Les ministères du Travail, de la Santé et de la Jeunesse et des sports ont conclu l’année dernière avec Microsoft Irlande – et dans la plus grande discrétion – un important marché de plus de 11 millions d’euros. Si son contenu exact demeure encore extrêmement flou, il ressemble de très près au tristement célèbre contrat « Open Bar » signé par le ministère de la Défense, et tant décrié par les militants du logiciel libre.
Le ministère des Finances et des comptes publics a diffusé voilà plusieurs jours sur la plateforme gouvernementale « data.gouv.fr » une liste des marchés conclus par l'État au cours de l'année dernière. Parmi les plus importants contrats signés en 2014, surprise, se trouve un juteux marché passé par les ministères du Travail, de la Santé et de la Jeunesse et des sports avec Microsoft Irlande, la filiale européenne du célèbre groupe américain. Son montant ? 11 828 960 euros, très probablement hors taxe, pour un « maintien en condition opérationnelle des systèmes informatiques exploitant des produits de la société Microsoft ».
Aucun autre détail n’est malheureusement donné, et il n’est de ce fait pas possible de savoir avec certitude s’il était question d’Office ou bien d’autres solutions développées par la firme de Bill Gates. L’année dernière, au travers d’une réponse à une question parlementaire, le ministre du travail François Rebsamen expliquait pourtant que son ministère avait recours depuis 2009 à des logiciels propriétaires pour son environnement bureautique et messagerie, mais qu’un « désengagement progressif sur 4 à 6 ans à compter de 2014 » était prévu.

Plus étrange, nous n’avons pas réussi à trouver de trace de la passation de ce marché (notifié le 28 janvier 2014) sur le site du Bulletin officiel des annonces de marchés publics. Contactés par nos soins, aucun des trois ministères concernés n’a pour l’heure donné suite à nos sollicitations.
L’accord-cadre entre Microsoft et le ministère de la Défense semble avoir fait des émules
L’affaire n’est en tout cas pas sans rappeler le contrat dit « Open Bar » entre Microsoft et le ministère de la Défense. Signé en 2009 puis reconduit pour quatre nouvelles années en 2013, il avait interpellé plusieurs parlementaires ainsi que les militants du logiciel libre. « Le contrat initial avait été passé sans appel d'offres, ni procédure ouverte dans le cadre des règles d'achat public. Il n'est pas acceptable que le ministère de la Défense ait visiblement contourné les grands principes des marchés publics, comme la transparence et l'égal accès à la commande publique, pour donner les manettes à Microsoft dans le schéma directeur du ministère » avait à l’époque dénoncée Jeanne Tadeusz, de l’Association de promotion du logiciel libre (April).
Outre le fait que ce genre de contrat est conclu par l’État avec une filiale de Microsoft basée en Irlande, pays apprécié des géants du numérique en raison de ses règles fiscales, ses détracteurs soulignent régulièrement que Microsoft se trouve à l’issue du marché dans une position de domination telle qu'il est bien difficile ensuite pour les services concernés de faire marche arrière (désinstallation des logiciels de tous les postes, habitudes des agents, etc.).
Interrogé par un parlementaire, le ministère de la Défense avait d’ailleurs présenté en avril dernier ce contrat de la même façon que le récent marché passé par les ministères du Travail, de la Santé, et de la Jeunesse et des sports : un « maintien en condition des systèmes informatiques exploitant des produits Microsoft ». Nos confrères du Vinvinteur ont d’autre part révélé il y a plus de deux ans un courrier de la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI), dans lequel on apprenait que plusieurs organismes publics avaient « affiché leur volonté d’adhérer au contrat [avec Microsoft, ndlr] », parmi lesquels... les ministères du Travail et de la Santé.
Quant au contenu exact de ce fameux contrat, l’exécutif est toujours resté très vague, expliquant par exemple que celui-ci « concerne des prestations de services, dont la mise en place d'un centre de compétences Microsoft, et des locations de produits logiciels avec option d'achat ». L’April avait tenté d’en savoir plus via une demande CADA, mais le ministère de la Défense a répondu en caviardant de nombreuses informations (voir ici).