Dans le cadre du projet de loi renseignement, les sénateurs PS critiquent, sans doute à raison, la brèche ouverte par les mesures de surveillance internationales. Selon eux, en raison de deux lettres (« ou »), les services pourraient en effet surveiller plus facilement les Français, avec moins de contrôle. C’est ce qu’ils expliquent dans un amendement.
C’est un versant malheureusement moins connu du projet de loi Renseignement dans les médias : le périmètre international des mesures de surveillance. Revenons donc dessus. Le futur article L. 854-1, programmé par le projet de loi, veut permettre un tel déploiement à la condition qu’une communication soit « émise ou reçue de l’étranger ». Ceci vérifié, et à condition que « les intérêts de la Nation » soient en jeu, les services peuvent alors mener un grand nombre d’opérations intrusives (défensives ou offensives). Voilà quelques jours, en commission sénatoriale, Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense, s’est félicité d’un tel formalisme : « Jusqu’à présent, aucun texte législatif n’encadrait les captations de renseignements sur des cibles situées à l’extérieur du territoire national. »
Un contrôle en retrait à l'international
Mais quelles différences existe-t-il entre une mesure de surveillance française et une surveillance internationale ? À l’international, la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (la CNCTR, dans le jargon), futur contrôleur de ces activités administratives, n’interviendra plus en amont comme dans les opérations strictement françaises. Cette CNCTR ne mettra en effet son nez dans les renseignements collectés qu’en aval, une fois le mal potentiellement fait à la vie privée pour un nombre incalculable de personnes. Et encore, son rayon d’action est très resserré puisque toujours à l’international, elle est privée de tout accès permanent et direct aux renseignements collectés.
Toutefois, puisque rien n'est simple dans ce projet, il y a des finesses. Son contrôle redevient théoriquement plus nerveux notamment dès lors qu’une correspondance écoutée renvoie en définitive à un numéro d’abonnement ou un identifiant technique rattachable au territoire national (on pourra relire, à ce titre, notre actualité).
Mais un tel encadrement ne satisfait pas complètement : imaginons un Marseillais utilisant un site étranger ou cet alsacien qui s’abonne à un service VPN proposé par un prestataire brésilien. Jusqu’à ce que les services s’aperçoivent de leur localisation, s’ils le peuvent, n’est-on pas face à une communication « émise ou reçue de l’étranger » ? C'est la question que nous nous posons depuis plusieurs semaines : ces brèches peuvent faire craindre chez les anxieux quelques « barbouzeries » d'autant qu'à l'extérieur de nos frontières, les agents pourront pirater informatiquement sans la moindre crainte. D'ailleurs, l'ARCEP elle-même a considéré qu'il sera parfois « délicat pour les opérateurs de déterminer de manière suffisamment certaine le régime dont relèvent les communications internationales émises ou reçues sur le territoire national ». Bref, des Français risqueraient d'être embarqués dans cette procédure exceptionnelle, sans profiter des garanties des communicatinos purement françaises.
Les sénateurs PS veulent remplacer « ou » par « et »
Avec leur amendement 161, les sénateurs PS partagent visiblement cette inquiétude. Ils veulent s’attaquer à cet angle mort, en prenant pour cible... deux petites lettres du projet de loi. Ils proposent en effet de remplacer communication « émise OU reçue de l’étranger » par communication « émise ET reçue de l’étranger ». Cette subtile substitution pourrait avoir des effets très contrariants pour les services, et très bénéfiques pour les adversaires du projet.
Leur « exposé des motifs » est lumineux pour le comprendre : « la très grande majorité des communications des Français peuvent être considérées comme étant "émises ou reçues à l’étranger". Il suffit par exemple qu’une boite mail soit hébergée sur un serveur situé à l’étranger pour que les communications qui en émanent relèvent de cette catégorie » affirment-ils à leur tour. Ils ont ainsi parfaitement senti la fenêtre ouverte par l’expression « ou ». Pour eux, il est même à craindre que les règles actuelles ne viennent limiter « le pouvoir de contrôle de la CNTCR pour ce qui constitue potentiellement la très grande majorité des communications des citoyens ». Ambiance ! Bref les mesures d’encadrement louées par Bernard Cazeneuve et les autres membres du gouvernement pourraient finalement être contournées grâce à cet innocent petit « ou ».
Blinder le pouvoir de contrôle de la CNCTR
Pour le groupe PS au Sénat, il est maintenant impératif « de limiter le régime associé à la surveillance internationale en optant pour une définition plus stricte. La formulation "émises ou reçues" soustrait à la CNTCR la possibilité d’assurer son pouvoir de contrôle de droit commun sur toute communication dirigée hors du territoire national et / ou provenant hors du territoire national », insistent-ils. Au contraire, avec leur rustine, « la formulation "émises et reçues" permet à la CNTCR d’assurer son pouvoir de contrôle de droit commun lorsque la communication est dirigée vers le territoire national et / ou provient du territoire national ». Voté ou non la semaine prochaine, lors des débats au Sénat, l’avantage de cet amendement sera évidemment de faire sortir du bois le ministre de l’Intérieur, et espérer un train d'explications.