Après de nombreuses demandes et plusieurs semaines d’attente, la Hadopi a bien voulu répondre à nos sollicitations (ou presque). Elle nous a transmis une partie des documents afférents à ses appels d’offres sur l’informatisation du système cible de la réponse graduée.
Ces documents n’avaient pas été diffusés par la Hadopi via le Bulletin officiel des Annonces des Marchés Publics, ni sur le site de la Place de Marché Interministérielle. Après une pluie de courriers insistants, la Rue du Texel a finalement décidé de nous transmettre le cahier des clauses particulières (CCP) du marché « d'assistance à la maîtrise d’ouvrage pour la version cible du système d’information utilisé dans le cadre de la réponse graduée » (PDF). Et le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) pour le marché de mise en oeuvre de ce système (PDF) .
Ce système est désormais en vigueur depuis l’août 2012, mais ces documents restent importants : ils montrent que derrière ses murs, depuis l’envoi du premier courriel en octobre 2010, la Hadopi est bien montée en puissance pour être aujourd’hui en surcapacité. En janvier 2011, Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la Commission de protection des droits, promettait d'ailleurs que bientôt « Hadopi n’aura plus de limite ». En mars 2011, nous dévoilions que son futur système informatique devait à terme absorber 200 000 saisines/jour.
Les ayants droit de la musique et ceux de l’ALPA - pour l'audiovisuel - transmettent chacun jusqu’à 25 000 dossiers par jour, conformément aux autorisations accordées par la CNIL. La Hadopi peut donc englober toutes ces demandes sans difficulté. Alors pourquoi ces 200 000 ? Comme nous le pointions dans un récent rapport parlementaire sur les autorités administratives indépendantes, la Hadopi anticipe l’arrivée des ayants droit du jeu vidéo pour justifier ce décloisonnement. Elle prévoit d’ailleurs d’adresser 1,1 million d’avertissements pour la seule année 2013, soit près de 40% en plus qu’en 2012.
Capacités décuplées
Les documents révélés aujourd’hui apportent d’autres enseignements. La Hadopi précise que la version prototype du système d’information en place durant les premiers mois ne permettait de traiter qu’une volumétrie dix fois inférieure à la volumétrie cible. Avec son nouveau système, on décuple donc les traitements.
Ce nouveau système est global. Chacune des étapes de la riposte graduée est dorénavant gérée informatiquement de A (réception des saisines des ayants droit) à Z (transmission au parquet). Le système cible peut notifier aux FAI la peine complémentaire de suspension à un service de communication en ligne, mais encore informer le casier judiciaire de l’exécution de la mesure de suspension, sans oublier gérer l’archivage des dossiers.
Ce nouveau système informatique est élastique : il est capable de s’adapter aux changements législatifs et réglementaires très rapidement. « Les évolutions législatives et réglementaires à prévoir sur la thématique imposent au SI de l’Hadopi d’intégrer très en amont des considérations de souplesse de manière à pouvoir rapidement réaligner le système d’information sur le processus métier en cas de besoin ». Pour connaître les évolutions législatives qui résonnent actuellement dans la tête des ayants droit, il suffit de tendre l’oreille sur la mission Lescure. Nombreux sont ceux qui veulent armer la Hadopi d’une capacité de déréférencement (SNEP, SPPF, l’APC). Comme exposé encore dans nos colonnes, un logiciel a même été élaboré par l’ALPA et TMG afin de traquer la réapparition de sites une première fois déréférencés (ou bloqués).
Mais la Hadopi n’évoque pas ouvertement ce futur-là, ni même son logiciel LinkStorm. L’important est maintenant « de fluidifier l’ensemble des échanges entre les différents interlocuteurs de l’Hadopi et d’intégrer un volet transactionnel efficace, à même de gérer et d’archiver les importants volumes de données transitant par les interfaces entrantes et sortantes du SI de l’Hadopi ».
Le contraire du contraire d’un système automatisé
La Hadopi a toujours combattu devant les micros le fait d’être un système automatisé. En juin 2011, Eric Walter affirmait qu’avec la Haute autorité, « on est dans le contraire absolu d’un système automatisé ». Dans les documents (non publics) de ses marchés (publics), la Hadopi égratigne quelque peu l'affirmation : elle « souhaite limiter au maximum le traitement manuel de saisine afin d’éviter les risques d’erreur et de disposer de plus de temps pour le traitement de tâches à plus forte valeur ajoutée ». Et pour bien insister, elle ajoute : « automatiser la collecte, le traitement, la synthèse des informations est donc un enjeu majeur. » Hadopi est donc le contraire absolu d’un système automatisé, mais automatiser le traitement est un enjeu majeur.
Base de données
Qui dit traitement, dit base de données. Le document donne des informations sur le contrat d’hébergement du prototype en vigueur les premiers mois de la riposte graduée. En version alpha, il représentait les volumétries suivantes : « taille des bases de données 59 Go environ dont BDD principale 58 Go, BDD Perso 875 Mo, BDD Stat (reporting) : 14 Mo ; taille moyenne d’une saisine environ 1,6 Mo avec des pics réguliers à plusieurs centaines de Mo. Le débit maximum est de 50 Mbits pour chaque VPN (4 au total) ». Autre détail, sur le seul mois d’avril 2011 : « les données transférées s’élevaient à 60 Go en moyenne par jour (40 Go min, 117 Go max). »
S’agissant du système cible, tout change puisque, disions-nous, les capacités sont décuplées. Le système sera donc « capable de recevoir 200 000 saisines par jour des ayants droit » mais il pourra aussi « traiter l’intégralité des procédures de réponse graduée sur la base de ces saisines en fonction des critères de traitement et décisions de la CPD. » Comme on cueille des fleurs, la CPD pourra donc piocher dans la base des abonnés avertis et concentrer son attention sur tels ou tels dossiers ou œuvres ou volumétrie, en toute indépendance.
Des milliers d’envois postaux chaque jour, à terme
Ce n’est pas tout. La Hadopi a aussi automatisé son système d’envoi des courriers avec à la clef matériel d’impression, de mise sous pli et d’affranchissement. On est loin des premiers temps. En 2010 et 2011, la méthode consistait « à envoyer manuellement les courriers ».
Une situation qui ne pouvait durer avec l’incrustation de la riposte graduée dans le paysage et la montée en puissance de la réponse graduée. « La Direction de la Protection des Droits génère au moins douze flux de courriers postaux, qui selon diverses évaluations pourront représenter à terme plusieurs milliers d'envois par jour. » Plusieurs milliers par jour ? Dans les scénarios de l’appel d’offres, la Hadopi envisage en fourchette haute 5 000 courriers postaux chaque jour. Une pièce de très exactement 23,45 m² est d’ailleurs réservée rue de Texel pour accueillir cette catapulte à lettres recommandées.
Mais attention. Crise oblige, la Hadopi a ses petites astuces pour éviter de s’appauvrir en enrichissant la Poste. Elle veut du volume répressif, mais aussi des tarifs régressifs. Elle envisage ainsi « de stocker informatiquement les courriers avant de les expédier pour bénéficier des tarifs réduits d'envoi à partir de 1001 courriers ou décider de les envoyer à l'issue d'un délai maximum de rétention des courriers, si le stock n'atteint pas les 1001 courriers. »