La semaine dernière, sur recommandation d’Emmanuel Macron, les députés ont supprimé l’amendement, voté plus tôt au Sénat, visant à réguler au cordeau les plus puissants des moteurs de recherche. Dans le même temps, ils ont adopté, contre l’avis de Bercy cette fois, un texte de régulation de l’e-commerce français. Il n’en fallait pas plus pour provoquer la colère de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad).
Dans le cadre de l’examen en commission spéciale du projet de loi sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances, le ministre a jugé l’amendement anti-Google comme probablement inconstitutionnel. Il craint en effet « une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre », d’autant que ce dossier ne doit se traiter qu’à Bruxelles et uniquement sous l’angle du droit de la concurrence. Or, si « nous connaissons donc le bon point d’entrée – le droit de la concurrence –, le bon niveau d’action – le niveau communautaire, capable d’imposer des contraintes – et le bon acteur à cibler – Google. La rédaction sénatoriale ne permet rien de tel. »
L’amendement, qui fut porté notamment par la sénatrice UDI Catherine Morin-Desailly, envisageait d’armer l’ARCEP pour contraindre tout moteur ayant « un effet structurant sur le fonctionnement de l’économie numérique » à une série de règles : placarder sur sa page d’accueil des liens vers trois autres moteurs de recherche « sans lien juridique avec cet exploitant », décrire les « principes généraux de classement ou de référencement proposés », tout en s’interdisant d’obliger « un tiers proposant des solutions logicielles ou des appareils de communications électroniques à utiliser, de façon exclusive, ledit moteur de recherche pour accéder à Internet ».
Adieu l'amendement anti-Google, bonjour celui sur le e-commerce français
Les députés de la commission spéciale ont donc adopté l’amendement de suppression signé Lionel Tardy. Seulement, contre l’avis du gouvernement cette fois, ils ont adopté une autre disposition déposée par les rapporteurs du texte.
Essentiellement, elle compte imposer à tous les intermédiaires qui mettent en relation des personnes, à « délivrer une information loyale, claire et transparente sur les conditions générales d’utilisation du service d’intermédiation, et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne ». Des obligations similaires sont programmées pour les marketplaces. Tous ces acteurs devront en outre prévoir un espace sur leur site où seront communiquées aux consommateurs les informations précontractuelles aux prestations et ventes de biens proposés (voir l'amendement).
Si le gouvernement s’y est opposé (après l'avoir un temps envisagé), c’est parce qu’Emmanuel Macron aurait préféré que le sujet soit abordé cette fois dans le cadre de la loi numérique. « Je préfère inscrire la disposition dans un ensemble législatif qui traitera le sujet dans sa globalité ». Sans cesse reportée, cette grande loi sur le numérique serait, promis, juré, programmée d’ici la fin de l’année.
Un tel projet de report a été critiqué par le camp socialiste lui-même. Corinne Erhel, d’abord : « Attendre la loi sur le numérique nous conduirait à différer la prise de décision de plusieurs mois ». Richard Ferrand, l’un des rapporteurs du projet de loi : « Il faut éviter la procrastination ». Enfin, Jean-Yves Caullet : « Cet amendement me paraît cohérent ; montrant notre volonté d’agir, il permettra d’accélérer l’émergence d’un cadre européen. En somme, il représente un signal important à envoyer au secteur. »
Seuls finalement deux députés du groupe Les Républicains ont rejoint les arguments défendus par Emmanuel Macron. « L’échéance étant désormais très proche, mieux vaut attendre trois mois plutôt que de légiférer aujourd’hui » considère Lionel Tardy. Même analyse de Patrick Hetzel : « En 2011, les pays de l’OCDE – dont la France – ont adopté une recommandation sur la régulation des acteurs d’internet, qui souligne la nécessité d’une approche prudente. À vouloir aller trop vite, on met le secteur en danger. »
En vain : le texte sur la régulation des plateformes a été voté le 10 juin dernier. On le voit donc, entre le Sénat et l’Assemblée nationale, on est passé d’une régulation des moteurs (américains) à un encadrement de l’e-commerce français. Pas étonnant donc que ce virage ait suscité l’agacement de la Fevad.
La colère de la Fevad
Selon la fédération de la vente à distance, cette disposition va pénaliser directement les entreprises françaises, notamment celles qui se lancent sur le créneau des marketplaces, ces mégaboutiques en ligne qui accueillent d’autres commerçants. « Alors même que les experts s’accordent sur l’importance des "marketplaces" pour le secteur du e-commerce qui, aujourd’hui, représente plus de 100 000 emplois, l’amendement en question a été déposé le lundi 8 juin, soit 24 heures à peine avant le début de l’examen du texte. »
C’est donc d’abord la méthode qui surprend : « Aucune audition n’a été organisée sur le sujet, si bien que le texte a été élaboré en dehors même de toute consultation des entreprises concernées ou de leurs représentants, ni avis de la part du Conseil National du Numérique ». La Fevad ne comprend pas un tel empressement : « Le Gouvernement prépare pour la rentrée prochaine un projet de loi sur le numérique, au cours duquel la question de la régulation des plateformes pourrait parfaitement trouver sa place, tout en laissant le temps de la concertation ». De même, « le ministre de la Consommation vient tout juste de saisir le Conseil National de la Consommation d’une demande d’avis sur les plateformes collaboratives ». Enfin, « la mesure en question intervient quelques jours à peine après le lancement par la Commission européenne du "Digital Single Market Strategy" qui pourrait servir de vecteur à une régulation européenne. »
Sur le fond, la Fevad dézingue spécialement l’inadaptation du fameux amendement. Et pour cause, les obligations qu’il impose ne seraient que réservées à l’espace national, inapplicables donc aux géants notamment asiatiques : « Loin de clarifier les obligations des « marketplaces », ces nouvelles dispositions franco-françaises vont, au contraire, créer une insécurité juridique sans précédent pour les acteurs nationaux, soumis à une concurrence internationale de plus en plus forte. Les adopter revient purement et simplement à entériner un texte au contour flou et imprécis, alors que, pour une effectivité de la loi, elle se doit d’être facile d’accès et simple d’application ». Autre chose, « ces dispositions contreviennent également au secret des affaires en imposant à certains acteurs de devoir dévoiler leurs algorithmes et ainsi fragiliser leur propriété intellectuelle et brevets déposés. »
Il reste cependant une porte de sortie : le projet de loi sera débattu en séance entre le 16 et le 24 juin 2015, une bonne occasion pour porter un nouvel amendement de suppression.