Le projet de loi sur le renseignement sera débattu puis voté par les sénateurs à partir de 16 heures, aujourd’hui. Viendra demain le tour des députés. En toute dernière ligne droite, des amendements ont été déposés pour corriger les points jugés perfectibles par le gouvernement. L'un concerne les non résidents français, l'autre les lanceurs d'alerte.
Parmi les dispositions problématiques, vient en premier lieu la possibilité pour les services spécialisés du renseignement de déployer des outils de surveillance à l’encontre des non-Français ou ceux qui ne sont pas résidents habituels sur le territoire national. Cette exception a été ajoutée la semaine dernière en Commission mixte paritaire (CMP) par Jean-Jacques Urvoas, père du projet de loi. Celui-ci considère qu’à l’égard de ces personnes, l’avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement n’est pas nécessaire.
Comme prévu, le gouvernement entend cependant dégommer ces dispositions dans un amendement déposé avant l’examen final au Sénat. « Si la surveillance de certaines personnes étrangères séjournant temporairement dans notre pays peut se justifier au titre de la sauvegarde des intérêts fondamentaux (…), il n’apparaît pas proportionné » de les priver des procédures préalables précitées.
Il se justifie ainsi : « même si certains déplacements de ces personnes sont inopinés ou parfois dissimulés, ce qui implique de réagir à très bref délai, dès lors que la Commission acceptera de traiter rapidement les demandes d’avis qui lui seront présentées et de faire application, le cas échéant, de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 821-2 (identification de la personne par référence à un lieu par exemple, ndlr), le même niveau de garantie en matière de protection du droit à la protection de la vie privée peut être préservé ». On rappellera que ce même niveau de protection de la vie privée disparait dans le cadre de la surveillance internationale, puisque l’avis préalable de la CNCTR n’est pas requis. Mais ce point ne gêne aucunement le gouvernement, quand bien même elle concernera des émetteurs ou des récepteurs installés en France.
Les lanceurs d’alerte ne pourront révéler de secrets
Par la même occasion, le gouvernement vient modifier l’encadrement dont bénéficiaient les lanceurs d’alerte. Pour mémoire, un agent qui constaterait dans l’exercice de ses missions des « faits susceptibles de constituer une violation manifeste » de la loi, pourra alerter la CNCTR, laquelle pourra dans la foulée saisir le Conseil d’État et même alerter le premier ministre.
Si l’illégalité est susceptible de constituer une infraction, cette commission devra saisir le procureur de la République et transmettre les éléments à la connaissance de la Commission consultative du secret de la défense nationale. Un agent ne pourra ainsi faire l’objet d’aucune sanction « pour avoir porté, de bonne foi » les faits. Inversement, s’il agit par mauvaise foi avec l’intention de nuire « ou avec la connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits », il sera éligible à des sanctions pénales.
Le gouvernement a cependant sorti de son chapeau un amendement venant trucider ce régime. En l'état du texte, un alinéa prévoit en effet que l’agent peut à l’occasion de son témoignage devant la CNCTR, faire état « d’éléments ou d’informations protégés au titre du secret de la défense nationale ou susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnels ou des missions des services »
En effet, sous couvert d’un « amendement de précision », le gouvernement ne veut pas que de telles informations sensibles soient révélées à l'occasion de son témoignage devant la Commission, même si celle-ci est déjà couverte par le secret. Sous quelles justifications ? « Il a été créé un régime permettant aux agents des services de renseignement, témoins de violations manifestes des dispositions prévues par cette loi, d’alerter la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Cet amendement de précision garantit que la sécurité des personnels ne sera pas mise en danger de ce fait, ni le bon déroulement des missions légitimes entravé. » Plutôt donc que de supprimer chirurgicalement la disposition relative à la sécurité des personnels (en vert dans notre capture), le gouvernement a donc préféré tout passer à la trappe (en rouge).
En clair, l’agent pourra témoigner, mais ne pourra révéler d’éléments ou d’informations « protégés au titre du secret de la défense nationale ou susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnels ou des missions des services ». S'il le fait, un gentil parlementaire siégeant à la CNCTR pourra toujours avertir le premier ministre qui prendra les décisions pour remettre la brebis galeuse dans le droit chemin. Dans le cas inverse, la Commission devra deviner les éventuelles violations de la loi au travers de faits édulcorés rapportés par un gentil agent avançant pistolet pénal sur la tempe.