Le moins que l’on puisse dire, c’est que le rapport remis jeudi à Manuel Valls, et qui se présente comme le fruit de plus de cinq mois de concertation citoyenne, prend clairement position en faveur du logiciel libre. Dans le sillon d'un précédent rapport sénatorial, le Conseil national du numérique préconise en effet de « mobiliser le levier de la commande publique pour mettre en avant des exigences d’interopérabilité, de standards ouverts et d’accès au code source ».
L’objectif ? « Donner la priorité aux logiciels libres » dès lors qu’il y a achat public – un peu sur le modèle de ce qui a été inscrit dans la dernière loi sur l’enseignement supérieur. L’institution propose plus concrètement d’intégrer dans les cahiers des charges des appels d’offres « les fonctionnalités et avantages propres aux solutions libres et open source, telles que l’accès au code source, l’auditabilité du code (notamment la possibilité de réduire les failles de sécurité), la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, la libre exécution du logiciel pour tous les usages, la possibilité de l’adapter et de l’enrichir, l’interopérabilité, l’évolutivité ou les capacités de mutualisation du code ». À plus long terme, elle rêve même de « l’ajout – dans les droits français et européen des marchés publics – d’un critère d’ouverture aux côtés du critère du caractère innovant déjà existant ».
De façon plus accessoire, le CNNum « considère qu’il est important d’encourager les pratiques collaboratives entre collectivités territoriales autour de projets informatiques libres, afin de développer des modules communs librement réutilisables et améliorables en continu ». Manifestement séduit par les travaux menés par l’association ADULLACT, le Conseil invite les villes, départements et régions à se regrouper plus souvent en vue du développement de programmes qui seraient utiles à toutes ces institutions publiques. « Par ailleurs, une réflexion pourrait être engagée sur l’opportunité de faire émerger un service web d’hébergement et de gestion de développement de référence pour ces modules, afin d’en favoriser l’accès, la réappropriation et le développement en continu » ajoute le Conseil dans son rapport.
Le CNNum plaide pour l’interopérabilité
En écho au récent appel en faveur de l’interopérabilité au sein de l’Éducation nationale, le CNNum demande d’autre part à ce que l’État garantisse « en amont l’usage de normes ouvertes et interopérables sur les supports, les logiciels et les contenus » éducatifs, ce qui pourrait être selon l’institution prévu par le Référentiel général d’interopérabilité (RGI) s’imposant à l’administration – dont la refonte est justement en cours. L’institution demande en outre à ce que la diffusion des ressources éducatives libres, notamment sous licence Creative Commons, soit poussée par les pouvoirs publics.
D’une manière plus générale, le Conseil national du numérique invite même le gouvernement à « imposer l’abaissement des barrières techniques et contractuelles à l’interopérabilité, lorsque cela n’entraîne pas de contraintes ou de coûts supplémentaires prohibitifs, pour permettre l’émergence de services multiplateformes ».
Une « relance des guerres de religion » selon l'AFDEL
Pour les éditeurs de logiciels réunis au sein de l’AFDEL, parmi lesquels figure notamment Microsoft France, ces propositions sont cependant de très mauvais augure. « En réservant l’effet levier de la commande publique aux sociétés de service en logiciel libre qui en assurent le développement spécifique et la maintenance, le CNNum conforte l’erreur historique française qui explique la faiblesse du nombre d’éditeurs français de taille mondiale (Dassault Systèmes est le seul acteur français du Top 20) », déplore l’association. À ses yeux, donner la priorité aux logiciels libres reviendrait à « écarter 90 % des éditeurs de logiciels français de la commande publique sur la base de considérations dogmatiques ».
Du côté de l’Association de promotion du logiciel libre (April), le son de cloche est sans grande surprise bien différent. « Le logiciel libre est l'incarnation informatique de notre devise républicaine, "Liberté, Égalité, Fraternité". Nous encourageons le gouvernement à suivre la recommandation du Conseil national du numérique concernant la priorité à donner au logiciel libre dans la commande publique » a ainsi réagi Frédéric Couchet, délégué général de l'April.
Le gouvernement plus que timide sur ce dossier
Mais que les éditeurs de logiciels propriétaires se rassurent : l’exécutif ne fait guère preuve de volontarisme sur ce dossier. À aucun moment Manuel Valls n’a abordé la question des logiciels libres jeudi, lors de son discours sur la stratégie numérique de son gouvernement. Le dossier de présentation de ce plan d'action évoque bien les logiciels libres, mais dans des termes pour le moins génériques et très peu engageants... « Le gouvernement (...) entend promouvoir le développement et l'utilisation des logiciels libres » peut-on par exemple lire ici, ou bien encore « l'utilisation de logiciels libres sera encouragée en poursuivant la logique de la circulaire [Ayrault] du 19 septembre 2012 ».
« Aucune action précise n'est annoncée » regrette ainsi l’April, pour qui « la place du logiciel libre est trop modeste dans cette stratégie ».