Manuel Valls veut inscrire la neutralité du Net dans la loi

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Droit 7 min
Manuel Valls veut inscrire la neutralité du Net dans la loi
Crédits : Xavier Berne

À l’occasion de la remise du rapport du Conseil national du numérique, Manuel Valls a présenté hier les grandes lignes du futur projet de loi numérique. Au programme, notamment, l’inscription des principes de neutralité du Net et d’Open Data, le renforcement de la protection des données personnelles, etc. Le texte sera dévoilé avant la fin du mois pour que les internautes puissent proposer des modifications.

C’est à un exercice délicat qu’a tenté de se livrer hier le Premier ministre : rassurer et séduire l’écosystème numérique, alors que son gouvernement est depuis plusieurs semaines sous le feu des critiques suite aux discussions autour du contesté projet de loi Renseignement. Comme pour mieux souligner ce décalage, il recevait symboliquement le volumineux rapport du Conseil national du numérique, dont les préconisations furent jusqu’ici très souvent ignorées par l’exécutif... De surcroît, Manuel Valls devait vanter les mérites de la concertation et de la démocratie participative, deux jours à peine après avoir eu à nouveau recours au « 49-3 » pour faire adopter la loi Macron...

Le résultat fut par conséquent guère reluisant. « Même si nous devons pour certaines [propositions] prendre le temps de la réflexion, même si nous ne serons pas d'accord sur tout, nous partageons d'abord le plus important : le constat qu'aujourd'hui notre monde est numérique » a ainsi déclaré le locataire de Matignon en recevant le rapport du CNNum.

Présentant officiellement la « stratégie numérique du gouvernement », le Premier ministre a surtout survolé un éventail de mesures, dont la plupart avaient en fait déjà été annoncées – quand elles ne s’avèrent pas extrêmement floues... Accompagné pour l’occasion du ministre de l’Économie Emmanuel Macron, de la secrétaire d’État au Numérique Axelle Lemaire, de la ministre de la Santé Marisol Touraine et de la nouvelle secrétaire d’État en charge de la Réforme de l’État, Clotilde Valter, le chef du gouvernement a décliné un plan d’actions en quatre axes, qui se veulent comme autant de piliers d’une « République numérique » : Liberté d’innover, Égalité des droits, Fraternité d’un numérique accessible à tous, et Exemplarité d’un État qui se modernise.

Diffusion libre des données de recherche

Évoquant tout d’abord la question de l’innovation, Manuel Valls a sans surprise vanté la French Tech, le plan « Industrie du futur », etc. Le chef du gouvernement a ensuite annoncé que « la diffusion de l'innovation sera rendue plus fluide, que ce soit par le libre accès aux publications de recherche ou par la promotion des licences libres ». Si le Premier ministre ne s’est pas davantage avancé sur le sujet, le dossier de presse du gouvernement indique qu’il s’agira de permettre à « tout chercheur qui le souhaite » de « rendre librement accessible ses articles scientifiques, au terme d’une durée raisonnable après publication ». Sans parler du fait qu’aucun calendrier n’est précisé, on est bien loin de la recommandation du CNNum, qui demandait à ce qu’une loi introduise une obligation légale de publication ouverte pour les travaux de recherche bénéficiant de fonds publics...

La neutralité du Net gravée dans la loi française

Sur l’épineux dossier de l’égalité des droits, Manuel Valls a commencé par faire valoir qu’il y avait eu selon lui « un avant et un après Snowden, incontestablement ». « Le monde, d'une certaine manière, a pris conscience du potentiel du numérique, d'Internet, mais aussi des dangers. C'est la raison pour laquelle nous avons été très à l'écoute autour du texte sur le renseignement » a-t-il poursuivi. 

« Je souhaite inscrire dans la loi (...) une définition claire de la neutralité du Net, qui assure à tous un même accès aux réseaux des opérateurs », a embrayé le Premier ministre, sans que l’on comprenne très bien le lien avec Edward Snowden. Alors que l’Union européenne cherche encore un consensus pour imposer ce principe au sein des Vingt-Huit, le locataire de Matignon s’est laissé convaincre par sa secrétaire d’État au Numérique, qui suggérait de longue date d’agir sans attendre au niveau national.

Mais les débats ne font que commencer. « Cette définition, nous la construirons avec vous, pour permettre à chacun de continuer à innover, créer sa start-up, et pourquoi pas – certains l'ont fait – de devenir un géant du numérique depuis son garage » a expliqué Manuel Valls. Tandis que le Conseil national du numérique proposait de reprendre l’ambitieuse définition retenue en avril 2014 par le Parlement européen – qu’ont d’ailleurs combattues les autorités françaises – l’exécutif semble manifestement vouloir suivre une autre piste.

S’agissant de la régulation des Google, Facebook et autres Booking ou Expedia, Manuel Valls a déclaré qu’il fallait « définir de nouvelles obligations » au niveau européen, comme l’avaient réclamé Emmanuel Macron et Axelle Lemaire auprès de la Commission. « Nous devons d'ores et déjà envisager des dispositions en droit français pour garantir aux utilisateurs une information non biaisée et des pratiques de référencement claires, a annoncé le Premier ministre. Nous pourrons ainsi améliorer, de manière bien sûr réfléchie, concertée, les dispositions introduites au Parlement pour réguler les plateformes [via la loi Macron, ndlr]. »

Renforcement de la protection des données personnelles

Quant aux données personnelles, le locataire de Matignon a indiqué que celles-ci devaient être « protégées pour que les utilisateurs puissent décider de leur devenir, y compris quand elles sont transférées d'un service à un autre ». Une façon de faire comprendre que le gouvernement soutiendra, tant au niveau européen que français, la mise en place d’un droit à la portabilité des données. Les actions envisagées sont cependant bien plus larges, puisque le dossier de presse de l’exécutif confirme de nombreuses pistes régulièrement mises en avant : autodétermination informationnelle, action collective en matière de protection des données personnelles, renforcement du pouvoir de sanction de la CNIL, etc.

Un « droit au maintien de la connexion » Internet

Passant sur le troisième pilier, celui de la « Fraternité », Manuel Valls a insisté sur le fait que l’État se devait d’assurer « une couverture numérique complète du territoire ». Cela passera bien entendu par le plan Très Haut Débit, mais aussi par les récents accords visant à ce que l’ensemble des communes françaises soient couvertes en téléphonie mobile avant la fin de l’année prochaine.

« Pour assurer l'accès de tous à Internet, je souhaite que nous travaillions avec les opérateurs à un droit au maintien de la connexion pour les personnes en situation financière difficile » a annoncé le Premier ministre, toujours sans plus de détails. Avant de se justifier : « Garder sa connexion est en effet primordial pour mener ses recherches d'emploi et tout simplement rester connecté aux autres. »

Dans le même rayon, le chef du gouvernement a évoqué le plan pour le numérique à l’école, qui commencera à être déployé la rentrée prochaine, ou bien encore l’expérimentation prochaine d’un « compagnon digital pour les personnes âgées ».

Inscription du principe d’Open Data dans la loi

Sur le dernier volet, celui de l’exemplarité de l'État, Manuel Valls a déclaré vouloir renforcer la « politique de mise à disposition des données publiques en inscrivant dans la loi le principe d'Open Data par défaut ». Plus exactement, le dossier de présentation indique qu’il s’agira de « confirmer dans la loi les principes d’accès et de réutilisation de manière libre et gratuite des données publiques ». La création d’un nouveau statut de « données d’intérêt général » est également annoncée par ce document, l’objectif étant de contraindre certains acteurs privés à partager des informations précieuses pour le public (environnement, santé, transports...).

Une version « bêta » avant la fin du mois

« Beaucoup de mesures que je viens de vous présenter formeront le socle de notre projet loi sur le numérique » a conclu Manuel Valls. Pour résumer, devraient y être inclus les principes d’Open Data et de neutralité du Net, les mesures concernant la protection des données personnelles, l’introduction des « données d’intérêt général », notamment. Le chef du gouvernement a annoncé que le texte serait « mis en ligne prochainement dans sa première version – ou version bêta, pour parler comme vous. Chacun pourra ainsi proposer ses compléments ou ses modifications, qui seront étudiés par les ministères avant transmission du texte final au Conseil d'État ». Un élan en faveur de la démocratie participative qui risque cependant de retarder (encore une fois) la présentation de ce projet de loi en Conseil des ministres...

Interrogée par nos soins, Axelle Lemaire a précisé que son projet de loi serait mis en ligne « avant la fin du mois de juin » et qu’il resterait ouvert aux commentaires « pendant tout l'été ». S’ouvrira ensuite une période de consultation des autorités administratives indépendantes (ARCEP, CNIL...), avant que le Conseil d’État ne soit saisi et que le texte puisse enfin être présenté en Conseil des ministres. « Nous avons donc encore du chemin à parcourir » a d’ailleurs reconnu le Premier ministre. « L'idée c'est bien de l'inscrire dans la prochaine session [parlementaire], cet automne » a-t-il néanmoins insisté, suite à notre question.

Rappelons à toutes fins utiles que ce texte était initialement censé être dévoilé « début 2014 au plus tard », et que le gouvernement promettait il y a encore quelques mois de le présenter devant le Parlement durant le premier semestre 2015, le numérique étant (soi-disant) une de ses priorités...

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