n’a pas servi à capter des conversations et des données aux alentours ?

Le bâtiment regorgerait ainsi d’équipements spécialisés au dernier étage, l’ensemble serait muni d’antennes spécifiques et les murs eux-mêmes seraient prévus pour laisser passer les ondes. On se souvient par ailleurs que le journal allemand Der Spiegel avait révélé fin 2013 que la NSA avait installé des micros dans l’ambassade de France à Washington ainsi qu’à la représentation française à l’ONU. Là encore, pourquoi ne pas franchir l’étape supérieure avec des opérations beaucoup plus proactives sur le sol de la Nation amie que l’on veut espionner ? D’autant qu’en mars de l’année dernière, Der Spiegel encore révélait que la NSA avait espionné les communications de 122 chefs d’États. À l’époque, on ne savait pas si la France en faisait partie.

Des téléphones sécurisés existent depuis des années, mais seraient peu utilisés

De son côté, le Monde s’est intéressé aux téléphones utilisés dans les hautes sphères de l’État. Le journal raconte comment, dès 2006, le secrétariat général de la défense nationale avait pesté contre l’arrivée en masse des smartphones BlackBerry. Car si les communications étaient considérées sécurisées car chiffrées, les données étaient stockées sur des serveurs canadiens, beaucoup trop proches finalement du renseignement américain.

Il y aura eu un vrai problème pendant des années avec les téléphones sécurisés préconisés par le SGDN, à cause notamment d’interfaces rébarbatives et d’une utilisation complexe. Mais en 2010, l’État avait quand même commandé 14 000 Theorem, un modèle hautement sécurisé développé par Thales. Mais les documents de Wikileaks contiennent bien des traces de communications présidentielles, notamment en 2011 entre Nicolas Sarkozy et Alain Juppé.

Il n’y a donc que trois possibilités. D’une part, la NSA aurait pu réussir à briser le chiffrement utilisé dans les Theorem, ce qui reste du domaine du possible. D’autre part, les communications ont pu être faites depuis des téléphones classiques. Enfin, et c’est le plus probable, l’appel a pu être émis d’un téléphone sécurisé vers une ligne qui ne l’était pas. Or, pour que le chiffrement soit opérationnel, il faut évidemment que les deux interlocuteurs disposent des mêmes protocoles de communication.

Des réactions variées, entre fatalisme, franche hostilité et opportunités

Évidemment, les réactions n’ont pas tardé, certaines particulièrement tranchées, d’autres beaucoup plus prudentes. Du côté de l’Élysée, le président a réuni ce matin un Conseil de Défense au terme duquel un communiqué a été émis : « Il s’agit de faits inacceptables qui ont déjà donné lieu à des mises au point entre les États-Unis et la France, notamment fin 2013 au moment des premières révélations et lors de la visite d’État du Président de la République aux États-Unis en février 2014. Des engagements avaient été pris par les autorités américaines. Ils doivent être rappelés et strictement respectés ». L’Élysée se veut ferme, ajoutant que la France « ne tolèrera aucun agissement mettant en cause sa sécurité et la protection de ses intérêts ».

Pourtant, s’agit-il d’une surprise ? Pas si l’on en croit Michèle Alliot-Marie, qui déclarait hier soir sur iTélé : « Nous savions depuis longtemps que les États-Unis avaient les moyens techniques de nous écouter. Nous ne sommes pas naïfs ». On s’étonne dès lors que la France n’ait jamais protesté officiellement contre de telles pratiques avant la visite de François Hollande aux États-Unis l’année dernière. Mais les documents de Snowden et de Wikileaks obligent désormais les intervenants à laver en partie leur linge sale en public.

Pour Claude Guéant, la pratique américaine est tout simplement « scandaleuse ». Il espère une réaction à la hauteur par le gouvernement français et s’inquiète d’un monde « où plus personne n’a plus d’intimité, de confidentialité ». Plus fataliste, Frédéric Péchenard indique pour sa part que « si les Américains ont écouté Merkel, on ne voit pas pourquoi les autres n’auraient pas été écoutés ». Il rebondit cependant sur la nécessité pour l’Hexagone de se doter de « moyens techniques humains et juridiques plus efficaces ».

Pierre Lellouche n’est lui non plus « pas surpris » : « Ça ne m’étonne pas d’avoir été écouté lorsque j’étais au commerce extérieur, ça intéresse beaucoup les Américains, l’espionnage industriel ». Il rappelle à quel point la surveillance s’est généralisée et la manière dont l’argument « on est écouté par tout le monde, pourquoi s’empêcher de, nous, écouter ? » est sensible actuellement dans le cadre du projet de loi Renseignement (PJR). Et puisque l’on parle du texte, qui doit être voté aujourd’hui (sans doute un hasard du calendrier), son rapporteur Jean-Jacques Urvoas a tenu à rappeler cette nuit qu’une « nouvelle fois nous redécouvrons que les États-Unis n'ont pas d'alliés, ils n'ont que des cibles ou des vassaux ». Constat intéressant tant on peut se demander dans quelle mesure le Patriot Act américain a inspiré le PJR.

Quant à la Maison Blanche, elle s’est exprimée par la voix de Ned Parker, porte-parole du Nationale Security Council : « Nous n’avons pas visé et ne viserons pas les communications du président Hollande. Comme nous l’avons déjà indiqué, nous ne menons pas d’opérations de surveillance à l’étranger sauf s’il existe un objectif de sécurité nationale spécifique et validé. Cela s’applique aux citoyens et aux dirigeants. Nous travaillons étroitement avec la France sur toutes les questions internationales importantes et les Français sont des partenaires indispensables ». Une réponse prévisible qui prend soin de rappeler qu’aucune opération d’espionnage ne se fait sans base juridique, une autre manière de signifier que certains textes et impératifs sont plus importants que d’autres. En outre, la Maison Blanche aborde le cas du président Hollande, mais ne dit mot au sujet de Jacques Chirac.

Quelles conséquences réelles aux réactions publiques ?

Le président a réuni en tout cas à 12h15 un certain nombre de ministres et de parlementaires pour faire le point sur la situation. Outre une vingtaine de députés, seront présents Manuel Valls (Premier ministre), Laurent Fabius (ministre des Affaires étrangères), Christiane Taubira (Garde des Sceaux), Jean-Yves le Drian (ministre de la Défense), Bernard Cazeneuve (ministre de l’Intérieur), Gérard Larcher (président du Sénat) et Claude Bartolone (président de l’Assemblée nationale).

De nombreuses questions se posent donc aujourd’hui, d’autant que les révélations ne font que commencer puisque d’autres documents seront publiés dans les prochains jours. On peut par exemple se demander si, dans un tel contexte, une harmonisation des règles d’espionnage reste possible sur le plan international. D’autre part, même si les dates mentionnées ne font état que de la fourchette 2006/2012, on ne sait pas si l’espionnage du président français continue encore aujourd’hui. Comment ne pas s’interroger non plus sur l’aspect « surprenant » de ces informations : la France ne réagit-elle que parce que l’information est devenue publique ou découvre-t-elle réellement l’ampleur de cette surveillance ? Enfin, et comme la situation en Allemagne a pu le montrer, les réactions officielles peuvent-elles vraiment refléter de véritables mesures sur une activité qui ne cesse de se renforcer ?

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