Hier, le rapporteur public a considéré que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par La Quadrature du Net, French Data Network (FDN) et la Fédération des Fournisseurs d’accès à internet associatifs (FFDN) méritait une transmission au Conseil constitutionnel (notre compte rendu). La balle est maintenant dans le camp du Conseil d’État qui, s’il n’est pas lié par ses conclusions, les suit généralement. Nous avons interrogé en sortie d’audience Me Patrice Spinosi, l’avocat des requérants.
En 2013, lors des débats du projet de loi Programmation militaire, la Quadrature du Net, la FDN et la FFDN n’avaient eu de cesse de dénoncer les flous du régime français de la surveillance des réseaux. Malheureusement, ni les parlementaires, ni le gouvernement n’ont souhaité les faire examiner par le Conseil constitutionnel.
En avril 2015, ces mêmes acteurs ont donc soulevé une question prioritaire de constitutionnalité visant à contrôler le dispositif désormais appliqué. Une première étape importante s’est déroulée hier au Conseil d’État. Pour mémoire, dans les contentieux avec l’État, celui-ci est chargé de jauger notamment du caractère « sérieux » des QPC avant de les transmettre au Conseil constitutionnel.
Hier, à Paris, le rapporteur public a lui aussi considéré que cette fameuse LPM souffre de brèches. En effet, elle autorise d’une main les services du renseignement à avaler quantité de données (les « informations et documents ») dans les bras des acteurs du Net et des télécoms sur simple « sollicitation » de leur réseau. Dans l’autre, elle ne protègerait pas assez les professions à risques, à savoir les avocats et les journalistes dont les sources sont potentiellement malmenées. C’est ce dernier point qui suscite dans son esprit le plus d’interrogations. De par sa fonction - recommander des solutions de droit au Conseil d’État - il lui suggère donc de transmettre l'ensemble du dossier aux neuf sages de la rue Montpensier. L'affaire est un beau grain de sable pour le projet de loi sur le Renseignement, débattu à partir d’aujourd’hui au Sénat. En effet, ce dernier amplifie la surveillance initiée par la loi de programmation militaire, en s’appuyant à plein régime sur ses rouages. En sortie d’audience, nous avons recueilli les impressions de Me Spinosi, avocat de la Quadrature du Net, FDN et FFDN.
Quelle analyse faites-vous des conclusions du rapporteur public ?
Ce sont des conclusions à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, comme on pouvait l’espérer. Il s’arrête tout particulièrement sur la question des atteintes aux secrets, celui des avocats et des journalistes, et c’est évidemment l’un des points centraux de la QPC qui a été déposée. Il considère que ces éléments sont sérieux, que les temps ont changé et qu’aujourd’hui, l’utilisation des données est devenue quelque chose de courant et particulièrement attentatoire aux libertés. Pour l’ensemble de ces raisons, il suggère que le Conseil constitutionnel puisse se prononcer sur cette question de société, qui est la possibilité aujourd’hui pour l’administration de saisir et conserver des données personnelles.
Pour autant, le rapporteur a considéré qu’il n’y avait pas de difficultés sur les notions d’« informations et documents » et de « sollicitation du réseau ». Avez-vous été convaincu par sa démonstration ?
Pas forcément. Il estime que la loi est suffisamment précise par référence à d’autres dispositifs. Or, la loi, en elle-même, ne l’est pas et il est forcé de le reconnaître. C’est peut-être d’ailleurs la raison pour laquelle, quand bien même il considère que ces questions à elles seules ne justifieraient pas une transmission, il conclut pourtant qu’il convient de transmettre la totalité de la question y compris cette difficulté relative à la précision du texte de la loi. S’il est suivi, comme on peut l’espérer, il appartiendra au Conseil constitutionnel d’apprécier cette argumentation. Celui-ci sera donc appelé à juger de la totalité des arguments de cette QPC sans que le Conseil d’État puisse faire le filtre à cet égard.
Dans l’agenda, comment va s’articuler cette possible saisine avec celles prévues pour la loi sur le Renseignement, promise par le Président de la République et les députés ?
Il est certain que la saisine par voie de QPC va avoir une influence directe sur ces autres saisines puisque l’ensemble des arguments présentés dans notre cadre ont été jugés sérieux et leurs auteurs seraient donc bien avisés de les reprendre. Évidemment, il y aura une imbrication. Le rapporteur public a évoqué la possibilité que ces saisines soient traitées en même temps ce qui permettrait au Conseil constitutionnel de statuer tout à la fois sur la QPC, qui lui serait envoyée, et sur la saisine de l’exécutif et des parlementaires. Cela aboutirait à ce qu’il y ait un débat général au Conseil constitutionnel sur ces questions relatives aux interceptions et à la conservation des données. Cette conjonction est une première, elle donnerait lieu potentiellement à un traitement global sur les deux formes, a priori et a posteriori, dont le Conseil constitutionnel peut être aujourd’hui saisi.
Les sénateurs socialistes ont déposé plusieurs amendements visant à remplacer justement l’expression « informations et documents » par celles de « données de connexion » (notre actualité). Êtes-vous d’accord avec cette substitution ?
Il est certain qu’il y a une maladresse de rédaction de la part de la loi. Le rapporteur public, dans ses conclusions, l’a aussi relevé : s’il n’en déduit pas qu’il y pourrait y avoir pour lui un doute sur la portée exacte de la loi, il pourrait y avoir utilement une réserve d’interprétation. Potentiellement donc, le Conseil constitutionnel, puisqu’il est susceptible d’être saisi de cette question aussi, pourrait même ne pas entrer en voie d’annulation, mais au moins, faire une réserve d’interprétation pour bien limiter cette définition des « informations et documents » dans le sens de ces amendements.
Cette précision est nécessaire, mais elle peut venir soit de la loi elle-même, c’est l’hypothèse de l’amendement, soit de la décision d’une cour suprême. Ce serait évidemment le cas s’il y avait une réserve d’interprétation soit du Conseil constitutionnel soit dans le cadre d’une décision à venir de la part du Conseil d’État.
Merci Me Spinosi.