Projet Ara : comment Google vous vendra son smartphone en kit

Avec des partenaires impliqués mais silencieux
Mobilité 10 min
Projet Ara : comment Google vous vendra son smartphone en kit
Crédits : Tijana87/iStock/Thinkstock

Avec son smartphone modulaire, Google compte chambouler le marché du mobile, en coupant l'herbe sous le pied des constructeurs classiques, comme Apple et Samsung. Un test pilote doit avoir lieu à Puerto Rico cette année. Mais comment, concrètement, le groupe californien compte-t-il modifier nos habitudes d'achat ? C'est ce que nous avons cherché à comprendre dans ce second volet de notre analyse du projet Ara.

Le projet Ara, un smartphone avec une dizaine d'emplacements pour insérer les modules de votre choix, n'est pas qu'une démonstration technique, mais aussi un essai commercial. Comme nous l'expliquions dans le premier volet de notre analyse, le groupe ATAP, qui développe le smartphone, a deux ans pour fournir un téléphone fonctionnel au public, qui puisse être utilisé comme un modèle classique, avec un embonpoint de quelques millimètres. C'est la partie la plus visible du défi que s'est lancé Google : réussir à concevoir un nouveau type de smartphone, avec des technologies qui n'ont pas été utilisées jusqu'ici sur mobile.

Pourtant, la finalité n'est pas là. Le but pour Google, au bout des deux ans impartis au projet, est d'obtenir un produit viable commercialement, qui permette au groupe de développer un nouveau marché des smartphones, des modules et (pourquoi pas) des accessoires. Le groupe californien ne vise d'ailleurs pas vraiment les pays développés, mais ceux en développement, où l'usage d'Internet passe majoritairement par les mobiles. Avec une base (un endosquelette) à quelques dizaines de dollars et des modules qui ne devraient pas dépasser ce prix, ces smartphones doivent à la fois répondre à tous les besoins (même les plus farfelus) et laisser libre cours à l'imagination de l'utilisateur.

L’un des points forts des smartphones Ara est la personnalisation, jusqu’aux coques des modules, sur lesquels sont imprimables toutes sortes d’images. Pour y arriver, Google pensait se tourner vers 3D Systems, un concepteur d’imprimantes 3D « 50 fois plus rapides que les actuelles » capable d’imprimer finement des motifs, avec une finition brillante. Depuis les premières annonces, il est acquis que 3D Systems aurait la charge des coques, jusqu’à une interview de Paul Eremenko de Google en octobre, où il a expliqué que l’impression 3D n’était pas encore suffisamment au point. Le groupe optera en principe pour des coques de modules interchangeables, pour pouvoir revoir le look des smartphones sans en modifier les composants.

Google : une communication fermée, mais un portefeuille ouvert

Ce n’est donc pas 3D Systems qui a annoncé la nouvelle, mais Google lui-même. Le groupe tient fermement la communication autour de son concept. Pour s’en rendre compte, il suffit de contacter les partenaires, qui craignent de répondre aux journalistes en dehors des périodes prévues. « Google garde la main sur ce projet, sur la communication et le timing. Il nous a demandé de ne plus communiquer » nous explique l'un d'eux, interrogé en mars. Chez d'autres, beaucoup de réponses se résument simplement à « Demandez à Google » quand les questions deviennent spécifiques. Contacté, le groupe n'a par contre pas souhaité répondre à nos questions.

Ce qu’il contrôle en sortie, Google le laisse aisément entrer, tant le besoin de donner de l’élan au projet est fort. Lors de sa première conférence pour les développeurs, la DevCon 1 en avril 2014, l’équipe a lancé un concours pour développeurs. L’objectif : concevoir des modules aux fonctions inédites sur smartphone, qui seraient utilisés quotidiennement par les mobinautes, avec 100 000 dollars à la clé. Google leur fournit un kit de développement de modules (MDK) et ses spécifications, un design de référence et des circuits pour le développement.

Les participants ont eu un an pour soumettre leurs projets, de préférence avec un prototype fonctionnel. En janvier, le groupe ATAP expliquait avoir reçu 75 propositions, dont à peine un tiers remplissait le critère d’usage quotidien, et aucun n’a pu fournir de prototype. Les résultats devaient être publiés le 1er mai, même s’ils tardent encore à sortir.

Les modules seront d’abord uniquement distribués par Google, via ses canaux officiels. Lesdits modules seront validés par le groupe américain avant d’être distribués. À terme, Google prévoirait d’ouvrir Ara à des modules non officiels, fournis par des magasins tiers. La logique serait la même que celle du Play Store : de base, seul le Play Store peut installer des applications sur un appareil, mais il suffit de cocher une case dans les paramètres pour l’ouvrir à des sources tierces.

Un lancement à Puerto Rico courant 2015, qui se veut « social »

Concrètement, les premiers smartphones Ara doivent être lancés avant la fin de l’année lors d’une sortie pilote à Puerto Rico, un État non incorporé des États-Unis. Google y distribuera son smartphone dans des camions itinérants, inspirés des « food trucks », à la manière du tour « MAKEwithMOTO » de 2013. Ce tour du pays, régulièrement cité par le groupe ATAP, est à l'origine de nombreuses idées de conception du projet, notamment la personnalisation très poussée des modules. La société compte sur Puerto Rico pour l’aider à affiner sa stratégie, en vue d’un lancement mondial. 90 % des habitants disposent d’un portable, qui est devenu le premier accès au Net pour 76 % d’entre eux. Un terrain idéal pour tester Ara, qui espère couvrir toutes les gammes.

Projet Ara Camion Puerto Rico
Crédits : Google ATAP

« Nous devons régler le paradoxe du choix : les consommateurs aiment le choix, mais une fois qu'on le leur présente, ils sont stressés et ont du mal à prendre une décision » affirmait Paul Eremenko en janvier. Le lancement pilote doit aider à déterminer les prix de l’endosquelette, des modules, d’un appareil entier et à identifier les blocages dans l’achat. Ils souhaitent aussi tester certains comportements, comme le changement de module à chaud (une grosse part du travail technique) ou encore l’émergence d’un marché de modules d’occasion. Puerto Rico étant un territoire américain, Google compte enfin dessus pour travailler à la certification d’Ara par le régulateur des télécoms, la FCC.

L'équipe pense commencer son opération par San Juan, la capitale, en y proposant de 20 à 30 modules. D’autres camions seront ensuite déployés dans d’autres villes. L’entreprise compte attirer les clients en jouant la carte du « social », par exemple via du Wi-Fi gratuit. Elle s’associera à deux opérateurs locaux, Open Mobile et Claro Puerto Rico (une filiale d’America Movil) pour les forfaits.

La société compte également faire du choix des composants une expérience « sociale », grâce aux conseillers du camion ou des boites « type bento » avec des emplacements vides pour y insérer chaque module. Le camion propose surtout d’imprimer ses propres images sur les modules, via une imprimante à sublimation. Ou alors, plus simplement, Google composera des smartphones déjà prêts, selon les assemblages les plus populaires. Le groupe prépare plusieurs concepts de boites pour le smartphone, dans le but de « sublimer » le squelette et d’apprendre aux utilisateurs à insérer les modules. Entre une « boite à bento », un boitier en accordéon ou un à tiroirs, Google ne semble pas avoir encore choisi.

La distribution des modules centrée autour d’une application

Le géant californien compte fournir une version de base de son téléphone, avec le squelette, un écran, une batterie, un processeur basique et un module Wi-Fi, pour un coût d’environ 50 dollars. Il est ensuite possible de composer un smartphone complet à partir de cette base. Le commerce de modules sera centré autour de l’Ara Marketplace, une plateforme d’e-commerce censée mettre en contact clients et concepteurs.

Elle est conçue en collaboration avec deux entreprises, Globant et Two Tasters. Si ces noms ne vous disent rien, ces entreprises semblent bien connues de Google. Globant, une entreprise de développement logiciel très présente en Amérique du Sud, nous explique ainsi que le groupe de Mountain View est un « client stratégique » depuis 2006 et qu’ils travaillent sur le projet depuis novembre dernier. La « place de marché » de Google est son dernier gros projet.

Projet Ara Configurator
Crédits : Google ATAP

Il s’agit, ni plus ni moins, d’une sorte de Google Play à destination des modules Ara, centré sur les interactions entre utilisateurs et développeurs. Pour s’y inscrire, les concepteurs devront répondre à plusieurs obligations légales et fournir un modèle fonctionnel à Google, qui validera l’inscription. Un fonctionnement inverse à celui du Play Store, où les contenus sont contrôlés a posteriori.

Côté utilisateur, le smartphone se compose à partir d’une application « Ara Configurator », qui propose d’abord le magasin puis une vue de l’appareil, avec ses emplacements à remplir. En dernière étape, il résume les caractéristiques, y compris l’autonomie à en attendre. Google proposera également de personnaliser les modules avec ses photos. D’autres idées sont aussi en travail, comme la possibilité de copier la configuration d’un ami à proximité.

Lors du projet pilote, Google sera au cœur du dispositif, étant en contact direct avec les utilisateurs et les concepteurs de modules. Les partenaires du groupe de Mountain View, eux, n’auront pas directement accès aux utilisateurs, pas même pour le support. Google gardera ainsi la main sur les relations avec les constructeurs et les clients, sans que l’un ou l’autre ait à y redire. RIen ne dit que des magasins tiers n'émergeront pas, avec la possibilité d'installer des modules non-validés, mais ce n'est pas encore dans les plans immédiats du groupe californien.

Des projets similaires se préparent, alors que tout n’est pas réglé

Depuis la vidéo de Phoneblocks en 2013, qui a été l'élément déclencheur, les projets similaires à Ara se sont multipliés. Une start-up finlandaise prépare ainsi le PuzzlePhone, un autre smartphone modulaire, séparable en trois parties, censé être durable économiquement et écologiquement, en plus d'être compatible avec d'autres OS qu'Android. S’il n’est encore qu’à l’état de concept, l’appareil doit sortir commercialement au second semestre 2015. Il est fondé sur la plateforme Click ARM, conçue par la société espagnole ImasD Technologies et Samsung, qui doit faciliter le développement d’appareils modulaires. ImasD a d’ailleurs présenté en mars la tablette Click ARM One, qui doit être livrée aux premières précommandes dans le courant de l’été.

D’autres projets n’ont pas eu la même chance, comme Fonkfraft qui devait devenir le premier téléphone modulaire issu du financement participatif. Problème : la plateforme Indiegogo a supprimé la collecte, estimant qu’elle était frauduleuse. L’objectif de 50 000 dollars avait été dépassé en trois jours, de quoi peut-être susciter le scepticisme. Les 320 financeurs pourront tout de même se consoler avec Nexpaq, un étui pour smartphone sur lequel peuvent se greffer des modules comme une batterie supplémentaire, un haut-parleur ou encore des senseurs. Le projet est déjà largement financé sur Kickstarter à la moitié de sa campagne, avec plus de 166 000 dollars récoltés pour 50 000 demandés. Ce n'est pas encore le cas de MODR, « le plus puissant des étuis modulaires », qui s'accomode pour l'instant de smartphones Apple et Samsung, sur lequel de nombreux modules doivent pouvoir s'agréger... Comme un pico-projecteur. Le projet est toujours en cours de financement sur Indiegogo, et est encore loin de son objectif.

S’il fait des émules, le projet Ara pose encore son lot de questions. Nous en savons encore très peu sur la réelle modularité du projet. Google prépare bien une plateforme matérielle et logicielle ouverte (et open source), mais rien ne dit que certains usages ne seront pas limités. Même flou sur la sécurité des modules, possiblement remplaçables par n’importe qui. Enfin, des réponses sont attendues sur l’usage concret du smartphone et de ses modules, y compris les plus originaux, qui ne seront sûrement pas présents lors de la phase pilote à Puerto Rico cette année.

Côté logiciel, ce modèle flexible pose la question de l’optimisation du système, des pilotes et de l’autonomie, l’équipe du groupe ATAP arrivait à peine à faire démarrer son smartphone en janvier. Une grande partie des soucis de mises à jour d’Android sont dus aux pilotes propriétaires, qui doivent être adaptés à chaque version majeure. En prévoyant d’ouvrir son écosystème à une grande masse de développeurs, l’équipe d’Ara prend le risque de voir certains modules être peu suivis, comme c’est déjà le cas pour les applications. Le test à Puerto Rico apportera déjà son lot de réponses, avant un éventuel lancement mondial à une date encore indéterminée.

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